11.
Eliman Guèye avait été convoqué vers 12h. C’était pour lui la première fois qu’il mettait les pieds dans une caserne de la Gendarmerie. Il s’était perdu au sein de cet immense labyrinthe et avait dû demander plusieurs fois son chemin, après avoir tourné en rond pendant une bonne demi-heure. Il était maintenant assis dans un bureau et attendait qu’on l’interroge enfin. Après avoir patienté quelques minutes dans la salle d’attente, un gendarme était venu le chercher. Comme il l’avait prédit, il faisait bien partie de l’équipe qui était en charge de l’enquête. Cependant, il remarqua aussi son visage épuisé, surement par de longues heures de travail et d’acharnement pour retrouver le meurtrier de son vieil ami. Il devait faire attention à ce qu’il allait dire, révéler. Ce gendarme - Abdoulaye Diop, comme il s’était présenté, – il ne fallait surtout pas baisser la garde face à lui, même s’il ne semblait être qu’à moitié présent.
Après que son interlocuteur ait fini de recueillir toutes les informations le concernant, il commença. Il devait se concentrer pour être cohérent et ne pas répondre n’importe comment.
- Je peux fumer ?
Il y eut un long moment de silence. Eliman ne comprit pas ces trois mots, était-ce un piège ? Que cherchait-il à faire ? Le déstabiliser ? Détendre l’ambiance ? Le gendarme le fixait, attendant une réponse à sa question
- Pardon, je … je ne comprends pas ce que vous voulez dire, monsieur ?
- Oh désolé, je vous demande si cela ne vous dérange pas si je me mets à fumer, j’ai surement mal posé la question.
- Bien sûr, allez-y, ne vous gênez pas pour moi.
Il ne se fit pas prier et il ne lui fallut que quelque secondes pour allumer une cigarette.
- Vous êtes la première personne qui se préoccupe de l’avis des gens avant de fumer.
- Je n’aimerais pas vous déranger, il y a des personnes qui ne supportent pas l’odeur. Mais je ne veux pas vous faire perdre votre temps, donc nous allons aller droit au but. Quelle était la nature de votre relation avec Abdou Karim Niang ? Depuis quand vous connaissiez-vous ?
- Nous nous connaissions depuis très longtemps, il était en quelque sorte mon meilleur ami. Généreux, gentil, il était le genre de personne que l’on pouvait appeler à n’importe quel moment de la journée, si on avait un problème, et il accourait dans l’heure. On ne rencontre ce genre de personnes qu’une seule fois dans sa vie. Il est même devenu avec le temps, un ami de la famille.
- Et quelle était la nature de ses différentes relations ?
- Il était l’homme parfait pour cette chère Alice. Elle avait la chance de pouvoir compter sur quelqu’un comme lui …
Il se doutait bien que son interlocuteur savait déjà tout ça, c’est ce que tout le monde savait.
- J’ai cru comprendre que votre métier est organisateur d’événements, n’est-ce pas ?
- Oui, je suis propriétaire d’une petite boîte qui organise des événements, tels que de petits concerts, des soirées, ou très rarement encore, nous aidons pour l’organisation de grands combats de lutte.
- Comment était-il dans le travail ?
- Facile à vivre. Il savait généralement ce qu’il voulait. Il me donnait ses idées, ses instructions et je m’assurais que tout se passait bien. Il n’avait jamais eu aucun problème avec personne.
L’enquêteur le fixait droit dans les yeux, Eliman ne l’avait pas remarqué. Il sentait son regard peser sur lui, oppressant, il s’arrêta presque de parler.
- C’est parce qu’il était votre ami, c’est pour cela que vous vous sentez obligé de faire quelque chose …
- Je … je ne vois pas ce que vous …
- Arrêtez, coupa-t-il, j’ai compris que vous meniez votre propre enquête. Vous ne vous êtes pas demandé pourquoi vous êtes ici. Ce n’est probablement pour me raconter que ce que tout le monde m’a déjà dit.
Son sang n’avait fait qu’un tour. Alors, les membres de la section Recherche n’avaient rien de simples gendarmes ? Il aurait dû revoir ses plans. Jusqu’où étaient-ils arrivés dans leur enquête ?
- Comment l’avez-vous découvert ? finit-il par demander.
- Nous nous sommes rencontrés aux mêmes endroits, et c’était à chaque fois dans le cadre de nos investigations. La première fois, je n’ai pas réussi à voir votre visage, mais quand nous nous sommes revus dans ce salon de massage en ville, je vous ai tout de suite reconnu. Un homme de votre corpulence et qui s’efface aussi facilement, est très vite remarqué. De plus, quand je vous ai rencontré là-bas hier, j’ai compris que ce n’était pas une coïncidence. La preuve en est que la réceptionniste nous a révélé que vous étiez à la recherche de quelqu’un en particulier.
