Chapitre 33

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« Elle m’a menti, fit Loïc.

— De quoi tu parles ? demanda Sarah qui était toujours à l’autre bout du fil. Qui t’a menti à propos de quoi ? »

Il y avait l’évidence. Le mot.

« Ok. Faut que je passe voir ma mère après le taf. »

Mais dans sa tête, tout était rentré dans une vraie guerre de tranchées contre une Maxine imaginaire. Il y avait cette certitude. Maxine d’une phase up à une phase down pouvait sans même broncher affirmer une chose et son contraire à quelques minutes d’intervalle. Mais c’était très différent de mentir. Et surtout quel avait été l’intérêt pour sa petite amie de faire cela ?

« Mais tu vas me répondre à la fin ? s’emporta Sarah à l’autre bout du fil.

— Max. Max m’a envoyé un message hier à midi moins vingt. Elle me disait qu’elle devait passer chez sa mère après le boulot. Tu viens de me dire qu’elle n’y était pas.

— Ah, laissa échapper Sarah visiblement ennuyée par la nouvelle. C’est très bizarre. Ce n’est pas son genre. Vous ne vous êtes pas engueulés ou un truc comme ça ? Pourquoi fallait-il qu’elle voie sa mère, d’ailleurs ? »

Loïc laissa la question dans le vide quelques instants. Il tentait d’élaborer un scénario plausible où Maxine aurait été contrainte au mensonge, mais il n’en trouva aucun.

« Je n’en sais rien. »

Il raconta la suite à une Sarah assez perturbée par ce qu’il lui rapportait.

« Elle n’est jamais comme ça. Je vais passer au salon de sa mère cet après-midi pour en savoir plus.

— Quel salon ? De quoi tu parles ?

— Mais je n’arrive pas à comprendre, tu connais des tas de trucs sur Max que même moi, j’ignore mais des choses banales, non. Bref, la mère de Max tient un salon de coiffure et elle ouvre le dimanche. Je vais y aller pour me faire couper les tifs. En plus j’en ai besoin. Je ne parlerai pas de toi, des fois que ce soit toi la source du problème. Et puis, de toute manière, ça serait trop bizarre. »

Loïc ne comprit pas trop sa dernière réflexion mais ne la reprit pas. Sarah lui promit de le tenir au courant et ils raccrochèrent.

*

Loïc resta cloîtré chez lui à attendre le prochain appel de Sarah. Il n’avait aucune envie de sortir. Il se contenta de ranger l’appartement autant qu’il lui était possible mais en définitive, malgré le bazar que Maxine avait entraîné dans toutes les pièces en y mettant un peu d’elle à chaque fois, tout semblait à sa place. Cela pouvait aller du simple ustensile de cuisine, salière et poivrière, à la fleur de douche accrochée au porte-savon en passant par mille autres petits gadgets dont seule Maxine avait le secret pour remplir un appartement, fût-il d’une quarantaine de mètres-carrés.

Il attendit, attendit jusqu’au moment où la sonnerie de l’entrée retentit vers dix-neuf heures trente.

« C’est qui ? demanda Loïc au travers de l’interphone.

— À ton avis ? Le pape en robe à frou-frou ! C’est Sarah, tête de schnock !

— Je croyais que tu devais me rappeler.

— Peut-être… Mais je suis là, tu vas me faire poireauter longtemps dehors ? Ouvre ! »

Loïc appuya sur l’interrupteur et la gâche électrique de la porte se dégagea. Une minute plus tard, Sarah déboula dans l’appartement, essoufflée d’avoir grimpé les quatre étages au pas de course.

« Tu n’étais pas obligée de courir comme ça.

— Je sais. Mais bon quand j’ai les nerfs, c’est comme ça ! »

Loïc n’osa pas lui répondre qu’on avait l’impression qu’elle avait ses ragnagnas vingt-quatre heures sur vingt-quatre mais il préféra rester diplomate et hocher la tête en signe d’acceptation.

« Cette femme est une anguille ! Elle n’a rien lâché. Sans déconner.

— Tu parles de la mère de Max ? Tu veux un café, un thé ou autres ?

— Oui, une infusion. » fit Sarah en se débarrassant l’espèce de veste longue qui lui servait de manteau en le jetant sur le canapé.

En une semaine, Sarah se déplaçait dans l’appartement comme si c’était le sien. Elle avait dû être biberonnée à la mode Maxine depuis sa plus tendre enfance.

« Ce qui est certain, c’est qu’il se passe un truc. Elle m’a raconté un bobard sur un décès dans sa famille et qu’il fallait absolument que Max y soit… Parce que la famille et elle, c’est juste une vaste blague !

