73 - Hiloy : J'espère qu'ils auront le temps de sortir
Hiloy supposa que d'une manière ou d'une autre, Tahiya et Indilk étaient ceux qui se tenaient juste sous le plafond. Dans les cris, elle repéra des conseils, on demandait s'il ne voyait rien, n'y avait-il pas un bouton, un espace ? Quelque chose ne pouvait-il pas être déplacé ? Dans le tas, la Cinquième entendit Xutik qui s'impatientait, mais elle n'y prêta pas plus attention. Une secousse venait de se faire ressentir et en se penchant par-dessus la rambarde, elle vit que l'escalier sur lequel ils se trouvaient commençait à s'écrouler. Hiloy sentit sa gorge s'assécher, son cœur battre la chamade. Ellle fixait le métal qui disparaissait dans l'obscurité avec des yeux horrifiés. Son premier réflexe fut de prévenir les autres, mais elle se retint. Ils ont besoin de rester calme. Il faut qu'ils restent concentrés. Ora cria :
-Les escaliers s'effondrent ! Grouillez-vous, merde !
Il y eut une nouvelle poussée de cri réclamant qu'ils trouvent la solution de suite. Les voix d'Elférad et de Meb se firent soudain entendre par-dessus le brouhaha :
-Ça suffit ! Fermez-là ! On se calme !
Il fallut quelques secondes avant que le silence ne revienne. Hiloy observait l'énorme pilier central, autour duquel l'escalier s'enroulait, à la recherche d'un quelconque moyen pour s'y accrocher. Si les marches sous elle s'effondraient, il lui faudrait trouver un endroit pour ne pas tomber. Son regard passa avec attention le long du pilonne jusqu'au plafond. C'est pas vrai, y a rien de rien. Puis, Hiloy aperçut quelque chose. Incertaine, elle concentra toute son attention dessus pour s'assurer que c'était bien ce qu'elle pensait avant d'annoncer :
-Il y a quelque chose au plafond. Là, au-dessus de nous.
La Cinquième remercia mentalement les deux héritiers d'or d'avoir fait le silence car sinon, sa voix aurait probablement été perdue parmi les cris. Toutes les têtes se levèrent.
-C'est un trou ?
Hiloy ignorait qui avait posé la question, mais l'adolescente lui répondit en elle-même que c'était bien ça. Gec-Nüj cria :
-La manivelle ! Qui a la manivelle ?
Indilk brandit l'outil dans sa main. Tahiya ordonna :
-Nsoah, mets-toi sous le trou. Indilk, sur ses épaules.
Les autres se poussèrent pour laisser les deux garçons se trouver. Elférad lança :
-Il faut un moyen de les tenir. Ils risquent de tomber à la prochaine secousse.
Ils firent ce qu'ils purent pour les maintenir en équilibre. Après un premier essai, infructueux, Indilk se décida à se mettre debout sur les épaules de Nsoah pour gagner en hauteur. Fais pas ça, fais pas ça. C'est toujours là que... Une secousse... L'héritier d'argent perdit légèrement l'équilibre avant que ceux qui le maintenaient ne puissent l'immobiliser. Ce fut suffisant. Indilk tomba en arrière, droit vers le vide, sans pousser un cri. Hiloy était trop loin pour agir. Elle ne put que regarder les bras se tendre désespérément vers lui. Raté le veston, raté la jupe, puis...
-Je l'ai !
C'était Vish qui avait crié, mais en se penchant par-dessus la rambarde pour tenter de voir Indilk, Hiloy vit que Citseko avait réussi à saisir le bas de la jupe tandis que l'héritière d'or agrippait sa chaussure. Le groupe sembla soudain reprendre vie se précipitant pour le faire remonter. Une fois de retour sur les marches, Indilk, nullement ému par ce qui venait de lui arriver, observa le plafond :
-Bon, au moins, la manivelle est en place. Il n'y a plus qu'à l'actionner. Approche Nsoah.
Hiloy était plutôt impressionnée. Après un moment pareil, elle ne voudrait sûrement pas retenter l'expérience de sitôt. En même temps, il faut bien le faire et je doute qu'il y ait des volontaires après ça. Quand Indilk commença à faire tourner la manivelle, Tahiya s'écria :
-Ça s'ouvre !
L'héritier d'or accéléra le mouvement et, à chaque tour, le plafond s'ouvrait comme une immense hélice. Dès que le passage fut assez large pour passer, Tahiya se glissa dehors. Hiloy préféra ne pas regarder ce qu'il se passait derrière elle et resta focalisée sur l'accès qui s'ouvrait. Les uns après les autres, ses camarades sortirent. La Cinquième monta les dernières marches au fur et à mesure, jetant des regards inquiets à Indilk et Nsoah. J'espère qu'ils auront le temps de sortir. Elle s'arrêta dans l'ouverture comme si sa présence pouvait l'empêcher de se refermer :
-C'est bon, venez !
