4 septembre 1989

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On est en plein couvre-feu depuis trois jours maintenant. Interdiction d’être dehors après vingt heures, sauf circonstances exceptionnelles et on doit présenter un papier pour expliquer la raison de notre présence dehors. Sinon, on se fait arrêter et on est mis en garde-à-vue. Tout le monde est considéré comme suspect ici. Les gendarmes sont considérés comme des traîtres, de même que le maire qui a signé certaines lois dictées par les militaires. Hordienko passe parfois au marché, il a envie de montrer qu’au fond il est pour nous, mais il se prend des mauvais regards quand il passe quelque part. Sa femme s’est même fait exclure de la paroisse. La seule personne qui appelle à de la modération et à ce que l’on soit plus compréhensif, c’est le prêtre du village, le Père Piotr.

Je dois avouer que je ne sais pas trop quoi penser de son dernier sermon où il veut que l’on considère le maire, les gendarmes et ces soldats comme des humains, comme des nôtres alors que ce sont des traîtres. Mon grand-père était en train de nettoyer son fusil. Il l’avait entièrement démonté pour graisser chaque pièce.

- C’est dans ces moments-là que tu sais sur qui tu peux compter et quels sont ceux qui seraient prêts à te balancer pour se sentir récompensé, m’expliqua-t-il. Ca ne sert à rien d’être en colère, il a raison le père Piotr.
- Mais comment tu peux défendre un positionnement pareil alors que t’as vécu la guerre ? Demandais-je un peu choqué par ses propos
- J’étais un peu plus jeune que toi quand on a eu les Nazis et les Soviétiques qui ont débarqué ici. Dans les deux cas, j’ai eu des amis qui ont voulu aider les Allemands et ensuite qui ont fini par aider les Soviétiques. Moi, j’avais peur de ces deux armées alors j’ai aidé à faire du sabotage, mais j’ai failli me faire dénoncer, si je n'avais pas buté un de mes amis d’enfance. Moi aussi j’ai plus ou moins joué le même jeu que les autres.
- Ce n’était pas non plus la même chose, papy.
- Tu as raison. On vit une guerre civile, pas une guerre où on risque de se faire envahir par des puissances étrangères. Mais on vit quand même une guerre.
- Et là, tu vas aller de nouveau te battre contre une armée professionnelle avec une carabine.
- C’est pas parce que je suis vieux que je ne suis plus en âge de me battre, conclua-t-il en remontant l’arme.

Ma grand-mère était inquiète de voir son mari se comporter comme s’il avait encore vingt ans et ma mère avait peur qu’on ait des ennuis. Pour elles, et je partageais leur avis, ce n'était pas possible qu’il reprenne les armes alors qu’il n’avait plus sa forme physique d’antan. Gregor avait envie de se battre, et moi, c’était pareil. Mon père était aussi d’accord avec nous.

Aujourd’hui, on a eu une réunion avec certains villageois qui veulent prendre d’assaut la gendarmerie et la mairie. On est allé se réunir dans la cave de l’épicier, Yuriy Bodnar, avec dix autres personnes qui avaient au préalablement fait l’inventaire des munitions qu’elles avaient chez elle ainsi que des bouteilles en verre vide pour en faire des cocktails molotov. Yuriy avait dessiné sur un tableau un plan de la gendarmerie avec les étages administratifs et le rez-de-chaussée avec l’armurerie. On ne savait pas ce qu’il y avait dans l’armurerie, on savait que c’était une pièce avec une porte blindée. Un charpentier qui était présent, monsieur Petrov, avait un camion UAZ-452 avec un plateau où l’on s’installerait tous et où l’on ferait l’invasion du bâtiment.

Il y avait un autre groupe qui prendrait pendant ce temps d’assaut la gendarmerie, puis se scinderait pour aller au domicile du maire. Mon père fumait tranquillement sa cigarette en écoutant attentivement le briefing. Bodnar expliquait le plan puis conclut par « C’est une véritable trahison qu’on a vécue alors ils doivent tous payer pour s’être soumis à ces ordures de Brado ».

- On est au total une vingtaine de personnes, vous croyez vraiment qu’on parviendra à faire face aux militaires ? Demanda mon frère.
- A coeur vaillant, rien d’impossible, répondit avec un grand sourire Bodnar
- On a bien vu ce qu’ils ont fait à Grazny avant leur arrivée, ils occupent maintenant toute la partie sud de la Transslavie, il faut qu’on montre l’exemple à d’autres villages sinon on va se retrouver avec un village entièrement à leur merci, renchérit Pétrov
- Gorbatchev prévoit d’envoyer des renforts pour finir le plus rapidement ce conflit, répliqua un autre artisan. Si ça se trouve, demain, on va se retrouver avec l’Armée Rouge dans nos rues et là on va faire comment en sachant qu’ils sont plus forts que nous ?
- Il n’y a pas de rumeurs qui vont dans ce sens, répondit sèchement Bodnar
- De toute façon, les gars, vous avez bien vu ce qui vient de se passer en Hongrie en juin ? Commença un jeune plombier, vous voyez ce qu’on est en train de traverser ? C’est probablement la fin de notre régime et de nos alliés, on ne pourra plus compter sur les Soviétiques. Ca ne sert à rien de pronostiquer sur leur arrivée ou non.

Tout le monde se mit à ricaner, mais il avait raison ce Sergueï, le plombier. On ne savait pas du tout quel serait le prochain pays qui quitterait le « Rideau de Fer », comme l’avait appelé Churchill, mais on savait que ça arriverait. C’était même évident. Et c’était ça qui devrait interpeller de nombreux optimistes qui pensent que ça finira assez tôt, parce que c’est parti pour durer plusieurs mois, voir années.

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