Chapitre 11: Loren
Dès le lendemain, nous reprîmes la route pour Inverness, en remontant le long du Great Glenn. Comme nous l'avait indiqué Mickaël, la neige était tombée en abondance, mais la route était dégagée et nous fîmes le trajet dans de bonnes conditions. Là, nous trouvâmes un hôtel pour trois nuits afin de pouvoir explorer les alentours. Snoog tenait notamment à se rendre sur le champ de bataille de Culloden et je me demandai même s'il n'allait pas trouver là l'inspiration pour écrire une nouvelle chanson, en hommage à l'esprit d'indépendance des Ecossais.
Nous nous y rendîmes le surlendemain de notre arrivée, après une première journée passée à arpenter Inverness. Il faisait froid, le ciel était dégagé. Des bancs de brume s'étendaient ça et là. Le musée était fermé, ce qui ne nous empêcha pas de parcourir la vaste étendue de landes, où les armées anglaise et jacobite s'affrontèrent en un combat qui dura moins d'une heure.
- Ils étaient là. Et là, fit Snoog en désignant certains points, se repérant aussi aux drapeaux qui balisaient le champ de bataille. Imagine…
Et il commença à raconter. L'armée anglaise bien installée. Les Ecossais, épuisés par une longue marche à travers tout le pays, des hommes venus se perdre tout au nord, sans trop savoir pourquoi. Le temps des premières victoires, moins d'un an plus tôt, était désormais bien loin. Un commandement divisé, un prétendant illuminé qui pouvait, pourtant, entraîner encore ceux-là au combat.
Et puis l'horreur du massacre. Les cris. Le claquement des fusils. Les blessés achevés à coup de baïonnette, cette arme redoutable utilisée ici pour la première fois. La désorganisation totale du camp jacobite, mais le courage, toujours, de certains clans parvenant à enfoncer les lignes anglaises dans un sursaut de volonté et de folie. Inutile. Vain. La victoire avait choisi les Anglais.
Tout en parcourant la vaste plaine, dont la lande n'était tranchée que par un muret écroulé par endroits, je m'efforçais de suivre le récit de Snoog. Nous étions seuls, en ce lieu désolé, et comme à Glencoe, j'avais ici aussi le sentiment que les âmes des morts se réveillaient, se glissaient ça et là entre les genêts tordus, frôlant les maigres arbustes rabougris. Le croassement d'un corbeau, passant au-dessus de nous, me fit sursauter. Je glissai mon bras sous celui de Snoog, ressentant le besoin d'être rassurée et surtout, de ne pas être seule, face aux réminiscences du passé.
Un passé que les Ecossais n'oubliaient pas, il sut bien me le rappeler en évoquant une discussion qu'il avait eue avec Treddy au sujet de cette bataille. Sans doute était-ce suite à cet échange qu'il avait lu et s'était documenté à ce sujet et qu'il était capable de la raconter alors que c'était la première fois qu'il venait ici.
Mais le plus émouvant nous attendait encore, lorsque nous longeâmes l'allée des pierres gravées, symboles des tombes communes où avaient été enterrés les guerriers écossais, clan par clan. Certaines étaient encore couvertes d'un pan de tartan déchiré, résistant à l'étau de l'hiver. Sur d'autres, émergeant d'un amas de neige amoncelée par le vent, on pouvait distinguer les restes d'un petit bouquet, mêlant chardon, genêt et bruyère.
- Les fleurs celtiques par excellence, fit Snoog en souriant à demi.
Nos pas nous avaient conduits à la fin du parcours et ce ne fut pas sans un certain soulagement que je retrouvai l'abri de la voiture. En quittant les lieux, Snoog ne retourna cependant pas directement à Inverness, mais s'engagea dans d'autres petites routes pour nous mener au site mégalithique voisin de Clava Cairns. Là aussi, recueillement, silence, mais une impression de paix bien différente se dégageait des magnifiques constructions de pierres. Nous déambulâmes entre les différents cercles, Snoog s'arrêtant pour lire chaque panneau explicatif avec beaucoup d'attention.
Lorsque nous repartîmes, l'après-midi était déjà bien avancé et on sentait poindre le crépuscule. Nous regagnâmes tranquillement le centre d'Inverness et après avoir trouvé un si bon restaurant à Fort William, il nous dénicha un pub où l'ambiance allait bien vite nous réchauffer et chasser les impressions étranges ressenties au fil de cette journée.
Nous y dînâmes, écoutâmes un groupe jouer de la musique traditionnelle, bûmes plusieurs pintes d'une bière rousse délicieuse. A un moment donné, je m'étonnai de voir Snoog sortir un petit carnet d'une de ses poches et commencer à écrire.
- Que fais-tu là ? demandai-je, curieuse.
- Hum, j'prends des notes... J'ai toujours de quoi écrire sur moi. Je note là des bribes de mélodie, des rimes, des phrases qui percutent... Tout ce qui sera - ou pas - matière pour de futures chansons. Et avec ce qu'on a fait aujourd'hui, j'aurai de quoi.
Je souris et dis :
- Pourquoi je ne suis pas étonnée par ta réponse ?
- Parce que ce qu'on a vu et ressenti t'a touchée autant que moi, fit-il.
- Possible. Je pourrai répondre avec plus de certitude quand j'entendrai la chanson qui en sera issue.
- Tu sais, il n'y aura pas forcément une chanson en particulier.
- Plusieurs alors ?
- Peut-être. Il est aussi possible que ces éléments apparaissent, un peu cachés, dans plusieurs chansons. C'est ce que j'aime aussi dans la création. Une toute petite idée peut donner une grande chanson. Ou alors, il faut beaucoup de matière pour réussir à écrire un seul couplet. Rien n'est écrit d'avance.
- Comme la vie, fis-je remarquer.
- La musique, c'est la vie, répliqua-t-il en souriant. C'est ma vie.
J'acquiesçai simplement. Mais je devais bien m'avouer que j'étais vraiment curieuse de découvrir ses futures compositions, voir si j'y repérerais ces fameux petits éléments qu'il évoquait.
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