Chapitre 35
Notre nuit ensemble fut plus qu’incroyable. Nous avions réussi à faire tout ce qu’on voulait dans le silence le plus complet. Rien d’autre que ce dîner aux chandelles, cette soirée en amoureuse n’aurait pu me faire plaisir. Pourtant, comme pour gâcher tout ce qui était mémorable dans ma vie, l’ouverture de la porte de la chambre et l’arrivée de Marc nous réveillèrent toutes les deux. Quand on remarqua sa présence, on se redressa dans le lit et on remonta la couverture. Que faisait-il là ? Pourquoi était-il rentré plus tôt ? Heureusement pour nous, nous étions en robe de chambre. J’allais pouvoir jouer sur le fait qu’Océane était avant tout, ma plus grande amie avec Emma et une ancienne Conseillère.
— Savez-vous où est la sortie, Mademoiselle ? interroge-t-il Océane d’un calme terrifiant.
— Oui, bien sûr. Je vais rentrer. Merci de m’avoir invité Elena, on se revoit bientôt pour discuter du programme d’Histoire-Géo ?
— Bien sûr. À la prochaine.
— Soldats ? reprit Marc. Raccompagnez cette demoiselle jusqu’à l’extérieur du château.
— Tous de suite, Votre Majesté.
Océane ramassa ses affaires, enfila ses chaussures et son manteau avant de s’en aller. Marc rangea les siennes en silence. Je me levais, attrapais ma robe de chambre et me rapprochait de lui.
— Tu es rentrée plus tôt. Il y a eu un problème ?
— Je ne te faisais pas confiance. Et à ce que j’ai vu, j’ai bien fait de revenir plus tôt.
— Pardon ? m’exclamais-je perplexe.
— Tu m’expliques ce que cette femme faisait dans notre lit ?
— J’ai passé la journée avec Océane pour le travail. Comme on a fini tard, je lui ai proposé de rester dormir ici.
— C’est tout ?
— Bien sûr que c’est tout. Qu’est-ce que tu crois ?
— Tu m’en aurais parlé si je n’étais pas rentrée plus tôt ?
— Mais je fais bien ce que je veux !
— Qu’est-ce que vous avez vraiment fait ?
— Mais rien enfin ! Océane est juste une amie et une ancienne membre du Conseil !
— Arrête de te foutre de ma gueule !
Je vis la main de Marc se lever avant de frapper ma joue. Il venait de me gifler.
— Tu es sérieux là ? Je peux te savoir ce qu’il te prend ?
— Tu es ma femme, Elena. Pourquoi tu ne me dis pas la vérité ? Avoue que tu m’as trompé avec elle.
— Tu sais quoi ? Tu as raison. J’aimais Océane avant même de te rencontrer ! Si j’ai accepté de me marier avec toi, c’était pour l’Empire parce que sinon c’est avec elle que je me serais mariée. Je ne t’aime pas Marc et je ne t’aimerais jamais.
L’instant d’après, il me gifla à nouveau. Il me gifla si fort que je m’écroulais. Un goût ferreux envahit ma bouche. Je voulus me relever, mais il me plaqua dos au sol, ses deux mains sur mes épaules et ses genoux de chaque côté de ma taille.
— Tu me déçois, Elena.
— Lâche-moi immédiatement.
— Tout est de ta faute et uniquement de la tienne. Si tu n’avais pas couché avec ta soi-disant amie, je n’aurais pas été obligé de te punir.
— Tu n’es…
— Je ne veux pas être violent avec toi mon amour, je ne suis pas un homme violent d’habitude. Mais tu ne m’as pas laissé le choix.
— Alors, lâche-moi.
— Tu as raison, excuse-moi.
Il me lâcha enfin et je pus me relever. Dans son regard, il semblait sincèrement navré de ce qu’il venait de se passer.
— Ne recommence jamais où j’annule le mariage.
