Les semaines, les mois avaient passé. Un peu plus d'une année s'était écoulée depuis ces événements. J'avais mené à bien le projet de Durham, puis j'avais pu enchaîner sur un autre contrat de même envergure, cette fois, pour une grosse entreprise de la région qui voulait mettre ses bâtiments aux normes, tout en engageant une démarche sociale. Si je ne travaillais que sur la partie économies d'énergie, ce contrat me permettait aussi d'échanger avec d'autres chefs de projets travaillant sur des domaines bien différents du mien. C'était très enrichissant. J'arrivais à l'étape finale.

Je venais de rentrer chez moi après une petite course. J'étais un peu impatiente et fébrile. A peine arrivée à mon appartement, j'ouvris mon sac et en sortis le cadeau que je venais de m'offrir. Un petit cadeau tout plat, tout simple.

Le troisième album des Dark Angels : Children of Freedom.

La pochette reprenait la célèbre photo de l'homme arrêtant les chars près de la place Tiananmen, en juin 1989. Le nom du groupe s'inscrivait au-dessus et le titre barrait la photo. Enfants de la liberté. Rien que la pochette était déjà novatrice, un rien étonnante et percutante. Je songeai que le groupe avait certainement désormais les moyens pour se payer cette photo, en racheter les droits au photoreporter qui l'avait prise. A moins qu'ils n'aient négocié...

Je tournai le disque et sur le recto s'affichaient les titres des chansons. Children of Freedom, bien entendu, mais aussi Amanda's Song ou Fire man. Mais mon regard restait rivé à un autre : Loren.

Je m'assis dans le sofa tout en restant songeuse. Le nom était écrit comme le mien. Je pensai que cela devait être un pur hasard. Je poussai un soupir et me relevai pour allumer mon petit lecteur de cd, y glisser le disque. Incapable d'attendre, je programmai la chanson portant mon prénom, quitte à subir une belle désillusion. Les premières notes résonnèrent dans la pièce, surprenantes : elles étaient jouées à la guitare sèche. Ma première réaction fut de me dire qu'il y avait une erreur, puis j'entendis les cymbales et la basse. C'était bien le son grave, assez marqué et typique de Stair. Puis la voix de Snoog, belle et profonde, s'envola :

Loren,

De l'amour à la haine

Il n'y a qu'un pas

Loren,

Ce gars-là, tu l'oublieras

T'es encore à l'aube de ta vie

Tant de belles choses à découvrir

Laisse derrière toi cet imbécile

Qui t'a tant fait souffrir

Regarde autour de toi

Regarde, le monde te tend les bras

Regarde, sûrement un gars pour toi

Un qui te donnera

De l'amour, du plaisir

De la joie et des rires

Un enfant, un avenir

Et chaque jour un sourire

Loren,

De la haine à l'amour

Il n'y a qu'un pas

Loren,

De la haine à l'amour

Qui sera là pour toi ?

Une larme roula lentement sur ma joue. Chaque mot rencontrait un écho violent en mon cœur à peine guéri. Je faisais lentement, mais sûrement, assurément, mon deuil de Dylan. Et je tenais ma promesse d'un sourire, un vrai sourire, chaque jour.

Mes yeux se posèrent sur le petit cadre accroché au mur. J'y avais glissé le billet du concert, dédicacé par les quatre membres du groupe. Stair, le premier, avait signé après avoir écrit un "bon anniversaire" en lettres bien rondes. Puis Treddy et Lynn avaient signé à leur tour. En bas, Snoog avait ajouté : "A la reine du jour, Loren". En formant un cœur à la place du "o".

Quand j'avais regardé le billet, la première fois en rentrant chez moi, j'en avais souri. Un vrai sourire. Aussi, quand il m'arrivait encore d'avoir des journées grises, des jours "sans", je regardais le soir ce petit cadre et je souriais vraiment.

Je pouvais ainsi tenir ma promesse.