65 - Citseko : Encore une chose qu'on a en commun
Citseko Fraam
Rang : Argent
Héritier de la famille Fraam au service du clan Evarla
Citseko faisait jouer les rayons du soleil sur son blason, l'air rêveur. Cela faisait un bon moment qu'ils étaient bloqués et la chaleur semblait ralentir leurs esprits.
-Tu fais un code ?
Citseko leva les yeux vers Matior, assis un peu plus loin :
-Pas spécialement, non.
Il retourna contempler les effets de lumière qu'il provoquait avant d'arrêter pour remonter les manches de sa chemise. Il aurait bien voulu se mettre torse nu, mais il était gêné de le faire devant les autres.
Lorsqu'ils étaient arrivés dans cet étrange désert pour retrouver Ora, Vish et Lyert, des murs transparents comme ceux du grand Enfermement étaient apparus, séparant les deux groupes. Citseko, Matior et Ze avaient fait le tour de leur nouvelle prison pour définir qu'il s'agissait d'un cercle qui sur une surface de quelques mètres était conjointe à celle de l'autre groupe. Citseko aurait été bien en peine de dire depuis combien de temps ils étaient là, ignorant ce qu'ils étaient censés faire.
L'adolescent finit par se lever et son regard tomba sur Ze qui se tenait debout, immobile depuis des heures :
-Tu devrais mettre ton veston sur ta tête. Le soleil tape fort.
Comme à son habitude, elle ne fit pas mine de faire le moindre mouvement en ce sens. Citseko prit alors le sien et alla lui poser sur la tête :
-Voilà. C'est pas super, mais ça protège un peu.
Matior éclata de rire :
-T'es trop bizarre.
Citseko haussa les épaules en retournant s'asseoir.
Ze avait été la première qu'il avait trouvé. Il avait bien essayé d'ouvrir la conversation, mais l'esclave était restée muette. Au moins, elle le suivait sans problème. Il avait essayé de l'encourager à marcher à sa hauteur, sans succès. La jeune fille veillait à rester trois pas en arrière. Ils avaient marché le reste du temps en silence, ce qui ne lui posait pas vraiment de problème. Quand ils avaient atteint le refuge dans lequel ils passeraient la nuit, Citseko avait pris le temps de faire des réserves. Il avait essayé de calculer ce dont il aurait besoin, tout en veillant à en laisser suffisamment aux possibles prochains visiteurs.
-Tu devrais en prendre aussi.
Il avait levé la tête vers la jeune fille qui se tenait debout à quelques pas de lui :
-Au cas où. Il vaut mieux être prévoyant, tu ne crois pas ?
Elle était restée immobile. Est-ce qu'elle n'obéit qu'à Vish ? Si c'est ça, on n'est pas sorti de l'auberge. Ou alors, il faut lui dire un truc en particulier ?
-Est-ce que je suis supposé te dire quelque chose pour que tu puisses agir ?
La jeune fille avait continué de fixer le mur.
-Ou est-ce parce que je suis un héritier d'argent ? Tu ne peux qu'obéir à un héritier d'or ?
Comme elle ne bougeait toujours pas, Citseko avait pris trois autres sandwichs et s'était approché du sac que l'esclave avait gardé sur son dos.
-Je te les mets dans ton sac, OK ?
Elle n'avait pas bougé un muscle tandis qu'il ouvrait le sac pour y glisser la nourriture. Quand il l'avait refermé, l'adolescent avait proposé :
-On va dormir ici, d'accord ?
Toujours sans réponse, il s'était couché. Le lendemain, l'héritier d'argent l'avait trouvé exactement au même endroit.
-T'as dormi ?
En observant les lits, il avait fini par en trouver un qui venait sans aucun doute d'être refait. Bon, c'est déjà ça. Il mangea une moitié de sandwich et tendit l'autre à la jeune fille :
-Tiens, mange avant de repartir.
Comme la veille, elle ne réagissait pas. Inquiet, Citseko insista :
-Tu risques de ne pas tenir si tu ne manges pas.
Aucune réaction. Il avait alors rangé l'autre moitié de sandwich dans son sac et s'était levé :
-Si tu veux qu'on s'arrête, tu me le dis, d'accord ?
Citseko savait bien qu'il n'était pas censé se comporter ainsi avec une esclave, mais il n'arrivait pas à faire autrement. Il ne comprenait pas en quoi elle était différente de lui. Je suis étonnamment plus bavard. Il eut un demi-sourire pour lui-même et vérifia la direction sur sa carte. Ce jour-là, ils retrouvèrent Matior dont la première question fut :
-T'es tout seul ?
Citseko avait tiqué en montrant Ze du pouce :
-Non,y a...
Matior lui avait coupé la parole :
-C'est ce que je dis, t'es tout seul. J'espère qu'on pourra s'en sortir à deux quand même.
