Chapitre 2
Comment devait-il réagir ? Loïc n’y avait pas réfléchi. Il n’était plus célibataire et envisageait donc assez logiquement de ne pas donner suite. Il n’en resta pas moins troublé, au point même qu’assis dans le canapé de l’appartement de Pauline, alors qu’ils avaient décidé de dîner ensemble ce soir-là, il raconta innocemment l’anecdote sans imaginer que sa petite amie du moment puisse en faire cas.
« Je te jure, il m’arrive des trucs bizarres, parfois. Je ne sais même pas ce que je dois répondre » avait-il dit sur le moment.
Et il n’avait rien fait en fin de compte. Il avait juste conservé ce message au fond de son portefeuille et l’avait oublié pour continuer de vivre ou du moins, tenter de vivre pleinement sa relation avec Pauline.
Un mois et demi s'écoula avant que ce document ne réapparaisse, lors d'une dispute finale portant sur leurs attentes incompatibles et le rythme auquel ils envisageaient de franchir les étapes hypothétiques d'une relation de couple, ce qui conduisit finalement à leur rupture.
Ce soir-là, Pauline mit Loïc à la porte de chez elle et celui-ci à quelques kilomètres en tram de chez lui, décida de marcher en direction du centre-ville pour encaisser le coup.
Il avait le cœur lourd et la tête envahie de plein d’incompréhensions. Il n’avait pas envie de rentrer chez lui. Il aurait voulu avoir un ami à appeler pour parler mais à l’époque, il n’en avait pas. Cinq ans après son déménagement dans la région et dans cette ville, Pauline était devenue sa première amie et de fait, en réalité, leur relation avait évolué bien au-delà de l'amitié. C’est ainsi que manipulant nerveusement son portefeuille comme une espèce de boule anti-stress, il vit l’angle du bout de papier que lui avait donné la petite serveuse.
L’idée de l’appeler ce soir-là, lui parut saugrenue car il n’avait pas répondu à son message depuis un mois et demi. Quand il l’avait revue, il avait même soigneusement esquivé le sujet en faisant comme s’il n’avait pas vu le mot. Mais pourquoi ne pas tenter le coup après tout ? De toute manière, elle n’allait sûrement pas répondre positivement, comme cela, au pied levé, à une telle sollicitation.
« Allo ?
— Allo.
— C’est Loïc, le client du restaurant où vous travaillez le midi.
— Je sais, dit-elle avec une pointe d'enthousiasme non dissimulée. J’ai reconnu votre voix.
— Je suis désolé de ne pas vous avoir contactée plus tôt. En fait, je ne savais pas trop quoi faire. Mais bref, je voulais savoir si vous vouliez boire un coup ou manger un morceau quelque part, ce soir. Je sais que je propose ça comme ça, un peu à l’arrache mais voilà…
— Vous avez de la chance. Je ne travaille pas ce soir sinon cela aurait été compliqué. Vous voulez qu’on se rejoigne où ?
— Sur la place des Martyrs ? Ça vous va ?
— C’est la grande place du centre-ville ?
— Parfaitement.
— Et quand ?
— Moi, je peux y être d’ici dix minutes.
— Moi, ce sera un peu plus long, faut que je prenne la voiture. Je suis assez loin du centre.
— Pas de souci, prenez votre temps. C’est moi qui vous prends à l’improviste.
— Une demi-heure ? Je vous appelle quand j’arrive. »
Loïc raccrocha et resta un moment un peu interloqué par la simplicité de l’échange. Elle n’avait pas posé de questions sur la raison de cette invitation impromptue. C’était étrange mais tellement simple à côté de la prise de tête avec Pauline, troublant mais attrayant. De toute manière, il venait de l’inviter à passer la soirée ensemble, il ne pouvait plus revenir en arrière.
*
Une demi-heure plus tard, Maxine apparut à l’angle de l’artère principale. Elle était tout de rose vêtue, dans une robe à volants qui lui tombait à mi-genoux. Loïc vit son regard faire le tour de la place avant de s’arrêter sur lui, et elle leva la main pour lui faire signe qu’elle venait le rejoindre.
« Excusez-moi, je dois avoir l’air d’une folle, fit-elle en arrivant à son niveau et en passant une main dans ses cheveux pour illustrer son propos. Je ne m’attendais pas à votre appel.
— Moi non plus à vrai dire » fit Loïc en guise de réponse avec un petit sourire qu’il ne put retenir.
C’était lui qui l’avait appelée complètement à l’improviste et c’était elle qui s’excusait. Le monde marchait sur la tête et elle, était une sorte de boisson rafraîchissante pour lui faire oublier ses feus problèmes de couple ?
« En revanche, on va régler tout de suite un détail…
— Quoi ? lui fit Maxine l’air un peu inquiète, entendu le ton qu’il avait employé.
