Sur la Route de Gerbey
Chère Amie,
Je vous avais promis une missive une fois arrivé au manoir d’Outre Maulx et, ne souhaitant rompre, l’odieux sortilège, cette promesse que je vous fis, je m’empresse aussitôt, avec l’audace sans doute maladroite d’une jeunesse emportée, de m’emparer d’une plume afin de vous écrire mes dernières impressions et de vous faire part de ce qui me traverse, de m’enquérir de vous, enfin, puisqu’il manque à mon âme la douce sonorité de vos mots.
Le voyage, ce dont vous vous doutez, fut long et monotone, comme il est d’usage par la route de Gerbey et nous manquâmes de nous perdre, surpris par l’obscurité et l’inexpérience d’un jeune cocher ; je n’ai point été acerbe avec ce jeune homme, adoucissant mon propos, faisant preuve de cette tempérance qui vous est chère et qui vous place parmi les femmes les plus spirituelles de Paris.
J’aurais pu me languir pendant ce voyage, de cet ennui détestable qui vous envahit l’esprit ; ce ne fût guère le cas puisque vous fûtes à chaque instant dans mes pensées. Vous connaissez mon impatience, que je cède volontiers au calme le plus impassible depuis que votre connaissance m’a été portée. Il semblerait qu’elle se soit tue par la grâce même de votre pregnance, pour allumer d’autres brasiers. Mon inclination à votre égard, dévoilée par quelques plaisantins qui, se sustentant des calomnies les plus grossières, les portent un jour à la connaissance des personnes concernées, n’est point le fait du seul bruit qui court car je le concède, la rumeur a vu juste, il n’est point de feu sans flammes : je suis sous votre charme depuis notre rencontre à Honfleur.
Voilà ce qui a troublé mon voyage : l’idée que vous le sachiez par d’autres bouches, plus virulentes et peu sincères. Que vous ne soyez point à mes côtés, à partager ces routes plates ou escarpées, ces campagnes poétiques mais désolées, me chagrine tout autant, car votre compagnie seule suffirait à éclipser les voyages fastidieux, les mornes vêpres, les soupers les plus convenus, donnant à tout cela un regard nouveau ; sans vous, mon amie, je me sens dépeuplé.
Oserais-je vous suggérer qu’il n’appartient qu’à vous de faire croître cette passion que je vous porte, et dont les graines sont déjà semées dans mon cœur, qu’il n’est besoin que d’un mot de votre part pour que je vous l’offre et, avec lui, ses feux, mon âme qui vous est toute acquise, et tous les jardins que la terre ait portés ?
Bien à vous, votre ami,
Nicolas de Raviere
Annotations