Chapitre 1
« Comment ça va avec Pauline ? demanda Samuel inno-cemment. Ça va bien faire deux mois que vous êtes en-semble, n'est-ce pas ?
— C'est ça, ça va bien. »
Loïc préféra ne pas s'étendre. Il savait que dans l’entreprise où ils travaillaient, depuis le jour où Pau-line et lui avaient été surpris à s’embrasser devant l’entrée, l'information s'était répandue comme une traî-née de poudre. La petite secrétaire du directeur des res-sources humaines qui sortait avec le petit gars du ser-vice informatique, il y avait de quoi alimenter de nom-breuses conversations.
D'autant que personne ne l'avait vu arriver. On les avait certes croisés assez souvent ensemble en train de fumer une clope, mais tout le monde n'avait vu là que deux simples collègues qui discutaient. Et en vérité, au dé-part, c'était le cas.
Pauline n'entrait pas dans les canons esthétiques habi-tuels de Loïc, même si, avec le recul, il n'avait jamais été insensible à son charme. Elle était intelligente, incisive à certains moments, et gentiment naïve à d'autres. Elle avait dans tous les cas, cette capacité à mener une dis-cussion tambour battant. Même si souvent, leurs échanges ainsi tenus n’aboutissaient nulle part, l'essen-tiel était d'avoir stimulé les neurones des deux parties.
Loïc avait été séduit jour après jour, petit à petit. De fil en aiguille, il avait fini par inviter Pauline à boire un verre, le soir de son anniversaire, alors qu'il rentrait d'un week-end passé chez ses parents. Cette soirée-là avait été un peu magique, là où Loïc avait vu ça comme un premier rendez-vous, afin de faire connaissance, en pratique, Pauline et lui, au fil de leurs discussions sur leur lieu de travail, avaient dépassé ce stade. C'est ainsi que Pauline lui avait offert le plus beau des cadeaux en l'embrassant.
Depuis lors, deux mois s'étaient écoulés. Autant le pre-mier avait été plutôt planant, le second avait commencé à montrer des petites tensions dans le couple. Loïc en était conscient, mais compte tenu d’un certain manque d'expérience, il envisagea la possibilité que cela ne soit que temporaire.
« Tu n'as pas l'air d'être très convaincu.
— C'est juste un peu de fatigue. Je n'ai pas bien dormi cette nuit...
— Ok, ok... Ce n'est pas parce que je demande comment ça va que je te demande des détails sur ta vie intime. »
Samuel tapa sur l'épaule de son ami, avant de se mettre à rigoler d’un rire gras, typique du collègue de boulot un peu beauf. Loïc soupira et détourna la tête. Ses yeux se baladèrent de table en table avec une certaine lassi-tude, mais bientôt, son regard croisa la jeune serveuse qui leur apportait les plats et l'addition. Celle-ci lui sourit, comme tout le temps, mais d'un sourire qui n'avait rien de celui qu'elle pouvait faire aux autres clients.
« Un de ces quatre, cette nénette va te manger tout cru. Je veux bien en mettre ma main à couper ! » lui souffla Samuel à l’oreille.
Il était vrai que la petite serveuse avait très tôt montré un intérêt particulier pour Loïc. Chaque fois que c’était possible, elle lui accordait un traitement de faveur, d’autant plus flagrant qu’elle le refusait aux autres clients dans le même temps.
Mais qu'est-ce qui lui avait valu de telles faveurs ? Loïc n'en avait aucune idée. Au lieu de se contenter des échanges banals habituels dans ce genre de situation, il avait décidé de sortir des sentiers battus. Déjeuner après déjeuner, il avait instauré un petit rituel unique entre eux, basé sur les réponses qu'elle avait données au fil du temps.
« Et vous, comment vous imaginez-vous dans dix ans ? »
La petite serveuse avait cligné des yeux et relevé la tête pour fixer un point imaginaire dans le vide.
« Photographe, peut-être. Avec un grand appartement et un ou deux enfants ?
— C’est bien. J’aimerais pouvoir me projeter comme vous. Mais j’ai déjà du mal à savoir ce que je vais faire dans deux semaines. Dix ans pour moi : c’est bien trop loin ! »
Et c’était ainsi que repas après repas, en moins d’un mois, il avait grappillé bribe par bribe, plein d'informa-tions sur la petite serveuse. Que comptait-il en faire ? Il ne savait pas vraiment et clairement, il n’avait jamais réalisé qu’il avait ainsi tissé un lien ténu mais durable entre eux.
Elle, en revanche, semblait l’avoir bien remarqué et c’est ainsi que ce jour-là, au moment de l’addition, pen-dant qu’ils parlaient du dernier film qui allait sortir le mercredi suivant, elle gribouilla quelque chose derrière le ticket de caisse.
À cet instant précis, Loïc avait tourné la tête vers un de ses collègues et ne l’avait pas vue faire. Il ne découvrit donc ce qui était écrit que quelques minutes plus tard, quand il arriva devant l’entrée de son lieu de travail.
« Je suis curieux de savoir ce qu’elle t’a écrit tout à l’heure, lui fit Xavier, un autre collègue.
— Ce qu’elle m’a écrit ?
— Ouvre les yeux, Roméo. Regarde au dos de ton tick-et. »
Loïc fouilla dans sa poche arrière de pantalon pour res-sortir le bout de papier tout chiffonné.
« Maxine, 06.12.34.56.78 : appelez-moi un de ces soirs si ça vous dit de sortir pour un ciné ou boire un coup. »
En lieu et place d’une signature : un petit cœur dessiné, comme l’aurait fait une enfant.
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