— Désolé, s’empressa de rectifier Loïc qui le réalisa dans la foulée. Rien de grave, mais si ça ne te dérange pas, je pense qu’on peut se tutoyer. On a sûrement une petite différence d’âge mais pas assez pour que tu continues à me donner du vous, ou du Monsieur, toute la soirée. »
Les yeux de Maxine se mirent à briller, comme si elle n’avait attendu que cela durant toute sa vie. Loïc était heureux qu’elle accueille sa proposition de manière positive mais cet enthousiasme le surprit un peu. Peut-être que la dispute avec Pauline l’avait rendu hypersensible et que c’était lui qui se faisait des idées.
« Tu as mangé ? »
Maxine fit non de la tête.
« Je te propose, disons : la pizzeria ? Désolé, ce n’est pas très original mais je ne connais pas tes goûts.
— Alors, non. Mais ce n’est pas une question de goût, c’est juste que c’est là que je travaille trois soirs par semaine et principalement le week-end. Donc, je n’ai pas trop envie de croiser ni mon patron, ni mes collègues.
— Ok, c’est compréhensible. Désolé, je ne savais pas. Sinon, si tu aimes les mix salades et viandes, les Chardons Ardents, tu connais ?
— Juste de nom, mais je valide. »
Ils se mirent alors en route. Il y eut une petite minute de silence car aucun des deux ne savait trop comment enchaîner.
« Je peux savoir pourquoi tu m’as appelée, ce soir particulièrement ? Cela fait un bon mois et demi que tu as mon numéro. Je croyais même que tu avais jeté le ticket de caisse à la poubelle sans lire ce qu’il y avait au dos. »
Loïc se pinça les lèvres. Évidemment qu’elle allait poser cette question. Mais il ne l’avait pas anticipée et donc, il devait improviser une réponse : chose avec laquelle il était particulièrement mauvais en général. Cela dit, sûrement en réaction avec la dispute qu’il avait eue avec Pauline et son manque de courage à mettre les problèmes sur la table pour les résoudre, il fit le choix de la transparence. C’est ainsi qu’il se mit à lui raconter son histoire avec son ex et leur rupture.
Il était évident que, sauf muflerie totale de la part de Loïc, Maxine n’allait pas prendre le parti de Pauline. Malgré cela, Loïc apprécia tout de même les réflexions de Maxine qui abondaient dans son sens.
*
Dire que la soirée se passa bien eut été un euphémisme. Loïc n’avait jamais expérimenté une rencontre où rien ne clochait. Durant le dîner au restaurant, une partie de la conversation fut encore consacrée à Pauline mais Loïc essaya bien vite de changer de sujet et de le recentrer sur eux afin d’en apprendre l’un sur l’autre.
Maxine venait d’avoir vingt-trois ans, elle était sortie du système scolaire depuis à peine un an et après avoir fait quelques petits boulots de vendeuse, elle avait atterri dans la restauration. Ce n’était pas le job de ses rêves mais le planning lui convenait. Il lui permettait d’être libre le matin quand elle reprenait à onze heures pour le service du midi et d’avoir aussi un peu de temps l’après-midi entre quinze et dix-neuf heures pour le service du soir. En ce qui concernait le salaire, c’était une autre histoire : surtout au regard des tranches horaires du soir et en week-end qui débordaient bien souvent au-delà de minuit et qui n’étaient pas comptabilisées. Bref, de toute manière, elle ne comptait pas faire serveuse toute sa vie : son rêve était de devenir photographe. Lorsqu’elle en parlait, il était évident qu’il s’agissait de sa passion. La première chose pour laquelle elle avait économisé, c’était un vrai appareil photo professionnel, numérique bien sûr, car elle n’avait pas les moyens d’autre chose. Mais voilà, elle touchait ainsi du doigt l’activité dans laquelle elle se voyait prospérer dans l’avenir.
« Et toi, c’est quoi en vrai ton métier ? demanda-t-elle. Parce que quand vous parlez boulot, toi et tes collègues, je n’arrive pas trop à cerner. »
Loïc ne put s’empêcher de rire.
« Pour faire simple, on va dire que je fais de l’informatique.
— Tu répares des ordis ?
— Non.
— Tu développes des programmes ?
— Non plus.
— Bah. Je ne sais pas… »
Loïc finit par lui dire de ne pas se préoccuper de cela. Un jour, il lui expliquerait en détail mais il n’avait pas envie de faire l’exercice ce soir-là.
Ensuite la discussion bifurqua sur les domiciles.
« Ah mais tu habites sur ma route, fit Maxine. Cela te dit d’aller dans un pub ? C’est à côté de chez toi. Je suis en voiture. Je t’emmène et on se pose pas loin de chez toi pour terminer la soirée là-bas ? Qu’est-ce que tu en dis ? »
Ce qu’en disait Loïc ? C’était parfait. Il passait sûrement l’une des meilleures soirées de sa vie : qu’aurait-il eu à redire ? Ils embarquèrent donc dans la petite voiture de Maxine et Loïc lui indiqua où se garer sur le parking de sa résidence. De là, ils marchèrent sur quelques centaines de mètres pour atteindre le pub.
