Chapitre 32 : Loren
Le timing était très serré. Les Dark Angels devaient repartir sous peu pour la suite de la tournée, des dates un peu partout en Europe. Ils ne seraient de retour en Grande-Bretagne pour l'achever que dans quatre mois environ. J'étais soulagée d'avoir pu obtenir un rendez-vous dans les délais impartis pour l'analyse ADN. Et j'espérais que les résultats nous parviendraient alors que Snoog serait encore là. En le revoyant, j'avais pris conscience de l'importance presque vitale pour moi de connaître la vérité. Quelle qu'elle soit. Je ne pouvais plus continuer sans savoir. Sans être sûre. Le doute me rongeait, même si je m'accrochais à ce qui faisait la force et la joie de mon quotidien, à savoir April. Mais je me sentais aussi totalement bloquée face à ce doute, comme si je ne pouvais pas prendre certaines décisions, faire certains choix tant que je ne saurais pas la vérité.
Snoog avait encaissé la nouvelle avec plus de force que je ne le pensais. Il ne s'était pas démonté, il ne s'était pas mis en colère, y compris contre lui-même. Je le revoyais encore, fixant longuement April, comme pour mieux entendre cette possible vérité : qu'elle soit sa fille. Puis il s'était laissé aller contre le dossier du sofa, son regard s'était perdu au plafond. Je l'avais laissé un moment dans ses pensées, puis, comme le silence se prolongeait et que cela me devenait trop pénible, j'avais posé ma main sur son bras. Il m'avait alors regardée et m'avait dit :
- Comment ça a pu arriver ? On a fait super attention...
J'avais soupiré et reconnu que oui, nous avions fait attention. Mais que le "super" était de trop. J'étais alors revenue sur ce moment sous la douche et il avait hoché la tête : pas besoin de lui faire un dessin, il avait bien compris.
Il m'était encore difficile de dire s'il l'avait senti ou pas, mais j'avais éprouvé à cet instant le terrible besoin de me lover dans ses bras. Sans que je l'exprime, ni même en affirmant la pression de ma main sur son poignet, il m'avait alors attirée vers lui et fait asseoir sur ses genoux. Non face à face comme dans le taxi qui nous avait ramenés à l'hôtel après le concert de Wembley, mais de côté. Il m'avait serrée contre lui presque aussi fort que ce soir-là. J'avais alors appuyé ma tête contre son épaule, me nichant au creux de son cou. J'avais tant besoin de son contact ! De ressentir sa chaleur, sa force, sa puissance. Toute cette aura qu'il dégageait et qui, quoi qu'il ait pu en dire, m'avait prise dans ses filets. J'en avais fermé les yeux de soulagement et, aujourd'hui, alors qu'April faisait sa sieste, que je regardais pensivement par la fenêtre tout en savourant un thé bien chaud et en attendant l'arrivée de Snoog, j'en avais encore une conscience aiguë.
J'avais besoin de lui dans ma vie, et pas seulement pour April, même si cela me paraissait être le plus essentiel. Surtout si elle était sa fille. Mais moi aussi, j'avais besoin de lui. Pas forcément au quotidien, pas pour tout partager. Il était des tas de choses qu'on pouvait faire l'un sans l'autre, qui ne regardaient d'ailleurs ni l'un, ni l'autre. Je me fichais bien, par exemple, de la façon dont il rangeait ses vêtements chez lui et s'il préférait prendre sa douche le soir ou le matin. Non, je ne voulais pas parler de ce quotidien-là. D'autant qu'une certaine routine se créait désormais pour moi et April, et que je ne voyais pas trop où il pourrait y prendre place.
En revanche, je nous imaginais très bien partager des moments forts, des moments importants, comme des anniversaires, des voyages. J'étais prête à repartir avec lui sur toutes les routes écossaises qu'il voudrait arpenter, en emmenant April avec nous. J'étais prête à ce qu'il puisse la voir grandir, rire, pleurer, s'émerveiller. Je le voulais même intensément. Qu'elle soit sa fille ou pas. Car je savais qu'il aimerait ces moments-là et qu'il pourrait les rendre encore plus riches et beaux juste pour elle. Et par ricochets, pour moi. Je voulais aussi, je ne me le cachais pas, des nuits intenses à m'en chambouler les sens, à m'en faire perdre la raison. Mais dormir chaque nuit à ses côtés... Ne nous lasserions-nous pas ? Et je ne voulais surtout pas que lui se lasse, et que cela se termine par un simple virement d'argent mensuel pour subvenir aux besoins et à l'éducation d'April.