Indilk attendit que la manivelle se bloque avant de sauter sur les marches et courir vers la sortie, Nsoah juste derrière lui. Hiloy vit le plafond se refermer doucement alors qu'elle quittait son poste. Ce n'est que là que la Cinquième observa les alentours. Une main en visière pour protéger ses yeux du soleil, elle aperçut une immense plaine. Matior se laissa tomber sur le sol en geignant :
-C'est pas fini ? Je croyais que c'était la fin moi.
L'adolescente jeta un coup d'œil à sa tablette et sourit. Meb traduisit sa pensée :
-Ça l'est. La fin est indiquée sur la carte. Il faut qu'on aille par là.
Il y eut des cris de joie et de soulagement. Hiloy sursauta quand Falibi lui sauta dessus :
-Tu es là ! J'ai cru que je t'avais perdue.
Le groupe commençait à se mettre en mouvement. Le soleil étant déjà bien bas à l'horizon, Elférad proposa :
-Il y a un refuge un peu plus loin. On devrait y rester la nuit.
Des murmures lui répondirent. Après toutes ces émotions, la fatigue prenait le dessus. Hiloy avait hâte de s'effondrer sur un lit. Ou même une planche de bois, je me contenterais d'une planche de bois.
Ils durent allumer leur lampes pour y voir avant d'enfin arriver à la cabine. Exténués, le silence avait prit ses droits sur la classe. La Cinquième bâillait à s'en décrocher la mâchoire. Ce fut sans prononcer un mot qu'ils entrèrent dans le refuge, sans prononcer un mot qu'ils dégagèrent le passage menant au sous-sol.
-C'est moi ou il y a moins de lits ?
Hiloy observa la pièce sous la lumière blafarde des néons et dut admettre qu'Ora avait raison. A la place de l'immense couloir bordé de lits superposés, ils se trouvaient dans une pièce carrée avec six lits. Laxo haussa les épaules :
-On va devoir partager.
-Quoi ?!
Personne ne prêta attention à la brusque intervention de Vish. Elférad se laissait déjà tomber sur le lit le plus proche :
-Vous faites ce que vous voulez, moi, je vais là.
Matior eut un sourire mauvais :
-On ne peut pas laisser notre héritier d'or ainsi, sans défense, tout seul dans ce grand lit.
Lyert s'écria :
-T'as raison !
Il bondit pour atterrir lourdement sur Elférad, tout de suite suivit par Matior et Neghttris. Sous la pyramide humaine qui l'étouffait, l'héritier d'or éclata de rire. Falibi saisit le poignet d'Hiloy :
-Viens, on prend celui-là.
La Cinquième s'effondra sur le lit où Laxo et Bélera ne tardèrent pas à les rejoindre :
-Ça vous dérange si on partage ?
Falibi secoua la tête :
-Si les quatre mignons réussissent à se caser dans un lit, il n'y a pas de raison que l'on n'y arrive pas.
Hiloy vit passer Theaon et Ora qui s'installèrent sur un autre matelas. Falibi ne lui a pas proposé de venir avec nous ? Elle jeta un regard à son amie qui était en grande discussion avec Laxo. Elles conversaient à voix basse, mais Hiloy crut reconnaître le nom de Tahiya. Elles sont encore sur cette histoire de fiancé ? L'adolescente resta un moment à observer comment ils se partageraient les lits, prête à laisser sa place en cas de besoin. Finalement, Qegh et Vish rejoignirent Theaon et Ora. Ze semblait prête à rester debout toute la nuit. Indilk avait choisi de prendre des couvertures qui se trouvaient dans la réserve pour se faire une couchette au sol. Si bien que Xutik et Gec-Nüj, Citseko et Meb, ainsi que Tahiya et Nsoah purent dormir à deux par lit.
Rassurée sur la situation, Hiloy s'allongea sur le bord du lit qui lui était assigné et sombra dans le sommeil. Elle se réveilla quelques heures plus tard, percluse de courbature. Se laissant glisser hors du lit, l'adolescentee s'étira, faisant craquer ses articulations. Elle grimaça sous la lumière palote des néons en espérant que cela ne réveillerait personne. Son regard tomba sur le lit où dormait Elférad et ses amis. C'était un tel pèle-mêle de bras et de jambes, qu'elle ne put deviner qui était qui. Ils font comment pour respirer ? La Cinquième retint un rire et se dirigea vers la réserve, en évitant de marcher sur Indilk, pour prendre un sandwich. Une voix basse l'interpella :
-Hiloy ?
Celle-ci s'empara de ce qu'elle cherchait en répondant tout bas :
-Oui ?
Falibi, les cheveux en pagaille, se mit maladroitement debout pour enjamber Laxo et Bélera et descendre du lit.
-Qu'est-ce que tu fais ?