— Je te le promets, pardonne-moi mon amour. Tu comptes en parler à quelqu’un ? Comme tu le sais, mon image d’Empereur…
— Je ne dirais rien, pour le moment. Je te laisse une chance, mais ce sera la dernière.
— Je ferais attention, je te le promets. Excuse-moi.
De sa main droite, il remit ses cheveux en place avant de sortir de la chambre. Cette histoire m’avait secouée, je n’avais pas réellement compris ce qu’il s’était passé, mais je devais vite reprendre mes esprits avant que quelqu’un ne me voie. Dans la salle de bain, je me rinçais la bouche avec un verre d’eau pour faire partir le goût de sang. Je pris ensuite une rapide douche et me préparais pour ma journée de travail. J’allais devoir faire valider le projet de programme d’Océane et moi, mais aussi vérifier, comme tous les mois, les comptes de l’Empire en compagnie de Marc.
Avec toutes les primes accordées aux habitants, les caisses de l’Empire se remplissaient. Ils avaient plus d’argent et pouvaient, par conséquent, mieux vivre. Par les achats qu’ils génèrent, que se soit alimentaire ou pour reconstruire leurs maisons, une partie était inversée à l’Empire. J’avais bien fait de mettre ce système en place, même s’il ne plaisait pas aux plus riches. Ils devaient payer des impôts pour que les pauvres subvenir à leur besoin. Mais cette situation devait être temporaire. Un jour, ceux qui bénéficient des premières actuelles n’en auront plus besoin et cet argent pourra être redistribué à d’autres.
— Pourquoi ne pas créer une bourse d’études professionnelle avec l’argent nouvellement gagné ? proposa Marc. Avec ses bourses, les jeunes apprendront l’un métiers dont l’Empire manque cruellement. Que ce soient des enseignants, des médecins ou des ingénieurs.
— C’est une bonne idée. Mais il ne faut pas oublier les plus petits métiers. L’Empire a autant besoin d’ingénieur que d’éboueur ou de femme de ménage.
— Parles-tu de cet idiot qui me sert de valet ?
À l’écart, je vis David tressaillir à son évocation. C’était-il passé quelque chose avec lui dont je n’étais pas au courant ?
— David n’est pas un idiot. A-t-il fait quelque chose qui t’a déplu ?
— Il est incapable de repasser correctement mes tenues.
— Tu es surtout trop exigeant, Marc. Je dois te rappeler qu’il est en formation ?
— Trouve-moi un autre valet où il en subira les conséquences.
Plus qu’en colère, je me levais subitement en connaissant contre la table. Emma, qui discutait à l’autre bout de la pièce, se tourna instantanément vers nous, inquiète.
— Je t’interdis de toucher à un seul de ses cheveux ! Me suis-je bien fait comprendre ?
— Tu crois vraiment me faire peur avec tes menaces de ridicules ?
— Emma, emmène David loin d’ici et que tout le monde sorte.
— Elena…
— Dépêche-toi !
En moins d’une minute, nous étions seuls. Après m’avoir frappé, il vient de menacer le jeune valet à qui j’envisageais une grande carrière. Marc ne m’avait jamais vu en colère et il allait le regretter.
— Vas-y Elena, montre-lui de quoi tu es capable » ! Montre-lui que c’est toi qui règnes ici, pas ce » rince minable.
— Qu’on soit marié ou non, ça n’y change rien, Marc. Ici, tu es chez moi et je décide.
— Oula, mais c’est que Madame décide d’être autoritaire.
— Arrête de jouer avec mes nerfs. Que tu me touches et que je ne dise rien, c’est un fait. Mais si tu touches à une seule personne de mon personnel, je te fais la promesse que tu ne remettras jamais les pieds ici. Il est hors de question que je te voie lever la main sur quelqu’un, ou même que j’en entends parler. C’est clair.
— Ouais, ouais, c’est bon, j’ai compris. Calme-toi, on dirait une hystérique.