Il avait ensuite tourné les talons pour se remettre en route. Quelques heures plus tard, ils arrivaient dans le désert :
-Je suis pas expert en géographie, mais si on sort d'un bois, il est en général assez rare d'atterrir dans un désert, non ?
Citseko n'avait pu que confirmer, perplexe. En avançant de quelques pas, ils avaient aperçu les trois autres qui venaient vers eux. A nouveau, Matior avait demandé :
-On n'est pas censé trouver un interrupteur avant de les trouver eux ?
Et de nouveau, l'adolescent ne put que confirmer sans trouver d'explication. Les barrières avaient ensuite jailli du sable, remettant les choses en ordre. Leur seul problème, désormais, était qu'il n'y avait aucun interrupteur en vue.
Citseko observa le ciel pour la énième fois. Rien ne va nous tomber dessus au moins ? Comme lors du grand Enfermement, ils ne pouvaient entendre ce qu'il se passait de l'autre côté du mur, mais Vish, Ora et Lyert se contentaient d'être assis à attendre. En tout cas, s'ils parlent, je ne le vois pas. L'héritier d'argent venait de retrouver un regain d'énergie après être resté assis à ne rien faire. Surtout que je vais finir par m'endormir avec cette chaleur. Donc, si la solution ne peut pas venir du ciel ou des côtés... Il baissa les yeux. Ils avaient déjà essayé de creuser un peu partout, sans rien trouver de concluant. Mais peut-être qu'on a pas creusé assez profond. Supposant qu'il y avait plus de chance de trouver quelque chose d'intéressant près de la façade commune, c'est là qu'il se remit à creuser. Le voyant faire, Matior lui rappela :
-On a déjà essayé ça.
En espérant ne pas le vexer, Citseko répondit d'une petite voix :
-Je sais, mais je me demandais juste si on avait creusé assez profond.
Le sable ne cessait de retomber sitôt qu'il le retirait, mais Matior le rejoignit et à eux deux, ils réussirent à progresser. Du coin de l'œil, Citseko vit que les trois autres faisaient de même de l'autre côté. Lyert attira un instant l'attention de Matior pour essayer de lui dire quelque chose, mais son ami ne comprit pas. Il reprit encore et encore jusqu'à ce que cela se finisse en un concours de mime entre les deux adolescents. De nouveau seul à creuser, Citseko redoubla le rythme malgré la chaleur. Soudain, son doigt heurta une surface dure et il le retira précipitamment :
-Aouch, c'est quoi ce truc ?
Il observa son doigt rapidement pour s'assurer qu'il n'avait rien de grave et se repencha sur le trou. Le garçon enfonça doucement la main dans le sable, qui était retourné au fond, et tâtonna. Matior était revenu vers lui :
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-J'ai touché le fond je crois.
Citseko finit par sentir quelque chose de différent, d'indéfini et le sortit à l'air libre.
-C'est une feuille.
Matior la lui prit des mains :
-Une feuille de Chêne ?
-Je crois, oui.
Ils tournèrent la tête en direction de la forêt qu'ils avaient quitté quelques heures plus tôt :
-Comment elle est passée de là-bas à là-dessous ?
De l'autre côté, Lyert et Ora faisaient des gestes pour attirer leur attention. Matior soupira, agacé :
-C'est pas vrai ça. T'aurais pas ramener un truc qui pourrait aider à communiquer ?
Citseko secoua la tête :
-J'ai rien pris.
-Sérieux ?
Citseko glissa un regard vers Ze qui n'avait toujours pas bougé. Je suis sûr qu'elle n'a rien pris non plus, elle. Encore une chose qu'on a en commun.
-Moi, j'ai juste ça.
Matior sortit un vieux jeu de carte tout corné de son sac. Citseko pensa à un moyen de les utiliser, mais il doutait que l'adolescent le laisse faire.
-On l'utilise depuis toujours ce jeu.
Matior le montra à Lyert qui leva les pouces en l'air avec un air ébahi. Citseko se concentrait de nouveau sur le problème de l'interrupteur, tandis que les deux autres garçons recommençaient leur jeu de mime. L'héritier d'argent fit passer le sable entre ses doigts, rêveusement. On ne peut pas simplement creuser, le sable est trop fluide.
-Pourquoi ils se sont amusés à recouvrir une plaine avec tout ce sable ?
Citseko continuait d'observer les grains lui filer entre les doigts en disant :
-C'est ce que je me demande aussi.
Il revint à la forêt derrière eux en continuant de se poser la question.
-Apparemment, Ora a une idée.
