77 - Elférad : Ce n'est pas le sien
Elférad Juéllit
Rang : Or
Héritier de la grande famille Juéllit
Les yeux sur la porte, Elférad tentait de calculer rapidement. Dix-huit survivants. Gzadien a quand même de grandes chances d'en faire partie. Mais une autre voix s'insinuait pour lui faire remarquer qu'il n'y avait aucune raison pour qu'il ne soit pas non plus l'un des deux morts.
Les hélicoptères repassèrent au-dessus de leur tête pour atterrir de l'autre côté de la zone. L'héritier d'or se mit à courir. Lorsqu'il atteignit le lieu d'atterrissage, l'endroit était déjà rempli d'autres élèves qui attendaient de voir leurs amis. Les surveillants formaient une barrière, les empêchant de trop approcher. Sur sa droite, Elférad nota qu'un couloir avait été dégagé, qui permettrait de mener les blessés directement à la cabane servant d'infirmerie. La foule amassée devant les surveillants étaient déjà trop dense pour qu'il puisse espérer y voir quoi que ce soit.
-La vache, y a trop de monde. On va rien voir.
Elférad ignora la remarque de Matior et ordonna :
-Dispersez-vous le long de la chaîne, essayez d'atteindre le premier rang. Sifflez si vous voyez l'un d'eux.
Il allait s'élancer du côté du couloir quand Hiloy le retint en disant :
-Falibi devrait aller avec toi.
La jeune fille s'avançait déjà :
-Oui, je suis plus grande. Je verrais plus facilement.
Elférad resta une seconde surpris qu'elles veuillent aider, mais se ressaisit rapidement :
-OK. Merci.
Tandis qu'ils couraient tous deux vers la droite. Hiloy s'élança vers un autre point de la barrière suivit de Rafirin qui saisit Nsoah au passage :
-Tu viens aussi toi.
L'adolescent baissa les yeux vers la main qui agrippait son uniforme et ressentit le besoin de confirmer :
-Oui, je suis grand aussi. Je peux voir loin.
Elférad restait calme. La panique ne servait strictement à rien. De plus, même si toutes ses pensées étaient tournées vers Gzadien, il n'en oubliait pas pour autant Floï et Pihiliié. Ce n'était pas parce que la classe avait été annoncée intacte qu'il n'y avait pas de blessés. Il entra dans la masse des élèves, en s'excusant à tour de bras et s'arrêta quand il put voir suffisamment. L'adolescent se retourna pour s'assurer qu'il pouvait encore voir Falibi. La jeune fille avait passé quelques personnes plus grandes qu'elle et avait trouvé une place qui lui permettait de voir aisément les élèves qui sortiraient des hélicoptères en face d'elle.
Elférad reporta son regard vers l'avant. Dans ce genre de situation, l'ordre était toujours le même. Les blessés sortaient d'abord, puis on apportait les morts et ensuite, les indemnes. Elférad réalisa soudain une chose. Pourquoi n'ont-ils pas déjà annoncé les morts ? Pour l'autre classe, le nom de la personne décédée n'avait pas tardé à suivre l'annonce. Pourquoi cela n'avait-il pas été le cas, ici ? Le garçon imagina la réponse aisément quand il vit arriver les premiers blessés. Certains pleuraient, certains observaient les alentours d'un air hagard comme s'ils ne comprenaient pas où ils se trouvaient. Les premiers soins qu'on leur avait donné dissimulaient les blessures, mais le sang tachait déjà la majorité des bandages blancs. Elférad imagina la scène. Les hélicoptères en approche avaient aperçu les deux cadavres, mais une fois au sol, les surveillants avaient dû se trouver face à une Bestiole. L'évacuation avait dû se faire dans la panique et transmettre le nom des morts n'avaient pas été une priorité. Ils le confirmeront sans doute quand ils les mettront à l'infirmerie.
Ces réflexions ne l'empêchèrent pas de dévisager chaque personne qui passait devant lui. Cependant, l'héritier d'or ne put les voir tous car un garçon se déplaça, lui bouchant la moitié de la vue. Ce n'est pas grave, si les autres l'avaient vu, ils auraient sifflé et Falibi m'aurait appelé. Il jeta un regard rapide vers la jeune fille pour vérifier qu'elle était toujours là. Celle-ci n'avait pas bougé. Il revint au passage, tentant de se décaler pour se dégager la vue. Les surveillants transportant les cercueil de fer dans lesquels se trouvaient les corps arrivèrent. Elférad tenta de deviner qui se trouvait là en se basant sur la longueur des boîtes. Ça sert à rien. Maintenant, il sentait sa gorge se nouer et les larmes lui monter aux yeux en voyant les cercueils être amenés à l'infirmerie. Cependant, l'adolescent se ressaisit. Il inspira profondément, ferma les yeux et ravala ses larmes. Ils vont le dire maintenant. Ça ne sert à rien. Un sifflement... puis deux. Il bloqua sa respiration. Lyert a trouvé Floï et Pihiliié. Mais en cet instant, il n'arrivait pas à s'en réjouir complètement. La masse des élèves avait commencé à se déplacer, tendant les bras vers les indemnes, désireux de rejoindre leurs amis. La chaîne des surveillants commença à fatiguer.
