Chapitre 1 - La prophétie

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  Ce matin-là, alors que le printemps montrait le bout de son nez, les Bommerayns sentirent que quelque chose était sur le point de changer radicalement leur vie. Du haut de leur Arbre, l’air leur apporta des effluves sinistres. Au lointain, de gros nuages gris s’amoncelaient dans l’air matinal, présage de mauvais augure.

  Aldaríon, le Chef, soupira longuement face à ce spectacle. Des nouvelles étaient parvenues des terres de l’ouest jusqu’à leur clairière, et ces dernières n’étaient guère rassurantes. Le peuple des Hommes grandissait dans leur folie et cela n’était pas sans conséquence. De nombreux peuples et créatures étaient assaillis par les Hommes, avides de pouvoir et de puissance. Choses qu’Ils n’étaient guère en mesure d’appréhender ni de contrôler.

- Père ?

  Le Chef se retourna et regarda le visage inquiet de son fils aîné.

- Que se passe-t-il, Erynion ?

- Une autre branche de l’Arbre se meurt, Père. Du côté Ouest.

  Le père et le fils quittèrent la balustrade et se dirigèrent vers les quartiers ouest de l’Arbre. Les autres Bommerayns les regardaient passer avec une expression inquiète et anxieuse. Depuis quelques temps, l’Arbre sur lequel ils vivaient tous depuis la nuit des temps était tombé malade. Branches après branches la vie refluait lentement, ne laissant qu’un squelette organique pourrissant là où le fluide vital avait déjà déserté son hôte. Plusieurs quartiers avaient été ainsi abandonnés, les pauvres Bommerayns ne laissant derrière eux que des carcasses noires rabougries et sans vie. Quand Aldaríon arriva au quartier ouest, il vit, comme trois fois déjà auparavant, le sinistre que la maladie de l’Arbre avait commis. Seulement cette fois, la zone sinistrée était beaucoup plus étendue que les précédentes. Au lieu de l'extrémité, c’était l’entièreté de la branche qui était atteinte et des veinures noires s'étendaient vers le tronc, comme une infection se déplaçant jusqu'au cœur.

  Le Chef mit un genou à terre et pausa la paume de la main sur l’écorce empoisonnée. Du plus profond de l’arbre lui parvinrent des ondes de tristesse et de noirceur, une noirceur nouvelle et pleine de puissance. La folie des grandeurs des Hommes était plus destructrice que le vieux Chef n’avait bien voulu l’admettre. Il restait peu de temps au petit peuple. Se redressant, Aldaríon adressa quelques mots de réconfort aux regards inquiets tournés vers lui et déclara qu’il tiendrait un conseil le soir même.

  Le soir venu, le peuple des Bommerayns s’était rassemblé sur la place du conseil, au centre même de leur arbre. L’endroit baignait dans la lumière des rayons de lune qui dansaient mélancoliquement dans la nuit étoilée. Les feuilles bruissaient doucement au rythme de la brise printanière. Le Chef Aldaríon siégeait en face de l’assemblée entre ses deux enfants, Erynion à sa droite et sa fille Calliawen à sa gauche. Tous restaient silencieux. Enfin, Aldaríon se leva et prit la parole.

- Mes chers amis, dit-il, l’heure est grave. L’arbre sur lequel notre peuple vit depuis des centenaires se meurt depuis quelques temps d’un mal nouveau. Un mal incurable, je le crains.

  Des murmures agitèrent l’assemblée. L’inquiétude se lisait sur la plupart des visages tournés vers Aldaríon. Voir cette peur contenue sur le visage des siens lui était intolérable.

- Cela veut-il dire que nous allons devoir partir, père ? demanda Erynion.

- J’en ai bien peur malheureusement. Si nous restons sur place, en attendant la suite des évènements, c’est notre peuple lui-même qui risque d’être touché par ce mal. Mais ne perdez pas tout espoir, ajouta-t-il, nous ne sommes pas condamnés. Il existe un endroit ancestral lié par la souche au peuple des Bommerayns. Un lieu destiné à nous accueillir le moment venu. L’Arbre de Lumière nous attend dans les contrées du Sud, un nouveau foyer à l’abri des affres du monde.

