28 juin 1989

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Nos manifestations se poursuivaient toujours. Ma mère avait participé à une rencontre à Budapest, en Hongrie. C’était un peu un genre de mise au point sur ce qui était en train de se dérouler en Transslavie. La chute commençait à se répandre comme une traînée de poudre. On avait eu peu de nouvelles de ce qui se passait là-bas, si ce n’est qu’à Sopron, vers la frontière autrichienne désormais, il n’y avait plus la barrière de barbelés.

Ma mère s’appelle Katarina Loukachenko. Avant de se retrouver cadre du Parti, elle avait fait des études d’agronomie puis des études de sciences politiques et a fini par se retrouver au gouvernement, car elle avait été repérée par ses professeurs comme étant une étudiante ambitieuse et qui avait du charisme. Du charisme, ça, je peux vous dire qu’elle en avait, surtout quand elle faisait la fête nationale avec son uniforme militaire, son long manteau et sa toque. Dans cet attirail, elle paraissait beaucoup plus dure alors que quand on était petit, avant de partir, elle nous prenait dans nos bras. C’était comme si elle rentrait dans une sorte de personnage. Parfois, on la voyait en arrière-plan des parades qui passaient à la télé. Son dernier défilé remontait au 25 mai pour la fête nationale.

Mon père était Hongrois, ça lui faisait tout drôle de savoir que son pays, qui avait toujours été une République Populaire, deviendrait simplement une République. Avant d’aller me coucher, j’ai entendu mes parents discuter. Ma mère était en larmes, mon père lui répondait.

- Je ne sais pas du tout comment je devrais réagir en sachant que mon pays devient une démocratie. J’ai eu des retours sur l’Ouest par certains de mes collègues, et c’est probablement vers ça que la Hongrie se dirige. Nous aussi peut-être qu’on aura notre régime qui va s’effondrer.

- Mais moi, qu’est ce que je vais devenir ? Sanglotait ma mère, on ne sait pas du tout comment calmer les gens et le régime hongrois va forcément inspirer les dissidents.

- Je comprends que t’aies peur. Seulement, tu sais aussi bien que moi que tu n’es responsable de rien et tu ne seras pas responsable de la chute de la Transslavie également.

- Pourquoi tu parles de malheur ? Répliqua-t-elle sèchement

- Parce que c’est la vérité, mais ça, tu refuses de le voir et tu sais pourquoi ? Parce que tu ne penses qu’à ta gueule, comme tes autres collègues.

- Je ne te permets pas de me parler comme ça, Marton ! Cria-t-elle

Je n’arrivais pas à m’endormir, j’avoue que moi aussi, j’avais peur et ce que disait mon père, ça avait beau être crédible ce qu’il disait, ça ne m’empêchait pas d’avoir peur de voir mon pays aussi s’effondrer. Au petit matin, au moment du petit-déjeuner l’ambiance était lourde, seul mon père était encore en pyjama à lire son journal du matin. Ma mère avait son uniforme militaire et était assise sur le canapé en train de cirer sa paire de bottes. Le silence était glacial, seul mon père me fit un sourire et me fit de la place. Ma mère nous dit froidement « Au revoir » puis partie. Mon père soupira.
- T’as dû entendre hier soir mon engueulade avec ta mère, j’imagine ?
Je ne pouvais pas mentir, alors je ne répondis pas.
- Je ne cherche pas à la démoraliser de ce qu’il va se passer, surtout que comme tu peux le voir toi-même, ça devient de plus en plus violent ce qui se trame ici, poursuivi-t-il d’un ton grave.
- Vous allez faire quoi pour nous ? Demandais-je en tartinant un morceau de pain
- Ta mère tient absolument à ce qu’on reste ici, il y aurait de l’espoir pour calmer les choses. Si tu veux, il y a une manif ce soir. Moi, je ne travaille pas, alors si t’as envie de venir avec moi viens.
- Mais on risque de se faire choper par les flics, ou pire.
- Ne sois pas une poule mouillée, fils.

Je ne le sentais pas. Finalement, le soir, on se rendit sur la place Stalingrad qui avait une énorme statue de Lénine pointant l’horizon avec son doigt. L’ambiance était sympa avec ces gens qui brandissaient leur pancarte et qui hurlaient « Kovalenko, casse toi ! Kovalenko, casse toi ! ». C’était vers dix-huit heures. L’unité anti-émeute de la Milice arriva avec plusieurs camions et des hommes sautèrent des véhicules avec leurs boucliers. Rapidement, ils firent une ligne avant de se mettre à taper contre leur bouclier avec leur matraque. Le bruit était impressionnant, mon père ne se laissa pas impressionner et les hua tout en faisant des doigts d’honneur. Il n’était pas le seul à faire ce geste.

