16 septembre 1989
J’en suis presque à mon septième jour de captivité. Ils m’ont réveillé bien avant le lever du soleil avec un seau d’eau pour m’emmener encore faire un interrogatoire avec les mêmes questions et le même constat, mais cette fois, c’était une faire un interrogatoire avec les mêmes questions et le même constat, mais cette fois c’était une femme à l’air sévère qui l’organisa. Son chignon était bien préparé, son uniforme bien repassé, bien nettoyé et ses bottes bien cirées. On était allé beaucoup plus loin dans l’interrogatoire qu’hier.
- Aleksei, s’il y a d’autres personnes dans ton village qui menacent la sécurité des habitants, tu dois nous le dire, me dit-elle d’un ton agréable, tu n’as pas à te sentir coupable si des personnes sont victimes de la justice de notre pays. Il y a encore des lois, il faut les respecter. Ce n’est pas parce que nous sommes en guerre que nous devons toutes les oublier.
- J’en connais aucune, répondis-je en étant accoudé à la table.
Je voulais me rendormir, je ne savais même pas quelle heure il était, et elle me braqua une puissante lumière sur le visage. J’étais ébloui, les yeux fermés.
- Moins tu accepteras de répondre à nos questions, plus tu seras obligé de rester ici.
- Je ne connais pas tout le monde dans ce village. A partir de ce constat-là, vous croyez vraiment que je sais exactement qui pense quoi ?
- Tu as tes grands-parents qui y habitent, ta mère est née dans ce village, déclara mon interrogatrice. Si ce n'est pas dans ton voisinage que tu connais des rebelles, c’est peut-être ton grand-père ou ta grand-mère qui ont envie de se rebeller contre nous.
- Il n’y a pas plus loyaux qu’eux envers le gouvernement.
La femme me regarda avec un petit sourire, puis tapa à la porte. Quelques instants plus tard, un homme lui tendit des documents remplis de photos. Elle me les tendit une à une. Ces photos montraient mon grand-père se rendant ces derniers jours régulièrement chez Bodnar, ils se serrèrent la main et elle me donna même une feuille retranscrivant une mise sur écoute d’une discussion qu’il avait avec des amis et ma grand-mère durant un repas quelques mois auparavant.
- Ton grand-père évoquait il y a quelques mois la possibilité de se remettre au trafic d’armes, comme il faisait durant la guerre. J’imagine que c’était un secret de famille.
A tous les coups, c’était forcément un piège, mais j’avais quand même envie de tenter une réponse qui était risquée.
- Je l’ignorais. Mais je peux vous assurer qu’il a toujours apprécié Golenko, il était reconnaissant de l’envoi d’outillages agricoles dans le village ainsi que la protection menée par la gendarmerie.
- Alors pourquoi étais-tu avec eux en train de voler des armes et n’as-tu rien fait pour empêcher l’assassinat de ces hommes ? D’ailleurs, tes camarades vont être prochainement fusillés et tu pourrais connaître le même sort qu’eux. Ton père et ton frère aussi.
- C’était un moment de colère que j’ai eu et que je regrette, bougonnais-je.
Je ne savais plus quoi dire. Elle me faisait peur, cette femme. J’avais peur de finir comme ceux que j’entendais mourir d’une balle dans la cour de la prison en pleine journée. J’avais l’impression que si je continuais de parler plus, je finirais par passer par le peloton d’exécution et si je disais rien, le même sort me serait réservé. Je ne savais plus quoi faire. Ce qui me surprit, c’était le petit sourire qu’elle se mit à me faire. Ce n’était pas un sourire pervers, mais qui paraissait sincère. Elle refit son chignon, puis fit sortir les gardiens et coupa la bande magnétique.
- Bon écoute Aleksei, je suis désolée de te faire peur. Vraiment. Me dit-elle en me regardant droit dans les yeux. Je veux que tu t’en sortes, et c’est bien que tu sois parvenu à fuir la mobilisation.
- Pourquoi vous jouez un double-jeu ? Vous croyez que c’est comme ça que je serais plus coopératif, c’est ça ? Vous croyez que je vais vous livrer mes grands-parents et tout ceux qui ont une dent contre les troupes de Vasilenko ?
- Tant que j’ai des noms, je m’en fous de savoir s’ils sont innocents ou non.
- Je me fais violenter depuis plusieurs jours et vous avez envie que des personnes qui n’ont rien à se reprocher se fassent torturer ?
- Je n’ai pas dit ça. J’essaie de te sauver la peau.
- Vous me sauveriez la peau si vous me relâchiez.
Elle se leva, puis me regarda droit dans les yeux. Elle soupira cinq minutes plus tard, puis dit.
- On est plusieurs à faire juste notre part du taf, mais on pense comme toi, ton père et ton frère. Les gars qui te surveillent, t’as de la chance, ils sont avec moi. On essaie d’aider la dissidence, mais c’est compliqué et si jamais on est découvert, on sera condamné à mort.
- Vous allez faire quoi pour nous ?
- On va essayer de trouver un plan pour vous faire évacuer tous les trois.
- Mais encore
- Bon écoute, tu vas retourner dans ta cellule maintenant ! Se mit-elle à déclarer en se levant et en me remettant les menottes.
Les gardes revinrent pour me foutre dans ma cellule. Je marchais devant ces grilles avec des prisonniers qui semblaient ne plus avoir d’espoir de s’en sortir. A mon avis, ça faisait seulement quelques semaines que les plus anciens étaient là ou alors peut-être que c’étaient des taulards qui devaient sortir récemment et qu’on continuait à maintenir ici alors qu’ils avaient déjà purgé leur peine. Je n’en sais rien. Mais en tout cas, voir certains me regarder avec un regard triste, parfois un regard fou et parfois en entendre hurler d’hystérie, ça me mettait terriblement, mal à l’aise et pour être encore plus franc, ça me faisait même peur.
Je ne savais pas du tout à quel point cette interrogatrice disait la vérité ou si elle bluffait. J’attendais qu’on vienne me sauver, mais je crois que c’est peine perdue.
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