  L’assistance, qui était redevenue silencieuse pendant qu’Aldaríon parlait, repartit de nouveau dans des murmures animés. Une question fusa alors soudain du milieu de la foule :

- Mais comment allons-nous parvenir à cet Arbre de Lumière ? Savons-nous seulement où le trouver?

- Il existe une prophétie vieille de plusieurs générations contant l’exode de notre peuple à l’aube d’une nouvelle ère de ténèbres et de malheurs. Ces troubles marqueraient le départ de notre peuple vers ce nouveau refuge qu’est l’Arbre de Lumière – selon cette prophétie, il nous faudrait traverser les bois méridionaux pour parvenir jusqu’aux terres du roi sylvestre. Une aide précieuse et inattendue viendrait alors à nous et nous accompagnerait jusqu’au salut de notre espèce.

  Une nouvelle fois, le silence gagna l’ensemble des Bommerayns tandis qu’ils considéraient leur chef pour qui ils avaient énormément d’admiration et de respect. Dès qu’il avait hérité du titre de chef, Aldaríon avait veillé avec sagesse, discernement et bienveillance sur son peuple. Mais malgré la confiance que tous lui vouaient, le petit peuple ne put réprimer l’once éphémère de crainte et de doute qu’ils éprouvèrent face à la solution que proposait Aldaríon.

- J’ai conscience que la situation peut mettre à mal la foi de plusieurs d’entre vous ; admettre que la seule chance de survie qui nous est offerte repose sur une prophétie centenaire et une légende plus vieille encore en découragerait plus d’un, dit Aldaríon en se levant.

  Il était incroyable de voir avec quel calme et quelle assurance le chef ramenait la confiance sincère dans le cœur de ses Bommerayns.

- Mais c’est là justement que se trouve notre force, poursuivit-il avec chaleur. Là que se trouve l’essence même de notre peuple. Croire en ce qui semble impossible, et en toutes sortes d’autres choses. Le simple espoir que fait naître la possible existence d’un lieu, d’un objet, d’un être nous anime du feu sacré des rêves. Les rêves et l’imagination nous définissent ; croire est ce que nous sommes.

  Aldaríon se tut un instant, laissant l’air printanier s’imprégner de ses paroles. Ses enfants, Calliawen et Erynion, se levèrent de leur siège où ils étaient restés jusqu’à présent et se placèrent aux cotés de leur père. L’atmosphère, malgré les ténèbres qui menaçaient de leur ampleur lointaine mais grandissante, semblait baignée d’une aura dorée. Tous ensemble, les Bommerayns faisaient face à la noirceur qui avait commencé à empoisonner leur arbre et qui, l’espace d’un instant, avait failli atteindre leurs cœurs purs et innocents.

  Les ténèbres étaient trop puissantes pour permettre à leur Arbre de survivre dans ces temps où la magie, les rêves et l’imagination semblaient régresser et disparaître peu à peu. Mais les Bommerayns, eux, venaient de trouver au plus profond d’eux-mêmes la force et la détermination nécessaire pour lutter.

- Je ne dis pas que cela sera facile, reprit Aldaríon. C’est une quête ardue qui nous tend les bras. Cependant, chers amis, je sais que nous pouvons y arriver, et ce tous ensemble. Je sais que nous trouverons l’Arbre de Lumière dont parle la prophétie. Ce nouveau foyer qui n’attend que nous. Je le sais, car j’y crois. J’ai foi en la prophétie, en notre destin. Et par-dessus tout, j’ai foi en vous. Peu importe les dangers qu’il nous faudra affronter, nous y arriverons. Êtes-vous avec moi ? Y croyez-vous, vous aussi ?

  Une salve d’applaudissements répondit aux questions du chef, emplissant la place du conseil de mille et une crépitations d’espérance.

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