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« Peut-on parler d’un miracle de l’aquifère martien ? Je ne le crois pas. Il ne s’agit pas de la main de Dieu, n’importe lequel, ou d’un signe annonciateur du retour de Jésus, de sa fille ou de son cousin prodigue, n’en déplaise à tous les rabbins, évêques, grands muftis, imams et autres sachems. Non ! C’est bien là une preuve irréfutable de la présence des Petits Gris et de leur bénéfique protection de l’espèce humaine. Ils nous offrent une seconde chance. Les Martiens doivent en prendre conscience et partager avec leurs frères de la Terre ce cadeau qui est fait à l’humanité.

Confrères, il est temps d’activer nos réseaux dormants pour préparer l’avènement d’une ère nouvelle. »

Communication interne du Vispater Olemnius – Temple transhumaniste-néoscientologue nord-américain – juillet 2233.


D9-45T approchait d’Arsia. Antoine, enfin libéré de ses liens, avait pu voyager dans la cabine de pilotage, bercé par la programmation musicale de Radio-lympus Mons.

— Ce Stronberg… fit-il en s’adressant à l’IA, c’est un usurpateur. Quand je lui ai parlé du célébrissime Mikail Laïkuz, tout à l’heure, il m’a regardé avec des yeux de merlan frit. Et quand je lui ai demandé l’adresse du Gustaformeur, il n’a même pas compris de quoi je parlais ! Un comble ! Aucun cuisinier digne de ce nom pourrait ignorer le nom du restaurant le plus célèbre du système solaire !

— Un comble pour un cuisinier, mais pas pour un commando de la Fédération, rétorqua Tilajo.

— Je parlais de Stronberg.

— Qui est en réalité le vrai Richard Martial. Il n’est pas plus cuisinier que l’autre n’est militaire. Je les connais bien tous les deux. Je connais tout le personnel de la base de Xanthe Terra. Tous les voyageurs et voyageuses de passage dans les toilettes. Le gouverneur Palpatus, malgré son camouflage facial, était facile à identifier. Il est le seul à porter des slips kangourous à la mode Terrienne.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Pourquoi vous aurais-je dit cela ?

Un flash radio, en partie brouillé, interrompit leur échange.

Célèbre Mikail Laïkuz arrêté ce matin par les forces fédérales, accusé de complot sécessionniste… Choc dans la population d’Arsia… déclenché un soulèvement populaire… ville déclarée libre et souveraine… dernières troupes fédérales ont évacué cet après-midi, après ce qui semble être le premier acte de déclaration d’indépendance de Mars…

— Nom d’une bisque de homard ! sanglota Antoine. Si le chef Laïkuz est en prison, qui va préparer la salade Olympus ?

La coupole de la ville apparut à l’horizon, en surplomb d’un groupe de bulbes coloniaux et de serres agricoles. Le gouverneur entra dans la cabine de pilotage.

— Vous en faites une tête, Septime.

— Je viens d’apprendre que la ville a fait sécession, et que le chef Laïkuz a été arrêté par la police fédérale !

Le gouverneur se redressa.

— Arsia a fait sécession ?

— C’est ce que vient d’annoncer la radio.

— Dans ce cas, nous ne pouvons pas risquer d’aller là-bas ! Nous devons trouver un relai radio longue portée dans les faubourgs et attendre des secours de la Fédération.

— Hors de question ! s’emporta Antoine. Je vais au Gustaformeur ! C’est non négociable !

Le gouverneur recula, surpris par autant de véhémence.

— Mais, si vous faites ça, nous serons capturés. Moi, je serai rançonné… mais vous ?

— Ne faites pas semblant de vous en inquiéter ! Je vais vous déposer dans le premier bulbe que nous croiserons. Ensuite, Richard Martial, le vrai ! m’accompagnera à Arsia et reviendra vous chercher avec la barge. Ça vous va ?

— C’est honnête, intervint Richard en entrant dans la cabine à son tour. Sauf que moi, je veux aussi déguster cette fameuse salade ! Alors, on dépose M. le gouverneur, on va se taper l’Olympus, et ensuite seulement je reviendrai le chercher.

Palpatus leva les bras au ciel.

— Le monde bascule, et ces deux-là ne pensent qu’à une salade !

Devant la démonstration d’un goût aussi peu raffiné, Antoine renifla avec dédain et ordonna à l’IA de déposer le grossier personnage à la première station humaine. La barge vira pour s’arrimer à un groupe de modules d’existence. Tandis que le gouverneur entrait dans le sas, revêtu du scaphandre qu’il avait refusé de laisser à bord, Antoine observa les coupoles d’Arsia qui se dessinaient dans la lumière orangée du soleil. Là-bas, quelque part sous ces dômes de verre, l’attendait la découverte gastronomique unique qui lui avait fait parcourir tant de kilomètres à travers l’espace. Aucune guerre civile ne pourrait le détourner de son but. Le soldat Martial le tira de ses réflexions.

— Alors, monsieur le gourmet. On va la chercher cette salade ?

Antoine eut un rictus.

— On va avoir quelques détails à régler avant.

— Comme ?

— Comme convaincre les séparatistes de nous laisser entrer et la Fédération de relâcher le chef Laïkuz.

Richard s’installa dans le poste de pilotage, à côté d’Antoine.

— Pas gagné…

— J’ai ma petite idée sur la question. Til ?

— Oui, Antoine ?

— Plein gaz ! Direction, le Gustaformeur !

La barge bondit dans la plaine en soulevant une traînée ocre derrière elle.

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