Chapitre 40
La salle du tribunal était coincée au dernier étage du Palais de Justice. Pas d’ascenseur, pas de rampes d’accès handicapés.
On eût dit que la Justice voulait statuer sur le cas de l’hospitalisation sous contrainte de Maxine dans le plus discret et inaccessible endroit qu’elle pouvait trouver.
L’avocate avait demandé la présence de Maxine mais elle avait reçu une fin de non-recevoir au motif que l’intéressée n’était pas remise de ces blessures. Elle n’en avait été guère étonnée. Elle ne s’attendait pas à ce que le corps médical cède à une requête qui pouvait potentiellement mettre à mal une stratégie de communication de l’institution de santé.
À neuf heures moins le quart pile, Lucie Baltier fit son entrée. Sobre et précise comme à l’accoutumée, occupant délicatement et consciencieusement la place qui lui était réservée.
À neuf heures quarante-huit, ce fut le tour de l’avocat de la partie adverse, un petit homme trapu dont Lucie Baltier aurait parié toutes ses économies qu’il portait des talonnettes étant donné sa démarche. Les yeux petits, un nez de fouine. Il salua sa collègue d’un sourire narquois comme s’il connaissait à l’avance l’énoncé du verdict.
À neuf heures moins dix, Loïc et Sarah arrivèrent ensemble dans la salle et s’installèrent au premier rang. L’avocate aurait bien voulu qu’il en soit autrement pour éviter de donner du grain à moudre concernant une pseudo-relation amoureuse entre les deux, mais son client s’y était refusé. Il avait juridiquement argumenté de façon correcte que cela n’avait de quelque manière que ce soit aucun lien avec l’hospitalisation contrainte de Maxine. Cependant Lucie Baltier se méfiait des effets de manche dont certains avocats avaient le secret, en faisant jouer des éléments en dehors du champ juridique pour peser dans la balance.
De son côté, le banc était complet. En face, arrivèrent sans aucune discrétion, un représentant de l’établissement psychiatrique et un autre, pour les forces de l’ordre qui semblaient se connaître.
Voyant que la séance n’avait pas débuté, Loïc s’approcha de son avocate pour prendre des nouvelles et savoir si elle sentait bien les choses ou pas. Mais celle-ci préféra rester sobre dans ses réponses. Rien n’était gagné ni perdu.
À neuf heures pile, la juge fit son entrée. Loïc s’étonna de sa jeunesse car elle ne devait avoir qu’un peu plus d’une trentaine d’années. Le style un peu hautain et petite bourgeoise qui ne s’assume pas. Il avait du mal à percevoir si c’était une bonne ou une mauvaise chose.
La juge commença par présenter l’objectif de l’audience : statuer s’il y avait une suite à donner à la plainte déposée par Loïc à l’encontre du centre psychiatrique des Adrets concernant l’hospitalisation sous contrainte de Maxine. Elle rappela qu’il s’agissait de voir si les éléments de preuve d’un quelconque abus existaient et pouvaient entrer comme éléments à charge pour une audience ultérieure sur le fond.
Avant d’en terminer avec son introduction, elle indiqua tout de même qu’elle n’était pas dupe sur le ressort de cette procédure. En clair, elle savait pertinemment que l’objectif de cette plainte n’était pas dirigé seulement sur le délit qu’elle dénonçait. Elle espérait de la part de chaque partie, une clarté totale sur le sujet. L’amalgame ne serait pas autorisé dans son tribunal et si les conditions n’étaient pas tenues, elle n’hésiterait pas à renvoyer l’audience en sachant pertinemment ce que cela signifierait.
Loïc s’attendait à ce discours mais l’entendre de vive voix lui fit l’effet d’une douche froide. Dans cette enceinte, on protégeait le symbole avant la justice. C’était déjà le cas avec des êtres humains de chair et de sang alors un embryon ne pesait pas lourd face au symbole qu’il représentait.
La juge demanda à la partie adverse de procéder à la présentation des faits. Selon eux, Maxine leur avait été amenée en fin d’après-midi du samedi par une personne qui avait souhaité rester anonyme. Son état avait été jugé préoccupant avec des risques d’automutilation voire de suicide. La situation de la patiente était pour les médecins la conséquence directe de l’annonce par le médecin traitant d’un état de santé qu’elle n’avait pu assumer et avait déclenché la crise. La conséquence logique de cela et compte tenu des antécédents psychiatriques de la patiente, l’hospitalisation sous contrainte était parfaitement indiquée. En marge de ce récit sans anicroche, l’avocat se permit de présenter ses excuses à l’ensemble des gens qui avaient donné leur confiance à l’établissement et leur demandait le pardon quant à l’évasion rocambolesque et jusqu’à ce jour, non complètement élucidé, du trajet de vingt kilomètres qu’elle avait fait dans l’espace des cinq heures qui séparaient sa disparition de son accident sur la voie rapide longeant le centre commercial.
