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Mon père a fait une brève réapparition l'année de mes dix-huit ans. C'est à cette occasion qu'il m'a offert la Punto. Il m'attendait à la sortie du lycée, j'étais en terminale à l'époque. Au premier abord, je ne l'ai pas reconnu, à croire que le lavage de cerveau de ma mère pour le transformer en un souvenir irréel, inventé de toutes pièces avait fonctionné.
Comment vas-tu ?
J'ai soif. Je lui ai sobrement répondu.
Nous avons bu un café, puis une bière, puis une autre. Nous avons rattrapé les années perdues en quelques heures.
Il semblait aller bien. Il avait des cheveux blancs maintenant et avait rasé son bouc. Sa nouvelle vie devait lui faire un bien fou. Loin de son ex-femme. J'ai appris avec détachement que j'avais un demi-frère, né il y a quatre ans.
Je ne lui ai posé aucune question, il parlait sans cesse, me vomissant sa merveilleuse vie en pleine figure.
Puis il m'a questionné sur ma vie, sur mon frère, sur ma mère. Je n'ai pas ou peu répondu. Toujours avec détachement.
Nous nous sommes quittés sur une anecdote de mon enfance qui sonnait faux. Il m'a confié les clés de la voiture en murmurant un Joyeux anniversaire qui sonnait comme un Je suis désolé pour tout.
J'ai fermé les yeux pour retenir mes larmes alors qu'il me serrait dans ses bras. Des larmes de rage. Je l'ai repoussé malgré tout avec délicatesse et je suis parti au volant de ma première voiture.
L'année de mes dix-huit ans, mon père est officiellement mort à mes yeux. Chimère évanouie. Existence d'un être inventé de toutes pièces par les souvenirs trompeurs d'un être aimant qui n'existait plus.
L'année de mes dix-huit ans, ma mère me voyant rentrer avec plusieurs heures de retard au volant d'un cadeau fait par mon père, m'a mis à la porte.
Je ne vous ai pas revu, ni elle, ni toi durant trois longues années.
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