6 juillet 1989

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Je me suis senti un peu dépassé par les événements de ces derniers jours, alors ce n’est qu’aujourd’hui que je peux continuer d’écrire ce journal. Depuis le 1er juillet, on vit dans une sorte de régime très sécuritaire. Ce n’est pas dans le sens de « gouvernement » ou de « pouvoir » en place, mais plutôt... Je ne saurais pas comment le définir... Merde. Bref, c’est le bordel. On a des patrouilles militaires qui ont installé des blindés et les soldats surveillent tout le monde de manière suspicieuses. Ils peuvent même nous contrôler sans raison dans la rue pour nous fouiller. Les policiers servent simplement de renfort.

Je me suis fait fouiller mon sac, le mec m’a plaqué contre un mur et a déversé par terre le contenu de mon sac, car ça l’intriguait de voir un type comme moi se balader avec une besace. Quand ils sont partis, ils m’ont laissé me débrouiller pour tout ramasser. Je me suis senti vraiment humilié. Ils étaient complètement paranos, ces connards. Les journaux n’ont même plus peur de parler de début de guerre civile. Je pense que c’est le mot pour désigner ce qu’on traverse actuellement. Il y a une vraie contestation qui est légitime, mais ce sont des opposants qui sont plus que déterminés. J’ai entendu dire que dans certains villages de campagnes, les mairies commençaient à se faire brûler ! Mon père m’expliquait aussi que d’habitude, il tombait toujours sur des pilotes d’Aeroflot au terminal principal de l’aéroport, mais ces derniers jours, il en voit très peu et dans les vols retour il y a très peu d’étrangers, c’est principalement des Transslaves. Et encore.

A l’Académie des pilotes, on nous prépare à devoir rejoindre notre base d’affectation, car nous avons tous fait notre service militaire et donc on est amené à piloter aussi des appareils militaires. J’ai fait mon service dans une base aérienne non loin de la frontière polonaise. J’avais dix-huit ans et ça a duré pendant un an facilement. La seule chose qui était coole durant ce service, c’était de pouvoir piloter des avions pendant de longues heures, ainsi que les stages de survie en pleine forêt. Nous avions parfois des entraînements avec nos homologues du Pacte de Varsovie, mais on évitait de nous mélanger ensemble même si parfois pendant nos permissions, on se retrouvait dans des bars de la ville voisine.

Je sais très bien qu’en cas de guerre, mon rôle sera celui de copilote à bord d’un Iliouchine IL-76, un avion de transport avec quatre réacteurs. On nous faisait voler parfois quasiment au ras de la cime des arbres. La nuit, on passait au-dessus des fermes qui avaient leurs lumières allumées. A mon avis, on a dû réveiller beaucoup de fermiers comme ça. Ça valait aussi pour ceux qui pilotaient des avions de chasse et des hélicoptères, certains se faisaient plaisir d'essayer de battre des records personnels. Sauf que ces records pouvaient très mal tourner, c’est comme ça que j’ai perdu certains de mes camarades qui s’amusaient trop souvent avec ces avions. Un de mes amis d’enfance, Mikhaïl Soloviev, avait percuté, avec un Mig-15, une grange. On avait eu les témoignages des fermiers qui disaient que malgré tout, ils avaient vu deux formes à l’intérieur tentaient de casser la verrière. C’était de vraies torches humaines, personnes ne pouvaient les sauver et ce qui leur fut fatal fut l’explosion du réservoir.

J’ai énormément pleuré à ce moment-là parce que Mikhaïl avait toujours été avec moi, on avait grandi ensemble, c’était même plus qu’un ami, c’était un deuxième frère. Participer à une cérémonie me semblait absolument surréaliste, j’avais du mal à réaliser que dans un de ces cercueils se cachait le corps de mon meilleur ami. Lorsqu’on est en uniforme, on ne pleure pas, mais l’émotion y était. Le commandant de la base salua le courage des deux aviateurs tout en oubliant de dire qu’ils n’avaient même pas fait de carrière dans l’armée.

Tout ça pour dire qu’on s’attendait à recevoir un jour un appel de mobilisation pour rejoindre notre base d’affectation. Moi, j’étais à celle de Brado, j’avais de la chance et j’y étais surtout par piston. Mon frère, lui avait été dans un régiment de cavalerie, il était également officier de réserve sur un T-72 et, évidemment, il serait aux premières loges en cas de mobilisation. Le seul qui n’était pas concerné par ça, c’était mon père. Je l’enviais. Je n’avais pas envie de me retrouver un jour aux commandes d’un IL-76 pour larguer des parachutistes qui iraient massacrer des villageois, c’était horrible de se sentir coupable de crimes de guerre. J’en avais même discuté hier soir avec mon frère, nous étions d’accord pour tenter d’échapper à cette mobilisation.

Seulement, on savait très bien que nous étions pris pour des déserteurs, car nous refuserions de servir sous les drapeaux. Le règlement stipulait qu’en cas de désertion, on était passible de la peine de mort. Dans tous les cas, qu’on fuit ou qu’on se laisse enrôler, c’était la même chose, on risquait d’y passer.

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