— Pourquoi tu dis cela ? demanda Loïc, intrigué.

— Pour rien, je suis énervée et reste que depuis que je connais Maxine, elle ne m’a jamais pipé un mot à propos de la famille de sa mère. Après, je ne sais pas tout. »

Sarah se laissa tomber sur le canapé. Elle jeta un œil circulaire sur l’ensemble du salon et son regard termina sur le tapis sous la table basse. Elle sourit.

« Elle est pire qu’un clebs, elle a vraiment marqué son territoire partout, ici. Elle ne l’a jamais fait chez moi.

— Euh, vous avez déjà habité ensemble ? »

Sarah sursauta légèrement et sembla un peu troublée par la question. Comme si Loïc avait mis le doigt sur un non-dit.

« Pas vraiment, je l’ai juste dépannée une semaine quand ils avaient refait sa salle de bain à neuf dans sa résidence. Elle n’avait plus de douche et elle ne voulait pas crécher chez Orson. Donc, voilà, on n’habitait pas ensemble, je l’ai juste hébergée.

— C’est ce que j’appelle habiter ensemble, moi. »

Sarah se mit à rougir comprenant d’un seul coup qu’elle avait collé une nuance qui n’existait pas à l’origine sur les mots et qu’en gros, elle s’était grillée toute seule.

« Je suis pathétique, hein ? finit-elle par dire.

— Je ne trouve pas. Si c’est ta manière à toi de dire que tu l’aimes, je comprends. »

Sarah prit le coussin du canapé et le fit voler à travers la pièce à l’intention de Loïc qui esquiva.

Ils laissèrent un long moment de silence après cela et Loïc en profita pour terminer de préparer l’infusion. Il servit Sarah et lui proposa un sucre qu’elle refusa.

« Tu vas faire quoi ? finit par dire Sarah.

— Je n’en sais rien. Je n’ai pas trop d’options viables. Je dirai même aucune. Je ne sais pas où elle est, et je ne peux la contacter. C’est sa mère qui a son téléphone. »

Sur ses mots, Sarah releva la tête comme si la dernière phrase de Loïc avait révélé quelque chose. Elle ouvrit la bouche puis la referma comme si elle avait changé d’avis.

« Tu vas la cracher ta Valda ? »

Sarah prit une mine contrite. Loïc s’assit à ses côtés sur le canapé.

« Tu me promets que tu ne vas jamais répéter à qui que ce soit ce que je vais te dire, hein ? »

Loïc fronça les sourcils.

« Bien sûr que non et à qui veux-tu que je répète quoi que ce soit ?

— D’accord. »

Sarah but quelques gorgées de sa tisane.

« Quand nous étions au lycée, Max et moi, pendant notre année de première, il y a eu une histoire. »

Sarah sembla chercher ses mots.

« Elle est sortie avec un mec. Je crois qu’elle l’avait croisé dans le bus qu’elle prenait tous les matins. C’était un vrai mec, enfin un mec qui bossait déjà. Il avait sûrement le même âge que nous aujourd’hui. Un matin, le bus était bloqué dans la neige et il l’a accompagnée au lycée. C’est ce jour-là que…

— Qu’ils sont sortis ensemble ?

— Ouais. Cela a dû durer à peine un mois. Et au bout de ce mois, Max a disparu de la circulation pendant deux ou trois semaines.

— Que s’est-il passé ?

— Ça, je ne l’ai jamais su et même quand j’ai demandé à Max, c’était comme si ce gars n’avait jamais existé. Comme si on lui avait ôté un gros bloc de mémoire.

— Comment c’est possible ?

— Je n’en sais rien. En revanche, j’ai su où elle était pendant ces deux, trois semaines…

— Et elle était où ?

— Internée à l’HP. »

Loïc s’attendait à cette révélation mais ne put masquer sa surprise. Depuis le week-end de la morsure de vipère, il avait fait des recherches sur la maladie de sa petite amie et il avait bien lu dans les multiples témoignages qu’il y avait sur les forums internet que ce type de patient faisait souvent des séjours en hôpital psychiatrique, pour les crises les plus aiguës. Donc dans sa tête, l’option selon laquelle Maxine avait pu faire des séjours là-bas, était probable. Mais là, c’était la durée qui l’avait surpris : deux ou trois semaines.

« Tu penses que… ? demanda-t-il

— Je préfèrerais me tromper. »

Sarah ferma les yeux et se laissa glisser pour terminer la tête sur les genoux de Loïc. Celui-ci dans un réflexe quasi-pavlovien, passa sa main dans ses cheveux. Et ils restèrent ainsi longtemps sans mot dire et finirent par s’endormir tous les deux sur ce canapé.

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