Citseko revint à la jeune fille de l'autre côté qui semblait expliquer quelque chose à Lyert. Celui-ci était visiblement subjugué par ce qu'elle disait et quand elle eut fini, ils prirent tous deux une poignée de sable pour l'observer avec attention. Citseko attendait avec impatience de comprendre ce qu'il se passait. Matior finit par attirer leur attention pour savoir de quoi il retournait. Ora fit quelques gestes qu'ils ne comprirent pas, mais quand Lyert prit la relève, Matior finit par dire :
-C'est le sable.
Comment il a fait pour comprendre ça ? Pour lui, Lyert s'était contenté de gesticuler sans que cela ne fasse aucun sens. On se doute déjà que c'est dans le sable. Quand à son tour, Matior observa une poignée de sable avec attention, Citseko comprit ce qu'il avait vraiment voulu dire. C'est le sable lui-même. Comme les autres, il saisit une poignée et fixa les grains comme si la réponse allait lui sauter au visage de cette façon.
-Si on faisait des tas ?
Citseko releva la tête et Matior répéta :
-On peut essayer de mouiller le sable comme ça on pourrait creuser plus facilement, en faisant des tas.
Le regard de Citseko dévia vers Lyert et Ora qui semblaient avoir eut une discussion. La jeune fille tenait déjà une bouteille d'eau à la main. Le jeu de mime semble mener quelque part finalement. Seulement, il avait quelques objections quand à cette solution :
-Ça peut marcher, mais on ne sait pas où creuser et on aura pas assez d'eau pour l'étendue qu'il y a.
Matior haussa les épaules :
-On a qu'à commencer par là.
Avant que Citseko n'ait le temps de lui rappeler que leur réserve d'eau n'était pas illimitée, Matior en avait versé une part sur le sable devant lui. Le résultat les garda silencieux un instant, avant qu'ils n'échangent un regard pour s'assurer que l'autre avait vu la même chose. De l'autre côté, Lyert et Ora avaient la même expression. Le sable n'avait ni changé de couleur, ni agglutiné ou rien de ce qui est supposé arriver quand il se trouve mouillé. Les grains touchés par l'eau avaient, simplement, disparu. Matior laissa échapper :
-Il n'y a plus rien, on est d'accord ?
Citseko ne répondit pas. Il avait du mal à accepter que cela ait pu disparaître comme ça. Matior s'apprêtait déjà à reverser de l'eau, quand le jeune homme l'en empêcha :
-Attends, attends, on n'a pas assez d'eau pour en mettre partout.
L'adolescent hésita avant de jeter un regard à son ami de l'autre côté. Lyert s'était levé, fixant le sol. Ora s'était également détournée de ses camarades pour observer le sable.
-Il regarde quoi à ton avis ?
Citseko n'avait pas de réponse à la question. Son regard dévia vers Vish qui, depuis le début, se contentait de regarder ce qu'ils faisaient, penchée par-dessus leurs épaules. Celle-ci croisa les yeux du garçon et pointa le sol du doigt. Citseko fronça les sourcils en réponse pour montrer qu'il ne comprenait pas. Vish pointa la bouteille d'eau, puis le sol de nouveau. Matior lança :
-Tu vois, on doit reverser de l'eau.
Citseko n'eut pas le temps de protester que l'adolescent s'exécutait. Cette fois, ils virent que le sable qui leur semblait disparaître se mettait en fait en mouvement. Cependant, trop vite pour qu'ils puissent définir par où cela disparaissait. Matior tendit la main :
-File-moi ta bouteille.
Citseko rechigna. Il restera la bouteille de Ze au pire, mais bon. D'un coup d'œil, il vérifia ce que faisait les autres et les vit qui s'éloignaient d'eux. Lyert prit le temps de se tourner sur lui-même pour leur pointer sa tablette du doigt et repartit. Citseko n'avait pas eu le temps de voir ce qu'il y avait de si intéressant sur cette tablette que Matior prenait d'autorité sa bouteille dans son sac.
-T'es sûr que c'est ce qu'il faut faire ?
Matior s'agaça :
-Mais oui, tu vois bien qu'ils ont trouvé un truc.
Citseko pinça les lèvres, désolé de l'avoir agacé, mais n'en pensant pas moins. N'empêche que si on a plus d'eau, on risque d'être sacrément dans la merde. Le garçon versa l'eau au même endroit, bien qu'il soupçonna que l'emplacement importait peu. Il préférait ne pas tenter le diable car Citseko n'était visiblement pas disposé aux expérimentations. De nouveau, le sable alla trop vite pour qu'ils puissent distinguer quoique ce soit. Essayant de ne pas agacer encore plus son compagnon, Citseko glissa :
-Ça n'a pas l'air de faire quoique ce soit d'autre.
Matior réfléchit :
-Peut-être qu'il faut plus d'eau.
A cet instant, un bip se fit entendre et ils baissèrent les yeux sur leur tablette en même temps.
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