— Je suis très sérieuse, Marc. Ne m’oblige pas à mettre ma menace à exécution. Ils ont suffisamment souffert à cause de ma mère pour avoir un Empereur égoïste, sans cœur et manipulateur.
L’instant d’après, je vis ses joues s’empourprer. J’avais touché la corde sensible. J’allais enfin connaître le fond de ses pensées. Ce qu’il me cachait depuis qu’il m’avait demandé en mariage.
— Moi, manipulateur ? Fait attention, Elena, tu ne sais rien de moi. Ce n’est pas moi le manipulateur, mais ta mère ! C’est elle qui a manipulé mes parents durant tout leur règne. Elle qui a forcé deux ados de quinze ans à se marier pour règne sur un Royaume où rien ne pousse. Elle qui les a obligés à me concevoir pour qu’un jour, je puisse épouser son enfant, toi. C’est elle qui a manipulé les médecins et la science pour que tu sois une fille. Alors ne viens pas me dire que je suis manipulateur par tu ne sais rien ! Tu ne sais pas à quel point ma vie est merdique, à quel point je suis haïe par mes parents à cause de ma naissance.
Face à cette déclaration, je ne pus rien dire, complètement paralysé. Ma mère avait-elle vraiment fait ça ? Mais dans ce cas, pourquoi était-il venu me demander en mariage alors qu’elle n’était plus en vie ? Il y avait encore tellement de secrets, tellement de choisis que je ne savais pas que ça me tuait. Après avoir dit ça, il se calme en voyant les larmes couler sur mes joues et voulues quitter la pièce.
— Marc ? l’interpellais-je avant qu’il s’en aille.
— Oui ?
— Je suis terriblement navré d’apprendre ce qu’il s’est passé. De savoir que tu n’es qu’un pion, comme moi, dans son plan machiavélique. Mais je n’y suis pour rien. Ta vie a été compliquée, je le conçois, mais la mienne aussi. Sais-tu ce que ça fait de vivre en permanence avec elle ? De recevoir des coups, des critiques et des insultes à longueur de journée ? D’être battue et enfermée par sa propre mère ? Elle m’a brisée, humiliée et abaissée alors que je n’avais que cinq ans. Je n’étais pas sa fille, mais un moyen pour elle de parvenir à ses fins. À part Emma et Océane par la suite, personne ne s’est inquiété de savoir comment j’allais. Personne n’a cherché à me sauver de son emprise. Et aujourd’hui encore, à part elles deux, personne ne cherche à savoir si je me suis reconstruite après sa mort.
— Elle…
— Sait-tu ce que ça fait de se sentir misérable et inutile toute sa vie ? Avant Emma, je n’étais personne. Personne ne se souciait de moi. Je n’étais qu’une pauvre gamine, en apparence gâtée par sa mère, mais maltraitée est réalité. Je peux comprendre que tu aies souffert, toi aussi, mais me balancer, encore une fois, que ma mère ne m’a jamais vu comme sa fille…
Incapable de terminer, je le laissais partir, brisée pour de bon. Ma mère ne m’avait jamais laissé le temps de grandir et Marc, en une fraction de seconde, venait de balayer toutes les défenses que j’avais construites autour de moi depuis sa mort. Que ce soit par ses gifles ou par ses mots. Quand Emma me prit dans ses bras, je n’étais plus l’Impératrice, mais une fille à jamais déchirée, perdu dans les méandres et les secrets de son passé. Avec Océane à mes côtés, j’avais réussi à passer outre ma condition de pion sur un échiquier. J’avais réussi à me considérer comme un être humain ayant de l’importance. Avec cette révélation, c’était fini. Le peu de confiance en moi que j’avais s’était écroulé tel un château de cartes et le peu d’estime de moi s’était envolé. Je n’étais plus rien ni personne.
— Emma, réussis-je à dire en pleurs, trouve un autre valet à Marc, plus âgé. Je ne veux pas qu’il lui fasse du mal.
