19 – Pseudo : Nu·e - Jeudi -- Auteur incipit : Abab - Auteur texte : Ai acheté un couteau

2 minutes de lecture

« C'était un jeudi comme un autre. Moitié grisaille, moitié chaleur moite. Les gens ne semblaient se préoccuper ni de la pollution, ni du brouhaha du tramway. Paolo monta dans le wagon à la station Monument ; il y avait foule. »

Les rideaux de cheveux écharpaient la droiture des longues barres grises noyées de soleil, et cette image trouble, d’ordinaire apaisante, gorgea sa poitrine de graviers, une boite lourde de souvenirs que le rail s’amusait à secouer ; une main s’agrippa à son épaule, une main de femme, fine et ridée, pardonnez-moi, et il la tint un instant, pour saisir la simplicité de sa voix, d’une peau contre sa peau — non, pardonnez-moi. Le tram s’arrêta. C’était le terminus et, en bas de l’avenue, on voyait la mer, fantôme nu saisi dans l’encadrure d’une chambre. Paolo pleura pour la troisième fois depuis le réveil (les deux autres fois : la photographie de Martina, son visage rouge et lointain ; un appel de sa mère, qu’il ignore), mais sans aucune tristesse, juste un débordement, une vague qui l’ouvrait comme on ouvre les géométries d’un désert.

L’arc jaune de la plage baignait d’une inhabituelle clarté ; des enfants couraient ; une femme relevait ses cheveux en un chignon négligé ; et, baskets à la main, Paolo montait péniblement la grande dune, ses pieds se dérobant au sable sec du début d’après-midi. Il s’assit au milieu de la pente, le souffle lourd et les cheveux poussière, résigné comme incapable de trouver un souvenir cher, une lettre d’amour qu’il aurait cherché toute la nuit, au grenier, dans l’ombres des piliers adolescents (collages, carnets et boîtes à chaussures, trop lourds pour être descendus). Plus haut deux enfants riaient, et il rit avec eux, d’un rire réfréné qui s’offrait au vent.

Au-dessus du ponton et des rares lignes tirées, les mouettes volaient, fixes face au vent, avec tout le temps du monde. Paolo espérait par hasard trouver Martina sur la promenade, sous le manège ou la pancarte d’un bar, de dos, pour ne pas la reconnaître de suite, juste un soupçon, une démarche liquide et le bleu-clair d’une chemise, d’une broderie — ce couple d’oiseaux qu’elle avait niché dans son cou… Il prit une bière. Le crépuscule tombait déjà. La solitude absorbait les cris de la plage (les enfants, toujours les enfants, et une femme, surprise par la vague) et Paolo sentit son corps se rétracter sous une soudaine pudeur, comme si, pour la première fois aujourd’hui, il sentait le poids de son corps, de ses mains sur ses genoux, sa tête sur sa nuque, sa langue dans sa bouche. C’était doux. Il décida d’appeler sa mère. Il y eut trois sonneries vides, et il voulut raccrocher ; mais la voix émergea, cette voix qui l’avait si souvent libéré d’un long cauchemar. Il parla peu. Tout au plus évoqua-t-il sa journée de mots étouffés : c’était doux, puis il promit de passer la voir, un jour, bientôt.

Il trouva sa chambre intacte, avec cette forte odeur qui était celle d’un autre, un autre resté là cinq jours, à emmêler l’air de tristesse. Peut-être, demain, sortirait-il aussi. Il ne le savait pas encore.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire La Plume Déplumée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0