Chapitre 7 : Snoog
J'étais bien content de rentrer à la maison. Londres était une jungle et retrouver l'Ecosse avait un effet bienfaisant. Mais nous avions dû nous y rendre pour peaufiner les dernières étapes de la sortie de l'album. J'étais très content du résultat et les gars aussi. C'était notre premier disque enregistré quasiment en indépendants, même si nous étions liés pour encore un live à la maison de disques. Cet album, nous avions pu prendre le temps nécessaire pour l'écrire, l'enregistrer, le mener à maturité comme nous en avions envie. C'était un aboutissement, une sorte de "Black Ice" ou de "Powerslave" façon Dark. Et surtout, c'était le premier à sortir de notre studio, à Glasgow.
Il avait une couleur nouvelle, bien loin du noir de Dark Death. Pourtant, Ruggy y était encore présent. Nous avions d'ailleurs décidé de le lui faire écouter, au moins une ou deux chansons, quand nous nous rendrions à Manchester prochainement. Oui, Ruggy y était encore présent car Treddy avait eu l'idée géniale de nous demander la possibilité de jouer certains morceaux avec sa guitare. C'était devenu un objet sacré pour nous tous, qui figurait et figurerait toujours sur scène, avec nous. Comme si Ruggy pouvait, à travers elle, être toujours à nos côtés. Si l'idée de Treddy pouvait paraître un peu osée, après un petit temps de réflexion, Stair, Lynn et moi avions accepté. Et je devais bien reconnaître que le résultat était à la fois époustouflant et marquant. C'était émouvant aussi, de réentendre ce son bien particulier, mais joué à la façon de Treddy. Au final, l'idée et le résultat en étaient tout simplement beaux.
L'album était différent aussi par ses chansons. C'étaient toutes des nouvelles créations et Lynn et moi à l'origine, mais aussi Treddy pour la musique de Fire man, avions beaucoup travaillé pour apporter ces nouveaux titres. Jenna et Ally le trouvaient elles aussi très réussi et je pouvais me fier à leur jugement.
Oui, j'étais bien content de retrouver mon appart', la vue dégagée qu'il m'offrait sur les rives de la Clyde et les collines du nord de Glasgow. J'allais me poser quelques jours ici, voir deux-trois trucs avec Lynn, puis je m'offrirais un tour dans le pays. C'était étonnant, mais j'aimais m'y ressourcer au cœur des montagnes.
Je posai mon sac dans l'entrée, me dirigeai vers le coin cuisine et ouvris le frigo, en sortis une bière. Je tirai les rideaux pour faire entrer la lumière et allai me vautrer dans le canapé. Je fermai les yeux en dégustant les premières gorgées. Y'avait pas à dire, mais les Ecossais aussi savaient faire de la bonne bière. Plus le temps passait, plus nous vivions ici aussi, et mieux je me sentais. Notre carrière avait décollé, nous allions préparer une tournée mondiale. Avec un album live à la clé, des dates sur tous les continents, des festivals, des scènes géantes. Un autre monde, une autre vie.
Quand je rouvris les yeux, mon regard se porta sur l'espèce de gros sac informe posé au milieu du salon. Le "cadeau" de Gordon en quittant Londres. Le sac du courrier des groupies. Même si je m'étonnais toujours qu'avec les réseaux sociaux, il y ait encore des gens à préférer envoyer des lettres. Il m'arrivait de me demander pourquoi j'avais accepté de les lire, mais en général, je trouvais toujours deux-trois pépites qui faisaient que je ne regrettais pas ce choix. Comme le jour où j'avais lu la lettre émouvante d'une maman racontant que son enfant, atteint d'une leucémie, était fan de notre groupe. Ni une, ni deux, nous avions monté un petit déplacement jusqu'à Bristol où ils vivaient pour offrir un mini-concert au gamin. Ou la lettre d'une petite fille, à l'écriture encore hésitante - elle ne devait pas avoir plus de sept ou huit ans, nous demandant une dédicace. On lui avait envoyé un poster avec nos signatures et un petit mot de la part de chacun.
Bref, c'était le genre de courriers qui me faisait oublier les litanies sirupeuses des groupies en chaleur, celles qui m'envoyaient des photos d'elles quasi-nues (voire totalement nues) sur lesquelles je m'arrêtais parfois, juste pour admirer leurs formes, mais dont les mots (toujours les mêmes et sans grande originalité) me laissaient indifférent. A chaque fois, je pensais aux gars qui épluchaient la page fan-club du site internet du groupe et qui se tapaient sans doute ce genre de photos en pièce jointe. Ils devaient bien se marrer. J'entrepris donc de commencer sans tarder à dépouiller ce courrier.
Au bout de deux bonnes heures, mes yeux commencèrent à me piquer, je n'avais rien relevé de probant, ayant simplement mis de côté quelques lettres de fans non dénudées me demandant un autographe ou une photo. Le genre que j'acceptais de donner sans avoir le sentiment de payer de ma personne. Celles qui me voulaient dans leur lit attendraient. Après tout, elles n'avaient qu'à venir aux concerts. Ce serait la récompense, pour l'une d'entre elles. Je bâillai, m'étirai et pris une dernière lettre.
Et je me dis que le destin me jouait là un sacré tour.
**
Merci Snoog,
Je tiens ma promesse. Un sourire par jour.
Mais aujourd'hui, j'en ai fait deux. Un pour le disque que je viens d'acheter et un pour la chanson.
Loren
Avec le "o" en forme de cœur comme je l'avais tracé sur son billet de concert, je m'en souvenais très bien. Je tournai la petite carte. Au dos, juste un numéro de téléphone.
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