Arc II, chapitre 21 : Journée fastidieuse.

9 minutes de lecture

Angoissée, Ophélia hésita un moment avant d'interpeller le garde dormant derrière la grille. L'homme se redressa mollement en remarquant le petit groupe qui attendait tranquillement.

- Madame, la salua-t-il par simple politesse. Le soleil est à peine lever, vous devez revenir plus tard.

La jeune femme derrière la servante retira sa capuche, dévoilant ses cheveux argentés au garde qui les reconnus tout de suite. La servante ne put s'empêcher d'avoir de la peine pour le pauvre qui homme dont la mâchoire tomba bien bas. Même elle n'y avait pas cru lorsque la princesse avait tapée à sa porte alors que la lune brillait encore.

- Vous êtes fatiguée ? Demanda Ophélia en voyant la princesse bailler.

La princesse laissa divaguer ses yeux un instant dans ceux d'Ophélia, laissant transparaitre sa froideur habituelle.

- Si j'avais besoin de votre perspicacité, je vous l'aurais fait savoir.

La trentenaire retint un soupire exaspéré, l'humeur de la princesse semblait être de pire en pire. Abraham qui jusque-là était toujours présent à ses côtés n'était plus réellement présent, sûrement à cause d'une dispute. Le seul changement visible était les cernes de la princesse, plus foncés ces derniers temps. La servante était certaine que c'était dû à ce qui c'était passé hier dans les jardins, des rumeurs disent que la princesse avait giflée sa propre mère, ce qui n'étonnait pas vraiment Ophélia.

La grille s'ouvrit dans un grincement sourd qui fit grimacer la femme. Le soldat les invita à entrer, se confondant dans les courtoisies. Sans faire attendre la princesse, ils entrèrent dans le château. Une servante qui passait par là fut interpellée.

- Je veux voir le Duc, commanda Aurora en gardant le ton neutre.

- Il est en train de prendre son petit-déjeuné votre altesse, bredouilla la servante, intimidée ou effrayée par la masculine héritière qui lui faisait face.

- Je n'ai pas mangé, ça tombe bien, mènes-y nous.

La servante resta choquée de l'aplomb de la princesse qui ne semblait pas être gênée du tout. Ses deux gardes du corps étaient visiblement embarrassés, Ophélia faisait de son mieux pour ne rien laisser paraître malgré sa colère grandissante secrètement.

N'ayant pas d'autre choix, la servante mena le groupe jusqu'à une grande salle dont s'échappait de douces odeurs. Les portes étaient déjà ouvertes et Aurora entra dans la salle sous les regards choqués de la famille ducale.

Le duc était assis au bout d'une table d'une vingtaine de mètre avec à ses côtés sa femme sur la gauche et sa fille sur sa droite.

- J'espère ne pas vous déranger, menti la princesse en touchant le bout de la table.

- Que faites-vous ici ?! Rugit le Duc Elroy

- Vous oubliez les formules de politesses, Karl.

- Répondez !

Il ponctua son ordre d'un coup de poing violent sur la table dont Aurora senti la vibration.

- Vous n'êtes pas venus à la petite réunion que j'avais organisée, j'ai donc cru bon de venir vous informer des résultats.

L'oreille fine d'Aurora l'informa d'un chuchotement d'une femme, sûrement la sienne. Bien qu'elle ne comprit pas les paroles, le changement de ton du duc l'informa sur ses vertus pacifiques.

- Je vous aurais reçus avec plaisir dans d'autres circonstances, Votre Altesse, répondit d'une voix vibrante de colère Karl Elroy. Mais venir lors d'un repas de famille est très impoli de votre part.

- Mais vous n'êtes pas venus à ma réunion, je me suis sentie profondément blessée par votre manque de considération, mais j'ai quand même pris le temps de venir vous voir.

Les couverts furent posés sur la table et d'un crissement de bois, le duc se leva pour la rejoindre.

- Pouvons continuer la discussion dans mon bureau ?

- Je n'ai pas présenté mes salutations à votre famille, répondit Aurora sans lui prêter la moindre attention. Ne nous hâtons pas, je ne suis pas pressée par le temps.

À ses mots, deux crissements suivirent et les deux membres de la famille approchèrent.

- Mon nom est Astrid, la salua sa femme, et voici ma fille Théa, nous sommes heureuses de pouvoir vous rencontrer, votre altesse.

Les deux femmes exécutèrent une courbette et la petite se fendit en une salutation simple, un peu timide.

- Quel est l'âge de Théa ?

- Elle a douze ans, votre Altesse.

- Comme vous le savez, ma dernière servante est malheureusement décédée, peut-être pourrais permettre à Théa de me servir quelques années à ses quatorze ans ?