Il s’était arrêté un instant. Eliman n’avait pas été assez vigilant, et il s’en voulait pour cela. Cet Abdoulaye Diop le narguait depuis le début, pour lui faire baisser sa garde.
- Quand je l’ai compris, j’ai appelé M. Alioune Mar, l’homme chez qui nous nous sommes vus pour la première fois, et je lui ai demandé qui vous étiez, dit-il en lâchant un nuage de fumée.
La seule fenêtre de la pièce se chargeait de faire évacuer la fumée qui s’amoncelait petit à petit dans la pièce.
- Bien, j’avoue que n’ai pas été très honnête avec vous. Quand M. Mar m’a aussi révélé que vous étiez le meilleur ami d’Abdou Karim Niang, j’ai vu cela comme une opportunité pour sortir de ce bourbier qu’est cette enquête.
- Une opportunité ?
- Vous étiez son meilleur ami, n’est-ce pas ? Vous devriez normalement savoir beaucoup plus que ce que tout le monde sait à son sujet, je me trompe ? Aujourd’hui, mon collègue et moi devions interroger l’expert-comptable de Golden Jam, mais j’ai décidé de discuter avec vous à la place. Nous nous sommes donc réparti les tâches. Quand il en aura terminé avec lui, mon collègue m’informera de ce qu’il aura découvert.
L’enquêteur s’arrêta une nouvelle fois. Eliman voyait que la fatigue le consumait, mais pour autant, il ne semblait ni faible ni facile à berner. Il lui fallait trouver une porte de sortie, sans quoi il finirait par devenir leur suspect.
- Je trouve cela très admirable, vous savez, dit-il avec ce qui semblait être de la sympathie, de vouloir retrouver qui a assassiné votre ami, mais s’il s’avère que vous avez un quelconque lien avec ce meurtre …
- Je n’y suis pour rien, protesta-t-il vigoureusement.
- J’en suis convaincu, mais il va falloir jouer franc jeu sur ce coup-là. Vous étiez très proches, vous savez surement quelque chose que beaucoup ignorent, il devait se confier à vous, je me trompe ?
Il devait leur avouer ce qu’il savait, sinon ce serait la fin du chemin pour lui. Après quelques moments d’hésitation, il se décida à parler.
- Oui, c’est vrai, je menais ma propre enquête et vous avez raison, il me disait certaines choses que peu de personnes, même sa compagne, savaient.
Cette déclaration attira l’attention de son interlocuteur.
- Se sentait-il menacé ?
- D’habitude non, même si beaucoup de personnes lui en voulaient. Il avait quelques ennemis, mais ces derniers temps – cela remonte à quatre mois –, il avait l’air un peu tendu. Il était sur ses gardes, cela ne lui ressemblait pas. L’ayant remarqué, je lui en ai parlé, et c’est là qu’il s’est confié.
- Et que vous a-t-il dit ?
- Il se méfiait de quelqu’un en particulier. Il m’a révélé qu’il était la proie d’un maître chanteur.
- Avait-il des soupçons sur quelqu’un en particulier ? dit-il en se redressant sur son siège.
- Il disait que la personne qui le faisait chanter était dans son entourage, il en était sûr et certain.
- Et vous n’avez aucune idée de qui il pouvait s’agir ?
- Non, répondit-il tout simplement.
Eliman s’était tiré d’affaire. Certes, on l’avait découvert, mais au moins il n’était plus mêlé à çà, et on ne le suspectait plus. Cependant, il vit l’enquêteur ouvrir la bouche, mais ils furent stoppés dans leur interrogatoire par la sonnerie du portable de ce dernier. Il décrocha et discuta quelques secondes. Eliman en déduisit que la personne qui était au bout du fil était le second gendarme. L’enquêteur interrompit son appel pour remercier le brave Eliman pour avoir partagé ses informations, et l’exhorta à coopérer plus, s’il savait autre chose. C’est ainsi qu’il fut reconduit à la porte du bâtiment de la section de Recherche.
…
Abdoulaye était enfin seul, il avait expédié Eliman Guèye vers la fin, mais de toutes façons, il ne semblait pas en savoir plus. Mansour était encore au bout du fil et attendait.
- … Tu en es vraiment sûr ?
- Il n’y a aucun doute, cette Malika Ndiaye ne t’a pas tout dit. Elle est beaucoup plus dans cette histoire qu’elle ne voulait te le faire croire.
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