8 – Pseudo : Cocotier - Le ciel -- Auteur incipit : Ālغx | - Auteur texte : Abab
Le ciel chargé invitait à la prudence lorsqu’enfin s’étala devant mon regard fatigué la plaine des aveugles. Du haut de la crête des oubliés, je distinguais sans peine la promesse dorée d’un avenir opulent. J’embrassais de joie le parchemin qui m’avait conduit jusque-là, puis entamais avec hâte la périlleuse descente.
Le vent du nord balayait la contrée de bourrasques violentes. J'avançais, courbé vers l'avant, le souffle court. Le son des cloches me donnait les dernières forces dont j'avais besoin. A cent mètres de la palissade en bambou, une flèche se ficha dans mon pardessus et me fit basculer sur le dos. Suivirent trois autres flèches, me clouant au sol. Trois hommes encapuchonnés et armés de longs sabres me firent face. Je voulus saisir le parchemin resté dans ma poche intérieure. Un coup du plat de la lame d'un sabre me stoppa dans mon élan. Les hommes mirent une cagoule en laine. Je les sentis me soulever par les coudes et me faire avancer à un rythme soutenu. J'allais pénétrer dans l'une des quatre bambouseraies.
Huit mois plus tôt. Quelques étals se disputaient l'attention des passants. Les denrées n'atteignaient plus notre ville depuis une année à cause de la sécheresse. Beaucoup était parti, cherchant à atteindre un des eldorados de la légende. On disait qu'on avait atteint l'un d'eux lorsqu'une palissade en bambou apparaissait sous vos yeux fatigués et que vous entendiez les cloches de bois sonner. J'avais toujours été d'une nature défaitiste et l'arrivée du fléau, comme disaient les prédicateurs, n'avait été pour moi qu'une suite logique de cette vie difficile.
Monté sur une estrade vermoulue, un homme, habillé d'un manteau en laine, balayait la foule de la tête. Il était étrange de voir quelqu'un habillé si chaudement alors que la température ne descendait plus en-dessous de trente degrés depuis des années. Je remarquais également qu'il portait sa capuche complètement rabattue sur ses yeux et un sabre à la ceinture.
" Qu'est-ce que tu vends ? lui criai-je.
_ Rien qui ne te convienne.
_ Comment peux-tu le savoir ? J'ai quelques pièces à dépenser avant de mourir !
_ Il n'est pas question de mourir avec ce que je vends.
_ La cloche a tinté ; tu n'as plus le droit de somnoler. Le sabre a tranché ton dernier lien de vassalité. Ose donc affronter le terrible encapuchonné. Si la lumière du jour se remet à briller, c'est que tu as échoué. Tu me fais penser à cette légende.
_ Tu ne crois pas aux quatre bambouseraies ?
_ Bien sûr que si. Les parchemins gravés, des constructions souterraines de fraîcheur, d'opulence et de sérénité. La prophéti...
_ Laisse donc tes prédicateurs avec leurs visions ! Les bambouseraies sont assez grandes pour accueillir une grande partie de la population. Il ne s'agit pas de châteaux-forts pour les puissants.
_ Pourquoi faut-il donc un parchemin pour les trouver ?
_ Même si je te donnais un parchemin, tu ne la trouverais pas ! Il faut avoir le cœur rempli d'un espoir que tu sembles avoir perdu. Une fois dans ce cocon préservé, une existence dorée d'opulence s'offre à toi. Mais tu as également la charge de transmettre les valeurs de la bambouseraie. Si tu n'es pas prêt à t'engager corps et biens, tu ne trouveras pas la palissade même si elle est dans le désert derrière ce marché !"
L'homme avait ri puis sauté au bas de l'estrade.
" Pourquoi donneriez-vous un parchemin si vous en aviez un ? demandai-je. Est-ce que cela fait partie des devoirs dont vous parlez ? Parcourir le monde pour offrir aux gens la possibilité d'être sauvés ?
_ Qui a dit que je le donnerai ? Je le vendrai et au prix fort !"
Il se remit à rire puis s'enfonça dans le marché. Cette rencontre m'avait rappelé la légende des bambouseraies fondées par des chevaliers qui avaient su mettre à profit leurs multiples talents : d'abord celui de stratèges pour faire de lieux tels que la plaine des aveugles, la vallée des sourds, le gué des sans-nez et la falaise des sans-langue un havre secret de richesses puis celui de guerriers pour résister aux chercheurs de trésors. Je fredonnais les quelques vers lorsque je vis l'homme penché au-dessus de la fontaine du marché. Elle était asséchée depuis longtemps. Je m'approchais et vis du sang goutter sur la pierre brune. Alors que je tendais la main pour le toucher, d'un geste leste il saisit son sabre et du plat de la lame, tapa vigoureusement sur ma main.
" Je n'allais pas vous voler ! m'exclamai-je.
_ Je sais. Allons plus loin. "
L'homme se laissa tomber au sol, derrière une vieille masure. Le sang continuait à goutter de son visage.
" Combien de pièces as-tu ? me demanda-t-il.
_ Cinquante.
_ Tu es un économe.
_ Je n'ai jamais eu goût à la vie.
_ C'est bien ce qui me gêne. Je dois ramener quelqu'un dans une bambouseraie mais je ne suis plus en état. J'aurai aimé trouver quelqu'un qui aie envie de vivre et de se battre mais je n'ai trouvé que toi. Tes prédicateurs diraient sûrement que c'est le Destin.
_ Vous avez vraiment un parchemin ?"
Et je le vis. Le parchemin en bambou, le tracé à travers des paysages désertiques, le visage de l'encapuchonné. Le sang coulait de ses yeux dont les pupilles avaient disparu, comme brûlées par le soleil.
" Il s'agit de ma fille. "
Il avait continué à parler pour me convaincre que ce serait un acte de charité de ma part d'aider une adolescente à se mettre à l'abri et une charité de la sienne d'offrir un avenir radieux à un homme sans espoir comme moi. J'avais accepté, avec mon habituel pessimisme qui me disait que nous n'arriverions jamais au bout de notre périple. "Mes prédicateurs" auraient pourtant soutenu que c'était bien le Destin qui m'avait choisi puisque j'entrai seul dans la bambouseraie des aveugles.
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