En sentant le malaise s'installer sur la petite famille, Aurora aurait pu s'énerver, mais puisqu'elle ne pouvait pas elle attendit simplement la réponse du duc qui se fit attendre un peu.

- Sa future éducation est déjà décidée, Votre Altesse, je ne peux pas me retirer de mes engagements, mais je vous remercie néanmoins pour votre offre généreuse.

- C'est dommage, je suis certaine qu'elle aurait beaucoup apprise. Et où est donc la deuxième, Fidget je crois ?

- Elle est partie voyager un peu.

Aurora haussa un sourcil avec surprise. Jamais un noble laisserait sa fille voyager dans d'autres circonstances.

- J'espère qu'elle n'est pas partie voir mon frère.

- Non, je vous rassure, elle est partie seulement étudier à l'étranger.

La princesse ne fut pas satisfaite avec la réponse, mais de toute façons cela ne servirait à rien de poser d'autres questions, jamais elle n'aura la vérité.

- Allons donc discuter, ordonna-t-elle d'un ton plus dur encore.

Karl, satisfait d'avoir repoussé la future reine, ouvrit donc le chemin dans le château, menant la princesse loin de sa famille. Ils entrèrent dans son bureau, richement décoré avec de l'or, des tapisseries et un bureau en bois précieux. Ophélia fit asseoir Aurora sur un siège et se plaça derrière elle, laissant les gardes à l'entrée du bureau.

- Du thé ? Demanda Karl en s'asseyant à son tour.

Aurora loua mentalement sa capacité à se calmer très vite, chose étrangement rare dans la noblesse des îles. Peut-être était-ce à cause de sa façon de faire les choses, mais elle pourra y penser plus tard.

- Non, mais j'apprécierais quelque chose à manger.

Karl acquiesça et fit sonner une petite cloche posée sur son bureau, quelques minutes après la servante arriva pour prendre l'ordre.

- En quoi puis-je donc vous aider, Votre Altesse ?

- Si je suis là aujourd'hui, c'est pour savoir pourquoi vous n'êtes pas venus à la réunion.

- J'étais occupé, mais si c'était juste pour observer un changement vestimentaire, cela n'avait pas réellement d'utilité.

Aurora chassa sa remarque d'un revers de la main avant de se pencher en avant, plus agressive.

- Pourtant j'espérais que le message était passé. Dans moins de deux pauvres semaines je serais la reine des îles et pourtant, vous vous comportez toujours comme si j'étais évitable.

Karl répondit en s'installant tranquillement dans son fauteuil, il sembla fouiller quelques papiers sans regarder, puis il répondit dans un soupire forcé.

- Je ne vois pas ce qui vous fait dire ça, j'étais simplement occupé avec les affaires de tous les jours. Vous aurez vous aussi votre lot d'occupations après le couronnement.

- Si je ne meurs pas avant, mais ne vous inquiétez pas. Nous serons tous occupés.

Le duc ria à gorge déployée alors que la servante revenait avec un plateau de pains chauds qui attisa l'appétit de la princesse. Elle ignora le rire de son interlocuteur et en profita pour commencer à manger.

- Donc vous n'êtes venu que pour me menacer, Votre Altesse. Je vous trouve culottée, je pourrais être votre allié le plus fidèle, mais peut-être que vous aimez la colère que vous provoquez.

Sa phrase était à peine finit que le goût des pains s'estompa, laissant qu'une pâte fade et dégoûtante dans sa bouche. Soudainement répugnée, elle avala rapidement avant de reposer le reste du pain.

- Les menaces ne sont que pour ceux qui se sentent en danger, avez-vous fait quelque chose pour vous sentir menacé ?

- Je pense que la discussion est terminée.

Elroy se leva, faisant signe à Ophélia d'emmener Aurora, mais la princesse leva le bras pour calmer le jeu.

- Mais comment pourrait-on donc être alliés, je suis intéressée. Duc Kholl est un homme loyal qui suivra toujours la couronne et la duchesse a déjà rejoint ma cause. Il ne manque que vous.

L'homme se rassit silencieusement malgré un air sombre qui parlait pour lui.

- Être un homme serait un bon début, ricana-t-il.

- Blagues de côté nous perdons notre temps, répondit-elle en s'accoudant calmement.

- Je ne sais pas ce que vous pourriez me proposer, quand vous demandez vous devriez toujours avoir quelque chose à proposer.

- J'ai déjà plusieurs propositions. Je viens toujours préparée.

- Et vous n'avez pas à participer à la préparation de votre couronnement ?

- Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas pressée.