Hiloy prit un autre sandwich et se tourna vers elle :
-J'ai faim. Tu veux manger ?
L'héritière d'argent se frotta les yeux en hochant la tête :
-Ah, tiens, oui.
La Cinquième enjamba de nouveau Indilk et proposa :
-On va dehors ? Au moins, on pourra parler normalement.
Falibi traîna les pieds jusqu'à l'escalier. Quand ils furent dans la première salle du refuge, Hiloy referma la trappe derrière son amie :
-Ce n'est quand même pas pratique. T'imagines si quelqu'un replace le coffre ?
Falibi se laissa tomber sur le sol :
-C'est pour ça qu'il y a ces espèces de couloir en-dessous, je pense. Ils doivent mener à une autre sortie.
Cette cabine-ci était plus petite que celles dans lesquelles ils avaient dormi les jours précédents. Mis à part le coffre qui dissimulait la trappe, une table et deux chaises, il n'y avait rien dans la salle en surface. Hiloy observa la jeune fille qui tentait de se recoiffer malgré le manque d'accessoire et la longueur de ses cheveux.
-Tu ne veux pas t'asseoir sur une chaise ?
Falibi tendit le bras et comme il lui manquait un bon mètre pour pouvoir toucher la table, elle dit d'une voix fatiguée :
-C'est trop loin.
Hiloy la regarda faire avec amusement :
-Tu sais que tu as le droit de retourner te coucher. Ce n'est pas parce que je me suis levée que tu devais me suivre.
L'héritière d'argent rassembla ses forces pour se lever :
-Je sais. Je voulais te parler.
Le sourire de la Cinquième se figea :
-De quoi ?
Son amie atteignit enfin la table et s'affala sur la chaise :
-De Theaon.
Hiloy sentit son cœur accélérer. Devait-elle lui parler de ses soupçons ? Ou attendre de voir dans quelle direction allait la discussion ? Ça n'a peut-être rien à voir avec ce que m'a dit Xutik. Cette pensée s'effondra quand Falibi déclara :
-Je ne crois pas qu'elle ait cherché à se rapprocher de toi pour te faire du mal.
La Cinquième se relaxa en voyant que son amie prenait la chose plutôt bien, mais un certain nombre de question lui vinrent à l'esprit :
-Qu'est-ce qui te fait penser qu'elle voulait se rapprocher de moi ?
Falibi s'empara du sandwich qu'Hiloy avait laissé sur la table :
-Xutik me l'a dit. Il est causant quand il est vexé ce garçon.
Hiloy sentit sa gorge se nouer :
-Il t'a dit qu'elle ferait tout pour s'élever ?
La jeune fille en face d'elle hocha la tête en mordant dans son sandwich.
-Il me l'a dit aussi. Quelques jours avant le Grand Jeu.
Inquiète que son amie soit blessée, même si elle n'en montrait rien, Hiloy ajouta :
-Mais, peut-être qu'il s'est trompé, peut-être qu'on lui a menti.
Falibi dit le plus sereinement du monde :
-Non, non. Je pense que tu as pensé à la même chose que moi quand il te l'a dit. Elle sort avec moi pour se rapprocher de toi. C'est vrai.
-Comment tu peux en être aussi sûre ?
La question sembla l'amuser :
-Je lui ai demandé, tiens.
Hiloy resta un instant bouche bée :
-Demandez quoi à qui ?
-J'ai demandé à Theaon si elle sortait avec moi pour pouvoir te côtoyer. Dans l'escalier.
La Cinquième la fixa avec admiration :
-Et elle n'a pas cherché à se défendre ? Elle n'a pas donné d'excuse ?
Falibi prit un air sérieux :
-Tu m'as regardé ?
Hiloy restait concentré :
-Je ne vois pas...
Son amie sourit en pointant sa tête du doigt :
-Tu vois ce sourire, ce visage sans défaut ? Qui oserait mentir à la perfection, je te le demande ?
L'adolescente se mit à rire :
-Elle t'a quand même mentit pendant un sacré bout de temps.
L'héritière d'argent fit un geste de la main comme pour effacer ces paroles :
-Elle ne savait pas encore à quel point j'étais magique.
Hiloy prit l'air de quelqu'un à qui l'on vient de révéler une évidence :
-Oh, c'est vrai.
Son amie prit une pause et un ton mélodramatique pour déclamer :
-Quand trouverais-je le grand amour pour qui ma perfection ne sera pas une menace ?!
Elle se pencha soudain en avant, saisissant les mains d'Hiloy, tout en gardant le même ton :
-Toi seule peut comprendre ce poids, n'est ce pas ?
Hiloy répondit sur un ton similaire :
-Et bien... non. Toi seule est bénie de perfection, tu le sais bien.
Falibi se rejeta dans sa chaise avec un geste théâtral :
-Tu as raison. Je suis unique.
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