**
Il était arrivé alors qu'April se réveillait tout juste. Nous serions sans souci à l'heure pour le rendez-vous. J'avais habillé la louloute et nous avions guetté le taxi.
Snoog, contrairement à son habitude, parlait peu. Mais il souriait dès qu'il regardait April et il avait eu l'air très attendri à son réveil, quand elle avait encore le regard un peu embué. Une fois arrivés à l'hôpital, nous trouvâmes aisément le service et nous n'attendîmes pas longtemps. Snoog passa le premier, puis ce fut mon tour. Il garda April et me rejoignit avec elle, après ma propre prise de sang. Je repris alors ma fille, tentant de présenter son bras à l'infirmière. Mais dès que celle-ci passa le coton froid avec le désinfectant, elle se contracta et se mit à protester, chouinant un peu.
- Tenez-la bien, me dit l'infirmière avec bienveillance. Ce n'est pas long, mais si elle bouge, ça lui fera mal et je risque de mal la piquer.
- Je vais la prendre, dit Snoog. Toi, tu lui tiens bien le bras.
Je le regardai un instant, puis lui tendis la petite. Elle se calma vite et nous pûmes faire comme il l'avait suggéré. Il l'avait assise sur ses genoux, bien calée au creux de son bras. Il lui parlait et lui racontait une petite histoire à laquelle je ne prêtai nullement attention. Mais rien que d'entendre sa voix, calme et profonde, m'apaisa moi aussi. Je pris le bras d'April, le disposant le mieux possible pour l'infirmière. Ma louloute sembla ne se rendre compte de rien et si elle eut un petit geste de surprise quand l'infirmière la piqua, ce fut tout, car elle restait absorbée par Snoog. Ils se regardaient, les yeux fixés l'un à l'autre.
L'infirmière nous confirma qu'il faudrait quelques jours pour avoir les résultats, nous vérifiâmes que nos coordonnées étaient bonnes, puis nous rentrâmes à l'appartement.
En arrivant, je sentis mes jambes flancher. Snoog s'en rendit compte aussitôt et m'envoya m'asseoir dans le canapé. Il s'occupa d'April, de lui enlever sa petite veste et même de lui donner un biberon d'eau, le temps que je me reprenne.
- Ca va ? me fit-il ensuite.
- Oui. Je pense que j'ai un coup de tension. Mais je récupère, souris-je pour le rassurer.
La fin de journée se passa tranquillement. Nous dînâmes ensemble et il m'aida à installer le lit d'April dans le salon. Puis nous nous retrouvâmes juste tous les deux. Il ne resterait pas au-delà de cette nuit, il devait rentrer à Glasgow le lendemain matin pour repartir dans deux jours pour Paris.
Ce fut bon. Je me rendis compte que j'étais comme affamée, que je le désirais ardemment et lui de même. Les derniers rapports que nous avions eus Jim et moi remontaient à très loin et je ne pouvais pas dire que cela avait été très satisfaisant. Et, la semaine passée, Snoog n'était pas resté pour la nuit : j'avais compris son besoin de prendre un peu de distance après les révélations que je lui avais faites. Mais ce soir, c'était différent. Nous avions aussi de la tension, des inquiétudes à évacuer tous les deux. Peut-être des choses à oublier ou, du moins, à mettre de côté.
Je n'osais pas croire que nous avions aussi besoin de nous retrouver, de faire renaître une complicité qui était très forte, et même si nous avions du mal à l'admettre, qu'elle l'était aussi dans la plus grande intimité.
**
- Loren...
Je gémis en l'entendant prononcer ainsi mon prénom, comme soufflé doucement à mon oreille. Il était sur moi, en moi, ses doigts enlacés aux miens, nos bras tendus au-dessus de nos têtes. J'allais succomber, je le sentais. Il me rendait folle, ainsi, à être si présent à moi, à nous, à m'entraîner et m'emporter plus haut encore. Je ne savais pas combien il y avait de cieux dans l'univers de Snoog, mais je pouvais dire avec certitude que le septième était dépassé depuis longtemps.
- Loren... Regarde-moi.
J'eus bien du mal à soulever mes paupières tant les vagues qui m'envahissaient me faisaient vaciller. Son regard était magnifique. D'un bleu plus soutenu que d'habitude, plus chaud, plus enivrant, plus envoûtant encore.
- T'es magnifique, me souffla-t-il. J'peux pas...
Et le plaisir nous submergea avant qu'il puisse terminer sa phrase. Ses derniers mots m'achevèrent quand il retrouva un semblant de souffle :
- ... te résister.
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