— Je vais d’abord m’occuper de toi. Tu en as le plus besoin.
— Non, je…
— Arrête Elena. Je vois bien que ce qu’il t’a dit t’a fait du mal. Parler ainsi de ta mère…
— Elle m’a tellement fait souffrir, Emma. Je ne mérite pas ce trône, je ne devrais pas être Impératrice. Ce n’est pas ma place.
— Bien sûr que si. Tu dois juste croire en toi.
— Je ne peux pas. Je n’y arriverais jamais.
— Va te coucher dans ma chambre, je vais appeler Océane.
— Non. Il sait pour elle et moi et… oublie, j’ai besoin d’être seule, Emma, s’il te plait.
— Très bien. Mais va te reposer dans ma chambre. De toute façon, je ne te laisse pas le choix.
En écoutant Emma, je rejoignis l’aile des domestiques pour aller me reposer dans sa chambre. De toute façon, Marc avait besoin d’être seul après l’annonce qu’il venait de me faire. Depuis que j’étais au pouvoir, Emma avait accepté d’y faire des travaux. Sa chambre était comme neuve, mais la décoration restait sobre. Il n’y avait que quelques photos de sa famille et de nous deux. Sans perdre plus de temps, je récupérais l’un de ses pyjamas dans sa penderie et me couchais dans son lit. Son matelas était certes moins confortable que le mien, mais je pus enfin me reposer correctement. Cependant, moins de deux heures plus tard, je me réveillais en sursaut avec l’envie de vomir. C’était le retour des nausées et le contre coup de ma dispute avec Marc.
— Tu veux qu’on en parle ? m’interrogea Emma en attrapant mes cheveux.
— Non.
— Elena, soupira-t-elle. Je vois bien que toute cette histoire te pèse. Tu es rarement malade pour rien et…
— Je suis enceinte, avouais-je.
Rien que le fait d’en parler me donnait à nouveau envie de vomir. Ma mère avait programmé ce mariage et cet enfant avant même ma naissance. Elle avait plus de vingt-cinq ans d’avance sur moi.
— Oh ! s’étonna-t-elle. Pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ?
— Parce que je n’en voulais pas. Je ne veux pas de cet enfant et encore moins maintenant avec ce que je viens d’apprendre.
— Tu en es à combien ?
— Deux mois. Si tout va bien à la fin du premier trimestre, Marc veut l’annoncer à tout l’Empire.
— Et toi, qu’est-ce que tu veux ?
— Pas de cet enfant en tout cas. Mais ça fait partie des clauses du contrat de mariage. Je ne peux y échapper.
— Que tu sois mariée ou non, que ce soit écrit ou non dans ce contrat, c’est ton corps, Elena. Tu as le droit de dire non.
— N’en parle à personne, s’il te plait. Fait comme si je ne t’en avais pas parlé.
— C’est comme tu veux. Repose-toi encore un peu, je vais te faire une tisane pour que tu aies moins de nausées.
— Merci Emma.
Elle attendit que je me couche pour remonter la couverture sur mes épaules avant de déposer un baiser sur mon front et de sortir de la chambre. Dans cette pièce, il n’y avait pas le moindre bruit. Il n’y avait pas de gardes à l’extérieur qui patrouillaient sans cesse. Je n’entendais plus Marc ronfler. C’était le silence complet et ça faisait du bien. Avec Marc à mes côtés, je n’étais pas sereine. Seule, j’étais apaisée.
Même si je m’étais énervé contre Marc, je n’arrivais pas à lui en vouloir après sa déclaration. Par notre naissance et notre enfance, nous avions tous les deux souffert et grandi dans la solitude et l’indifférence de nos parents. Je ne pouvais que le comprendre. Pourtant en m’ayant annoncé ça de cette manière, il m’avait à son tour détruite sans même s’en rendre compte. Sans Océane je ne savais pas si j’allais pouvoir remonter la pente. Seule, je ne m’en sentais pas capable.
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