Quintidi 15 ventôse
Chèvre

En passant à côté du sapin, je m’y accroche avec une certaine brutalité. Je m’agrippe à ses branches et les secoue comme si ma vie en dépendait. L’une plie sous ma force mais je m’en contre-fiche et ne lâche toujours pas le pauvre arbre. À force de grincements, la branche lâche et tombe violemment sur le sol. Je dirai que ce n’était pas moi, ou que c’était déjà abîmé avant que je ne passe. La branche suivante me résiste et je me lasse de ce petit jeu, pour repartir si vite que l’on ne me voit pas. Je nierai toute accusation.

Je vois un homme devant sa maison. Il sort avec peine de sa voiture, et je m’amuse à lui arracher la portière des mains. Il peste contre moi, mais je ne m’en offusque pas et repars avec une certaine satisfaction. Je longe les murs pour m’élancer haut dans le ciel. Je me glisse ensuite dans la cheminée et me trouve bloqué dans un étroit espace, cherchant la porte de sortie. Je remonte alors aussi vite que je suis descendu. Je retourne dans une rafale auprès de l’homme, et cherche à dérouler sa légère écharpe qui le protège du froid. Malheureusement, il remarque mes intentions et m’empêche d’arriver à mon but. Lorsqu’il claque sa porte devant mon nez, je souffle fort et part de nouveau.

Arrivé en ville, j’avise une femme en tenue de gendarme et fixe son calepin avec avidité. Je m’empare de la première feuille au moment où elle décide de la détacher et de la coller sur le pare-brise d’une voiture. J’amène le petit bout de papier à quelques mètres et le dépose doucement sur le sol. J’entends la femme jurer contre moi et si je pouvais sourire, je l’aurais fait. Je lui soustrais le papier une nouvelle fois alors qu’elle en approche sa main. Le coup suivant, elle ne se laisse pas faire et feinte en posant son pied dessus avant que je ne lui enlève.

Alors je m’en vais regarder les alentours. Je grimpe dans le ciel, taquine l’aile d’un oiseau, le déséquilibrant. Mais ceux-là sont bien plus intelligents que les hommes. Ils savent apprivoiser mes courbes que je finis toujours par leur offrir avec une immense joie. Ils savent que je suis joueur et décrivent des acrobaties que je me surprends à suivre avec bonheur. Certains pourtant, n’apprécient pas que je les dérange. Ils secouent alors leurs plumes pour me tenir à distance et je cède, partant autre part.

Ce que je préfère, lorsque j’en ai le temps, c’est jouer au-dessus des vaguelettes des eaux. Les courants marins se mélangent à moi au milieu de l’écume, et c’est toujours un plaisir de flirter avec eux. Je glisse sur les creux des rochers dépassant des profondeurs, et en sèche les sommets. Je percute avec violence une voile de bateau, et la gonfle de ma force. Je m’enroule dans les cordages et soupire le long des coques, imitant les dauphins. Ensuite je remonte le cours d’une rivière en quelques secondes, repoussant l’eau dans son sens contraire. Je fais tourbillonner les feuilles des arbres au pied des ponts. Je pousse au passage de nombreux insectes loin de leur destination initiale.

Me voilà alors revenu dans cette forêt de sapins. Je retrouve l’arbre que j’ai fait souffrir aujourd’hui-même et le regarde d’un œil nouveau. Je me love entre ses branches et joue doucement avec ses épines. Je m’attache à son tronc et le caresse de mes moites soupirs. Mon tempérament changeant en surprennent plus d’un, et les hommes ne me supportent plus lorsque je modifie mes intentions. Je me calme alors en ces branches accueillantes et m’endors jusqu’à la prochaine fois où je partirai embêter les hommes et les bêtes. J’irai titiller les chèvres de mon souffle froid.