La plaidoirie ne fit l’objet d’aucune question de la part du juge. Elle termina sa prise de notes et invita Lucie Baltier à débuter la sienne. L’avocate demanda juste un délai d’une minute pour réorganiser ses notes et son propos par rapport aux éléments présentés par son collègue. La juge accepta et pour Loïc et Sarah, cet espace-temps fut une fracture temporelle d’une longueur incommensurable. Puis enfin, l’avocate se leva et commença à reprendre mot à mot la plaidoirie de son collègue, à ceci près qu’elle la ponctua de toutes les remarques possibles quant à la véracité des faits et la chronologie exacte. La première anicroche, la date présente sur le dossier d’admission de Maxine portée à neuf heures du matin, le fameux samedi alors qu’à cette heure, elle devait être entre le petit déjeuner et la douche puisque son client avait noté dans sa déposition faite sous serment que celle-ci était partie à neuf heures trente. Comment pouvait-on admettre par anticipation une patiente ? On pouvait tout de suite renvoyer Spielberg et Philip K. Dick à jouer avec leurs Lego. Le second élément était bien entendu le SMS envoyé à Loïc vers onze heures trente. Qui lui avait envoyé ce message ? Car si la date d’admission était la bonne et qu’il était vrai qu’en cas d’hospitalisation sous contrainte, on privait le patient de ses affaires personnelles, ce que confirma le représentant de l’établissement des Adrets, on pouvait légitimement se poser la question.
Lucie Baltier continua sa plaidoirie point par point, avec ce truc de coller au millimètre près à celle de son collègue pour mieux en dénoncer au mieux les incohérences et au pire le mensonge. Elle termina ensuite de manière tempérée en s’adressant directement à la juge, et rappelant qu’aujourd’hui elle ne lui demandait pas de se prononcer sur le fond, mais bien sur la forme et le caractère indéniablement potentiellement délictueux de tous les éléments relevés.
Ainsi s’acheva le plaidoyer de l’avocate. Et si celle-ci avait indéniablement sidéré tout l’auditoire, ce n’était pas le cas de la magistrate du siège.
Elle remercia d’abord les deux parties pour leur plaidoirie et rappeler qu’en sus de cela, le juge d’instruction lui avait fait parvenir ses notes qui n’avaient pas manqué de l’interpeller sur le fond et l’intérêt des parties. Elle ne pouvait nier la liste des incohérences pointées par l'avocate de l'accusation, ce qui soulevait des questions quant à la façon dont l'institution pointée du doigt gérait sérieusement le problème. Cependant, ce "mais" occupait une place prépondérante dans cette procédure. Elle allait être honnête et sincère. En même temps, à quoi fallait-il s’attendre d’autre de la part d’un juge.
« Jeune homme, fit-elle en s’adressant directement à Loïc. N’allez pas croire que je vous juge, vous, par vos actes. Je crois que vous êtes sincères et les actions que vous avez entamées démontrent beaucoup de choses à votre propos. Il n’en reste pas moins, qu’il manque quelque chose dans cette affaire. La principale intéressée par toutes ces manigances et je suis désolé de ne pas avoir trouvé d’autre mot pour le dire… C’est regrettable que personne… »
La juge dut s’interrompre. La porte du tribunal avait été ouverte et quelqu’un vêtu d’un jogging gris et d’un sweat à capuche était entré.
« Qui êtes-vous, jeune homme ? fit la juge. C’est une audience à huis clos ici. »
Elle fit signe à l’homme de la sécurité de se saisir de l’intrus.
Cependant, l’intrus était plus vif et s’esquiva. Il partit en direction des bancs et arrivé à leur hauteur, s’arrêta. Il ôta sa capuche.
C’était Maxine. Son visage était un peu fatigué et l’on remarquait un peu plus que d’ordinaire les taches de rousseur de son visage. Ses yeux brillaient. Elle avait dû courir pour arriver ici mais elle avait dû faire une pause avant de faire son entrée. Sûrement qu’elle ne savait pas ce qu’il pouvait y avoir après ces grandes portes. Peut-être avait-elle pensé qu’il allait lui falloir, courir, esquiver, se battre pourquoi pas. Mais ses yeux brillaient différemment encore. Elle s’était accrochée à une idée qui l’avait fait s’enfuir une nouvelle fois.
Le représentant de l’établissement la reconnut et ne put s’empêcher de lancer un « Non, pas encore » exaspéré.
Maxine regarda Loïc puis regarda la juge.
« S’il vous plaît, arrêtez tout, fit-elle.
— Mais arrêtez quoi, Mademoiselle, répondit la juge en même temps qu’elle faisait signe à l’homme de la sécurité de ne plus intervenir.
— Tout ça, fit Maxine en désignant tout le tribunal. Ça ne vaut pas le coup.
— Écoutez, Mademoiselle, calmez-vous. Dites-nous qui vous êtes et pourquoi vous êtes là. »
Maxine ne sembla pas comprendre tout de suite ce que disait la juge. Elle regarda vers Loïc et Sarah avec la peur panique de ne pas être dans la réalité, avec la question évidente inscrite au fond des yeux : » Mais vous, vous savez qui je suis ? »
Loïc hocha la tête, s’avança d’un demi-pas et fit un signe à Maxine de poursuivre.
Maxine commença à se balancer sur place d’avant en arrière. Les mots avaient du mal à trouver la porte de sortie.
« Je suis Maxine. »
Son regard retourna vers Loïc et ses yeux se remplirent de larmes jusqu’à ce que le reste finisse par s’articuler dans sa bouche :
« Je ne veux pas de lui. Je ne veux pas de lui si ce n’est pas toi le père. »
Et elle s’effondra à genoux sur le sol.
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