*
Il devait être pratiquement minuit lorsqu’ils entrèrent dans l’établissement et n’en ressortirent que vers deux heures du mat lorsque la cloche retentit pour signaler la fermeture. Ils avaient beaucoup parlé mais ils avaient aussi beaucoup bu et le retour sur le parking s’éternisa un peu sans que cela les inquiète le moins du monde. Au contraire, comme ni l’un ni l’autre ne semblait résolu à mettre fin à cette soirée, ils prirent leur temps.
Cette nuit était comme un manège où les étoiles dansaient au gré des coups d'épaule que Maxine donnait pour attirer l’attention de Loïc. Lui ne comprenait pas un mot de ce qu'elle babillait mais à cette heure tardive, ce n'était sûrement plus très grave. Il s’enivrait seulement de son haleine empreinte d'alcool qui s’associait tout en douceur aux nuances fruitées d’un parfum plein de touches enfantines. La nuit avançant, l'air commençait à se rafraîchir, alors, dans un réflexe protecteur, Loïc l'entoura de son bras et elle ne s'enfuit pas, bien au contraire. C'était une drôle de soirée et une drôle de nuit. Une première vraie rencontre, mais lui autant qu’elle s’en fichait. C'était un peu comme s’ils avaient été des amis d'enfance. Comme s’ils se connaissaient depuis longtemps.
Ils s’arrêtèrent finalement sur le parking de la résidence. À quelques centaines de mètres, ils pouvaient voir les lumières de la grande route et de la zone commerciale.
« Il va peut-être falloir que je te ramène chez toi. » fit timidement Loïc.
Elle ne lui répondit pas et détourna la tête. Loïc ne connaissait pas encore très bien ses manies, ses gestes ou sa façon de faire, cependant, il comprit tout de suite que sa proposition était rejetée sans appel. Cela ressemblait à un caprice mais après tout, ils étaient là, seuls, un début de week-end pour lui.
« Bon alors... Tu veux monter ? On ne va pas rester sur le parking pour le reste de la nuit. »
Loïc ne regarda pas dans la direction de Maxine mais, au mouvement de sa tête, s’il l'avait fait, il aurait pu compter plus d'étoiles dans ses yeux qu'il n'y en avait dans le ciel cette nuit-là.
Elle était plus jeune que lui mais pour être honnête, il n'en était pas moins intimidé. Depuis l’instant où il l’avait appelée pour ce rendez-vous totalement improbable, elle n'avait cessé d'être une sorte d'extra-terrestre. Il la sentait tout autant fébrile que lui, mais aussi d'une curiosité insatiable. Elle semblait surfer entre le réflexe de la pudeur et l'envie de s'exposer sans limite.
Loïc était conscient de l’avoir prise un peu au dépourvu. Il ne sut trop comment, mais, au bout d’un long moment, ils réussirent à monter les quatre étages pour atteindre son appartement. Était-elle vraiment saoule ? Ou bien le feignait-elle ? Ou bien encore est-ce qu'avancer vers l'inconnu la rendait nerveuse et la poussait à ralentir le mouvement ? Loïc ne le saurait jamais. Une fois entrée dans l’appartement, elle s'effondra dans le canapé du salon en riant trop fort pour l'heure qu’il était, et la quiétude des voisins. Loïc tenta une approche pour lui mettre un doigt sur ses lèvres mais elle se dégagea.
« Non, Monsieur, ce n'est pas comme ça que vous obtiendrez mon silence... »
Elle le tira vers l'avant. Malgré la différence de tailles, elle réussit à le basculer et avant qu’il n'ait pu comprendre, elle se retrouva sur lui comme un chat s'étirant sur l'arête d'un mur. Elle posa son front contre le sien et se tut. Lui n'entendait plus que sa respiration haletante. Ses lèvres s'approchèrent des siennes... À moins que ce ne fût le contraire. Il n'y avait plus guère de doutes sur la route qu’ils avaient choisie de tracer. Six heures auparavant, ils n'auraient même pas imaginé en arriver là. Mais là, c'était comme une évidence. L'alcool les avait un peu aidés, cependant, cela n'expliquait pas tout. Même si à cet instant, ils ne le savaient pas, ils étaient tous deux sur de l'inédit, sur un mode qui ne leur ressemblait pas. S'ils n'avaient pas été faits l'un pour l'autre, il y aurait eu quelque chose qui les aurait retenus. Mais de la retenue, là, il n'y en avait plus : il fallait qu'ils vivent cet instant pleinement, qu'importe demain. Qu'importe s’ils ne savaient presque rien l'un de l'autre, ils étaient là, l'un pour l'autre, sans filet, sans réelle appréhension.
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