Je suis...

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Nous sommes tous réunis dans le salon, seul David n'est pas là, il se repose, je prends une cigarette et commence à fumer :

–J'en peux plus !

Cynthia s'est emmitouflée dans une couverture, il n'y a que sa tête qui en sort, elle a le sourire aux lèvres :

–Je bouge plus avant demain matin.

Max lui dit :

–Tu sais techniquement, on est demain matin !

–J't'en merde !

Gloriam nous demande :

–Du coup ça s'est passé comment ?

–Mieux que je ne l'aurais espéré ! Je n'ai eu aucun mort sur la table d'opération, lui répond Cynthia en fermant les yeux.

Taïba croise les bras :

–J'attends ce que vont dire les infos, mais mise à part le fait que j'ai perdu mon statut de cheffe de gang, je dirais que ça s'est bien passé. T'en penses quoi Max ?

–On a fait du bon boulot.

Aziz lui demande :

–Toi aussi t'as quitté le gang ?

–Je l'aurais déjà fait depuis longtemps si Taïba ne m'avait pas donnée comme premier ordre de rester à ses côtés.

Je le regarde circonspecte :

–Pourquoi tu voulais partir ?

–Je n'avais plus besoin du gang, j'attendais juste la bonne personne pour laisser les rênes.

–C'est ce que tu fais ? Jeter ce qui ne te sert plus ?

Max se lève d'un bond :

–OK ! Toi et moi, on doit parler !

Il prend son manteau et monte les escaliers, je regarde les autres pour savoir ce que je dois faire, ils ne me répondent pas, j'entends dire :

–S'était pas une suggestion !

Je finis par me lever et le suis avec mon manteau, il monte au dernier étage, il met l'échelle contre le velux et l'ouvre. Max monte sur le toit, je passe les barreaux un à un, je suis accueillie par le froid mordant de l'hiver, les étoiles et la lune qui éclairent la nuit noire. Max me demande froidement :

–C'est quoi ton problème ?

Nous nous regardons dans les yeux, je finis par lui répondre sur le même ton :

–J'ai aucun problème !

Il s'approche du bord de la toiture en me pointant :

–Tu vois, ça m'étonnerait ! Tu penses vraiment qu'on est des insensibles ?!

–J'ai pas dit ça !

–Ah bon !? Et "jeter ce qui ne te sert plus"?! C'était quoi !?

–Je…

–Pourquoi ? Qu'est-ce qui te met en colère ? Qu'est-ce qui te fait souffrir ?

Je détourne le regard et ne dis rien :

–J'ai compris.

Il se tourne vers le vide, il ne va quand même pas sauter ? Il lève les bras et saute, mais c'est qu'il le fait vraiment le con ! Je saute et attrape sa main, ses pieds pendent dans le vide :

–T'es un grand malade !

Il lève la tête vers moi et me sourit :

–Hey ! J'ai une réputation à tenir ! Alors ! Maintenant qu'on en est là, tu pourrais t'expliquer !?

Il est sérieux là !?

–Tu rigoles !? Il faut que tu remontes, je vais pas tenir très longtemps !

–Tant pis ! Lâche-moi alors !

Il m'énerve ! Ce n'est pas possible d'être aussi con !

–T'as un sérieux problème au cerveau ! Tu crois vraiment que je vais te lâcher !?

–Je remonterai uniquement quand tu m'auras dit tout ce que tu as sur le cœur !

–Pourquoi veux-tu savoir tout ça !?

–Tu te rappelles quand je te disais qu'on ne voit bien qu'avec son cœur ? Eh bien aujourd'hui, à cette heure, à ce moment ! Tu vas voir ce qu'il y a dans le tien ! Tu es en colère ! C'est en la déversant qu'on arrive à vivre ! Mais ce n'est pas pour autant que nous devons être tes souffre-douleurs ! À ton avis pourquoi on se bourre aussi souvent la gueule !? Dis-moi tout ! Si tu veux, je ne t'écouterai pas !

–T'es sérieux ?! Qu'est-ce qui tourne rond chez toi ?

–Rien justement ! Alors ? J'attends !

–Vous m'énervez ! Comment arrivez-vous à tous être aussi heureux !? Avec tout ce qui vous arrive, vous gardez le sourire !? Pourquoi !?

–L'incompréhension et la jalousie ?! Il y a forcément autre chose ! Sinon ça ferait longtemps que tu serais partie !