-Elférad !
Il se retourna pour apercevoir Hiloy qui tentait de l'atteindre, ballottée par la foule :
-Je l'ai vu !
Le cerveau du garçon lui semblait marcher au ralenti. Floï et Pihiliié ? Lyert a... attends, iel les connaît pas. Il commençait à réaliser quand la voix dans le haut-parleur annonça :
-Weridas Mloufg. Zjuvc Yiyledmo.
Les morts. Ça, ce sont les morts, donc...
-Je l'ai, là-bas.
Il vit Falibi pointer la direction d'un des hélicoptères et Hiloy se tourna vers elle :
-Tu l'as trouvé aussi ?
-Oui, il est près de l'hélicoptère sur la droite. Le deuxième en partant de la droite.
Les surveillants avaient cédé. Une fois assurés que les engins étaient éteints et que tous les blessés et le personnel de soin avaient évacué la zone, ils laissèrent les élèves passer. Elférad se dirigea dans la direction indiquée par Falibi. Au fur et à mesure que les autres se dispersaient dans l'espace, il commença à y voir plus clair. Il trouva l'héritier d'argent appuyé contre l'un des hélicoptères.
-Gzadien !
L'adolescent se tourna vers le cri, permettant à Elférad de voir sa chemise couverte de sang. Il se raisonna avant de paniquer. Ce n'est pas le sien. Il aurait été envoyé à l'infirmerie sinon. Il accéléra le pas quand Gzadien fondit en larme en l'apercevant. Elférad le serra fortement contre lui :
-Tu veux me dire ce qu'il s'est passé ?
Gzadien lui rendit son étreinte, le visage au creux de son cou pour dissimuler ses larmes :
-J'ai essayé.... de l'aider... mais, je savais pas.... je savais pas quoi faire... et le truc est revenu...
Le reste se noya dans ses sanglots. Elférad s'agrippait à lui, s'en voulant d'être soulagé de pouvoir encore le voir pleurer. Quand ses larmes se tarirent, Gzadien s'écarta doucement. Il voulut s'essuyer les joues, mais arrêta son geste en apercevant sa main couverte de sang :
-Merde, j'en ai partout.
Elférad l'aida en utilisant sa manche.
-T'aurais pas un mouchoir ?
L'adolescent sourit en lui prenant la main :
-Suis-moi.
Gzadien se laissa guider vers la cabane où se trouvaient les cabines de douche. Elférad se dirigea vers l'immense armoire dans un coin de la pièce. Dedans se trouvait les tenues bleues, rangées par taille. Il en sortit une pour son petit-ami :
-Tiens. Prends d'abord une douche. Les serviettes sont à l'intérieur. Je t'attends dehors.
L'héritier d'argent acquiesça et Elférad attendit qu'il soit entré dans une des cabines avant de sortir. Il resta quelques instants assis devant la porte pour profiter de son bonheur, avant d'aller rejoindre ses amis.
Neghttris, Matior et Lyert se trouvaient en compagnie de Floï et Pihiliié. Alors qu'il se dirigeait vers eux, il aperçut Hiloy, Falibi, Rafirin, Nsoah et Tahiya sur sa droite. Falibi commença à s'avancer vers lui, mais Hiloy la retint :
-Non, laisse le tranquille.
Elférad remercia mentalement la Cinquième. Il n'avait pas vraiment envie d'être distrait de ce qu'il avait en tête. Lorsqu'il fut à la hauteur de ses amis, il demanda :
-Qu'est-ce qui vous est arrivé ?
Floï répondit :
-On s'est retrouvé bloqués comme des cons.
Neghttris précisa :
-La manivelle.
L'héritier d'or reprit :
-Ouais. Ceux qui l'ont trouvé nous l'ont montré avant qu'on entre dans le dernier bâtiment. La manivelle est passée de mains en mains. On est entré et au moment où on arrivait, enfin, tout en haut, de ce foutu labyrinthe...
Il ouvrit les mains comme un magicien qui vient de faire disparaître quelque chose :
-Disparue.
Elférad s'étonna :
-Vous l'avez perdue ?
Matior ne put s'empêcher de ricaner. Pihiliié lui envoya un coup léger pour le calmer. Ce qui eut pour résultat de l'énerver. Lyert les arrêta avant qu'ils ne se lancent dans une réelle bagarre. Floï les ignora, continuant de raconter :
-Exact. Un abruti, on ne sait pas qui, un abruti l'a laissée dehors. Du coup, impossible d'ouvrir le toit. On est resté coincés, comme des nuls, jusqu'à ce qu'ils nous ouvrent.
