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« L’existence de cette truite adamantine prouve que rien n’est impossible ! Sur Terre aussi on trouvait des espèces comestibles. Tant de variétés que je ne pourrais les dénombrer. Il y a de cela deux siècles, les hommes se nourrissaient de pêche et d’élevage. Comment en sommes-nous arrivés à avaler ces infâmes Frankeinsteaks ? Comment notre espérance de vie est-elle passée de plus de quatre-vingts ans au XXIème siècle à moins de cinquante aujourd’hui ? En seulement deux siècles ? C’est simple : dérégulation, démocraties fantoches, corruption galopante, conglomérats chimiques omnipotents, manipulations génétiques débridées et résidus nucléaires partout. L’holocauste des espèces sauvages aurait dû nous réveiller. Au contraire ! Les tenants de ce système consumériste à outrance ont continué leur sale besogne, et nous les avons suivis ! Jusqu’à ruiner notre mère planète.
Mais nous pouvons nous relever ! Camarades, aujourd’hui, nos frères martiens ont sonné l’heure de la révolte ! Il est temps de renverser les despotes de cette Fédération inféodée au Grand Capital ! Il est temps de reprendre notre destin en main ! Nous pouvons re-terraformer la Terre ! »
– Discours d’Izmir Ben-Jal, représentant des ZAD ouest-européennes au congrès révolutionnaire interplanétaire – mai 2233
Un bruit de métal tordu, mêlé de chuintements, annonça le début de l’opération. Antoine serrait les poings, toujours lié à sa canalisation dans une situation des plus inconfortables. Les parois tremblèrent. Dans un hurlement métallique, le module s’ébranla et parut balancer dans le vide. Enfin, un choc sourd mit un terme au suspens. Les lumières papillotèrent puis se rallumèrent.
— Module sanitaire transbordé sur la barge D9-45T, annonça Tilajo.
— Bravo ! Tu es une cheffe ! Des nouvelles des Martiens ?
— Tous leurs véhicules se sont lancés à la poursuite du rover.
Antoine jubila.
— Alors, ne traînons pas ! Combien d’heures de route pour Arsia ?
— Une dizaine.
— Combien d’oxygène ?
— Suffisamment, Antoine.
Toujours attaché à sa canalisation, Antoine expira longuement. La barge s’élança dans un grondement de turbines. Tilajo projeta les images des caméras. À l’arrière, les bâtiments, dont certains masqués par des serpents de fumée, s’éloignaient tandis que le véhicule filait vers les plaines de Xanthe. Deux silhouettes maladroites, dans des combinaisons orange, apparurent dans l’ombre d’un rover ensablé, les bras agités de signes désespérés dans leur direction.
— Voilà nos deux traîtres ! Leur manœuvre entachée d’infamie ne les aura pas menés loin !
Tilajo n’émit aucun commentaire.
— C’est toi qui as fait en sorte que la trajectoire de la barge passe à leur niveau… devina Antoine.
Il était partagé. Ces deux cuistres l’avaient condamné injustement et livré en pâture à des terroristes. Mais l’IA avait déjà entamé son demi-tour.
— Il y a assez d’oxygène pour trois, Antoine. Je n’ai pas le droit de laisser des humains dans une situation de détresse.
Antoine tira sur ses liens. Il était condamné à suivre les volontés de la machine.
— Satanées lois d’Asimov, soupira-t-il.
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