***

C'était sous un soleil couchant que la princesse entra dans le palais. Les deux gardes les avaient déjà quittés et il ne restait donc qu'Ophélia et Aurora, fatiguées après cette journée éprouvante. Au final le résultat de cette longue négociation était bien maigre, le duc a seulement décidé qu'il étudierait certaines propositions déjà bien négociées à son avantage. Seulement, Aurora était certaine qu'il ne la prenait pas au sérieux, peut-être comme une enfant... voire une femme.

- Pensez à bien dormir cette nuit, lui recommanda Ophélia, toujours accrochée à son bras.

- Mes nuits ne te regarde pas, rétorqua Aurora, sentant la fatigue comme des poids lourds sur ses paupières.

- Faite bien attention quand même, manquer de sommeil est dan---.

- Merci.

Ophélia se tût, se désolant de la froideur de la princesse. Elle aurait espéré que cette journée éprouvante puisse l'attendrir, mais en vain. Quelques instants après, elles se trouvaient toutes les deux devant la suite de la princesse. Hésitante à entrer avec l'adolescente, la servante resta devant la porte. Aurora comprit la situation sans même réfléchir et se dégagea, mais elle attendit que son bras entre en contact avec la porte avant. Sans même adresser un remerciement ou un au revoir, elle ouvrit la porte et disparut dans les ténèbres de sa suite.

Machinalement, la princesse longea le mur lentement, faisant attention à ne pas heurter un meuble au passage.

- Vous rentrez tard, fit remarquer une voix trop familière.

Aurora sursauta avant de faire volte-face, en direction du canapé.

- Que fais-tu ici, Abraham ?

L'homme se leva et commença lentement à s'approcher.

- Je vous attendais.

Sur ses gardes, Aurora commença à reculer, pour une raison qu'elle ignorait elle se sentait en danger.

- La nuit à commencer à tomber, j'imagine que vous serez bientôt vous-même.

- Je ne sais pas mais pars avant que j'appelle les gardes.

Abraham s'immobilisa, visiblement interloqué par les paroles menaçantes de la princesse.

- Je veux simplement vous donner quelque chose, répondit-il d'une intonation presque interrogative.

La princesse soupira, comprenant que le sceau commençait à perdre son effet, lentement mais sûrement.

- Tu as le don pour arriver au pire moment ; quel est ce cadeau ?

Soulagé, il ferma la distance en quelques pas et toucha la main d'Aurora avec le bout d'un objet. Surprise, elle retira sa main par réflexe.

- Ce n'est qu'un bout de bois, mais ce n'est pas un cadeau.

Hésitante entre la frustration et la colère, elle tendit la main et ouvrit la paume. Sans la faire attendre, il y glissa l'objet.

- Pourquoi ce n'est pas un cadeau ?

Refermant le point autour elle commença à la tâter d'un bout à l'autre. L'objet était long et relativement fin, sa main refermée en faisait le tour et du sol il semblait lui atteindre la poitrine.

- Parce que son but est d'être utilisé tous les jours.

- Je ne comprends pas, soit plus clair. Qu'est-ce que c'est ?

- Une canne.

Aurora commença à chercher son utilité, mais elle eut beau chercher de toute ses forces elle finit par abandonné et de demander.

- Et comment j'utilise cette canne ? elle est utile au moins ?

- Utilise-la pour te déplacer, tape devant toi.

Aurora s'exécuta et comprit l'intérêt immédiatement, pouvoir se déplacer seule. L'effet du sceau s'étant effacé à present, une bouffée de joie monta lui monta à la tête. Elle se mise à se déplacer vite, parfois se tapant aux meubles ou prenant la canne entre les côtes, mais elle s'en fichait et elle profitait de se sentiment unique de liberté.

- Mais pourquoi ce n'est pas un cadeau ?! Interrogea la princesse, prise dans une ivresse aventurière.

- Parce que tu n'auras plus besoin de personne.

Ses mots eurent l'effet d'un calmant instantané. Étrangement il la connaissait bien, presque elle lui en aurait voulu sur le moment. Maintenant, elle n'aurait plus besoin de quiconque là où elle avait toujours quelqu'un de très proche physiquement.

- Elle est décorée au moins ? Demanda Aurora, la voix soudainement fatiguée.

- C'est la canne d'une reine, répondit-il sobrement. Elle est en bois précieux et finement gravée.

Bien sûr qu'elle savait pour les gravures, elle les avait déjà senties. Ses paroles étaient inutiles, elle savait qu'il n'aurait pas oublié sa position en faisant le cadeau.

-Tu as raison, ce n'est pas vraiment un cadeau... mais certainement demain je saurais t'en remercier.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Martel Chaffers ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0