Elférad pointa l'infirmerie du pouce :
-Du coup, tous les blessés ?
-Ne sont pas de chez nous. C'est l'autre classe qu'ils ont ramené avec nous.
Elférad hésita. Il pouvait demander à Gzadien ce qui leur était arrivé, mais il risquait de ne pas aimer ça. Ou je demande à Floï directement. Neghttris le sortit de l'embarras :
-Tu sais ce qu'il leur est arrivé ?
Floï hésita :
-Pas trop. Juste des murmures qu'il y a eu pendant le trajet. Apparemment, ils étaient cernés par des Bestioles. Ils étaient sur les arbres, avec les passerelles. Ils n'ont pas pu descendre. C'est ce qui se dit en tout cas.
Elférad frissonna en imaginant la scène, puis se tourna vers le buffet :
-Merci, Floï. Je suis content que vous n'ayez rien. Désolé, il faut que j'y aille.
Floï lança alors qu'il s'éloignait déjà :
-Comment va Gzadien ?
Elférad réfléchit à ce qu'il devait répondre, mais ne put que dire :
-Je ne sais pas encore.
Tout en courant au buffet, il aperçut une jeune fille en larme, agenouillée au sol. Personne ne semblait se préoccuper d'elle, mais en faisant plus attention, l'héritier d'or remarqua qu'elle n'était pas la seule. Submergé par le soulagement d'avoir retrouvé ses amis, il avait un instant oublié que les trois morts avaient aussi eu des amis. Je la connais. Il lui fallut encore une seconde pour réaliser qu'il s'agissait d'une fille de son activité. Ce souvenir lui donna l'impression de venir d'une autre vie. Il aperçut Citseko qui faisait quelques pas vers elle, mais il fut devancé par le garçon au masque. Elférad se souvint sans vraiment savoir pourquoi que la première fois qu'il l'avait aperçut, il jouait avec son stylo. Elle lui avait demandé d'arrêter. Le garçon au masque, dont il n'arriva pas à se rappeler le nom, aida la fille à se relever et l'emmena à l'écart. Coupé dans son élan, Citseko retourna auprès de Meb.
Elférad retourna à l'assiette qu'il était en train de remplir avec tout ce qu'il pouvait. Ses amis ne tardèrent pas à le rejoindre et Neghttris eut un air amusé :
-Tu ne trouves pas que ça fait un peu beaucoup ?
Elférad répliqua :
-S'il était bloqué dans un arbre, allez savoir quand il a mangé pour la dernière fois.
Son ami lui fit doucement remarquer :
-Ils leur ont probablement posé la question sur le trajet et ils leur ont sûrement donné quelque chose.
L'héritier d'or respira profondément pour garder son calme :
-Oui, mais peut-être que c'était pas suffisant.
Lyert le regarda tranquillement :
-Il s'énerve, il est inquiet.
Elférad leva les yeux au ciel :
-Je ne suis pas énervé.
Neghttris lui prit son assiette des mains :
-Si, tu l'es, mais c'est pas grave. On s'en occupe. Il est où Gzadien ?
-A la douche.
Matior lui donna une tape dans le dos :
-OK, on te retrouve devant la cabine.
Elférad voulu reprendre son assiette, mais Neghttris l'écarta :
-Non, on t'a dit qu'on s'en occupe. Laisse faire les gens rationnels.
Je suis tout à fait rationnel. Cependant, il savait que ses amis n'agissaient pas ainsi sans raison et peut-être qu'au fond, il n'était pas si rationnel. Le jeune homme obéit donc et alla sagement s'asseoir devant la cabane. Il était à peine assis que Gzadien sortait. Elférad se leva aussitôt :
-Ça va ?
Gzadien se mit à geindre :
-Non, j'ai même pas eu droit à un bisous.
L'inquiétude d'Elférad s'évanouit aussitôt :
-T'as quel âge, franchement.
Gzadien ouvrit les bras :
-L'âge des bisous. Hein ? Oui ? Non ?
Elférad finit par obéir de bon gré. Ses amis arrivèrent quelques secondes plus tard :
-Vous dites si on dérange. On ira manger dans un coin.
L'héritier d'or s'arracha à l'étreinte de Gzadien :
-Vous avez apporté à manger ?
Matior répliqua :
-Évidemment, tu croyais qu'on faisait quoi ?
Il lui donna l'assiette qu'il avait en main, tandis que Neghttris donnait la sienne à Gzadien. Lyert leur donna un verre à chacun en disant d'un air guindé :
-Voilà. S'il n'y a rien d'autre pour votre service.
Elférad prit le même ton pour répondre :
-Non merci, vous pouvez disposer.
Ils s'installèrent à même le sol, tandis que leurs amis s'éloignaient pour les laisser tranquille.
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