Un des policiers avait un mégaphone et répéta « Nous vous demandons de vous disperser, sinon nous ferons usage de la force ! ». Cette phrase excita encore plus les manifestants qui commencèrent à déloger des pavés pour les jeter sur les flics. Ces derniers commencèrent à courir dans notre direction. Le mouvement de foule se fit dans le sens inverse, et moi, je fus à deux doigts de tomber par terre. Papa me prit par le bras, et des types avec des cocktails molotovs commencèrent à les jeter sur les flics. En me retournant, j’en vis qui se l’était pris sur le sommet de son casque. L’homme lâche sa matraque ainsi que son bouclier de surprise, avant de se mettre à hurler de douleur. Il se laissa tomber, puis roula, mais personne ne vint l’aider. Dans cet intervalle, je vis des manifestants se faire tabasser à même le sol avec des matraques. C’était violent. Il y a avait même un enfant qui s’était fait frapper par les flics. Une femme avait aperçu cette scène, et elle sauta sur le flic qui avait tapé le gamin.

A ce moment, ce fut quelque chose de surréaliste, mais le chef qui avait parlé avec son mégaphone était devant moi, entre la femme, son policier et moi. Le chef sorti de son holster puis tira dans la tête de la jeune femme, qui s’effondra par terre. Le coup de feu provoqua un énorme écho parmi toute la foule, je ne cherchais même plus à courir pour m’échapper, comme d’autres personnes. Certains crièrent, avant de s’enfuir, mais d’autres stoppèrent net leur fuite. Je regardai mon père qui me fit un regard à la fois apeuré et inquiet. Le chef de cette brigade se mit à reculer avec son arme dans la main. Il commença à s’excuser, mais cela ne marcha pas et un homme sur sa droite lui balança un pavé dans la tête. Le chef fit quelques pas sur sa gauche, sonné par le coup et chercha d’où venait la pierre. Puis un autre type en profita pour le bousculer et il se fit encercler avant que tout le monde ne commence à sauter sur lui pour le frapper.

J’en profitai pour me joindre aux autres, je parvins à lui arracher le casque. Il avait le visage plaqué au sol et hurlait. Quelqu’un ramassa son flingue et nous invita à nous éloigner. La balle partie dans sa tête. Les policiers arrivèrent tous pour nous disperser, ils étaient tous armés et tirèrent dans tous les sens pour nous faire fuir. Ça ne faisait que renforcer cette colère présente. Ils portaient tous des pistolets-mitrailleurs. Quand la fusillade commença, mon père me cria de courir. Il me suivait et on quitta cette maudite place en courant.

Je crois que c’était la première fois que nous parvenions à courir sans nous essouffler autant. En rentrant, papa se laissa tomber sur le canapé. Moi, je parvins simplement à m’asseoir sur la chaise de la cuisine, réalisant ce que je venais de vivre. Cinq minutes plus tard, maman rentra les larmes aux yeux et me prit dans ses bras. Moi aussi, je me mis à pleurer dans ses bras. « Je sais que vous étiez là-bas, bande d’enfoirés ! » Parvint-elle à siffler.
Quand nous eûmes tous repris nos esprits, elle nous prépara le repas toujours avec son uniforme. Pendant le repas, elle nous expliqua à quel point elle avait eu peur pour nous et qu’elle nous cherchait partout dans le quartier pour savoir où nous étions. On habitait à dix minutes de marche de la place de Stalingrad. Il lui semblait nous avoir aperçus de loin en train de courir.

Étrangement, elle ne cherchait pas à nous juger, même si la Transslavie représentait énormément pour elle. C’était une vraie chauvine. J’avais vu des articles de presse où elle était fière de représenter la Transslavie auprès des états amis, pas seulement en Europe, mais aussi Cuba, la Chine et des pays africains. On avait dans le salon une photo d’elle au côté de Fidel Castro qui était un homme très charismatique et très intelligent, selon ses dires. Je ne vous cache pas que pour le reste de la soirée, l’ambiance était très froide.

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