–C'est que ça fait si longtemps que je garde cette douleur en moi… dis-je à Max, tandis que mes yeux deviennent humides. J'ai tellement peur. Je me force à sourire, mais je souffre ! Cette douleur ne fait que grandir en moi à chaque fois que je les vois !, mes larmes coulent le long de mes joues et atterrissent sur celle de Max. Je les aime tellement ! Autant l'un que l'autre. Émile et Estelle, je les aime tellement ! D'un amour sincère. Tellement inépuisable qu'il me fait souffrir !, dis-je en sanglotant. Sans eux, ma vie n'aurait simplement aucun sens. J'ai essayé… j'ai essayé de les oublier, mais je n'y arrivais pas. C'est pour ça que j'ai sautée !, je poursuis en reniflant. Je ne supporte pas de les savoir loin de moi ! Avec vous, j'avais l'impression de pouvoir trancher n'importe quelle difficulté, j'avais l'impression d'oublier, mais c'est complètement faux ! Je n'arrive pas à… à leur avouer mes sentiments ! À chaque fois que je me sentais heureuse, mes idées noires que j'avais celées au plus profond de moi revenaient au triple galop ! À chaque fois ! Sans que je puisse jamais rien faire d'autre que de penser que je devais mourir ! Égoïstement, je pensais que cela réglerait le problème, que de rejeter la faute sur les autres me ferait me sentir mieux, à quel point ai-je été stupide ?

Le froid gèle mes larmes et brûle ma peau, je me sens tellement minable, tellement impuissante face à ma peur. C'est cela qui me mettait en colère : par pur orgueil, j'ai voulu mettre fin à mes jours pour effacer ce sentiment que je refusais de ressentir. Max remonte sur le toit sans trop d’efforts et se tient face à moi. Que va-t-il me dire ? Je reste à genoux, tête baissée, en train de déverser ces larmes qui continuent d'incendier mes joues. Après quelques secondes de silence, il finit par poser sa main sur mes cheveux et me caresse la tête :

–Ta douleur doit être des plus grandes, à la lisière de deux mondes, n'appartenant ni totalement à l'un, ni à l'autre. Tu avanceras sur une route tortueuse et sinueuse en te faisant blesser par ceux qui ne te comprennent pas, être bisexuel dans ce monde t'apportera peut-être plus de malheur que de bonheur. Mais tu seras toi. Je comprends ta peine même si nous ne sommes pas pareils.

Je relève la tête vers lui, le seul mot que j'arrive à prononcer est :

–Pourquoi ?

–Pourquoi, c'est une contraction de pour et quoi, pour venant du latin pro qui est emprunté du grec voulant simplement dire devant, et quoi qui vient du latin quid…

Je comprends avec tout son charabia qu'il essaye de faire une blague, je le coupe en souriant :

–La version courte s'il te plaît.

Il se met à ma hauteur :

–Je comprends ce que c'est que de ne pas appartenir à monde bien particulier, la vérité, c'est que je suis asexuel.

Je le regarde avec incompréhension :

–Je suis quelqu'un qui ne ressent aucune attirance sexuelle pour autrui ou pour moi-même, j'ai un désintérêt profond pour le sexe. Ce n'est pas du tout pareil pour les asexué.

–Pourquoi tu le précises ?

–Au cas où tu te poses la question et vu que les mots se ressemblent.

Il me prend la main et m'aide à me relever :

–Tu me complètes en quelque sorte, je ne ressens aucun amour pour vous, c'est vrai, mais il n'en reste pas moins que je veux vivre dans un monde qui nous comprend tous, sans distinction, sans que des connards nous interdisent d'accéder au bonheur qu'ils gardent jalousement, je veux que toi, ma sœur, tu puisses vivre heureuse comme le reste de ma famille.

–Est-ce seulement possible d'aimer follement deux personnes à la fois ? Je ne veux pas choisir, je veux les garder pour moi, même si c'est monstrueusement égoïste, je refuse de les voir dans les bras de quelqu'un d'autre.

–Tu peux former un trouple, comme ça tu vivrais avec eux deux.

Je rigole quand il prononce ce mot qui m'était inconnu :

–Trouple ? C'est un couple à trois ?

–Ça existe depuis bien longtemps, Victor Hugo et Émile Zola étaient connus pour avoir eu une romance avec deux femmes en même temps.

Il essuie mes larmes :

–Créer ton propre choix, c'est ce qui est le plus important.

Je le prends dans mes bras en continuant de pleurer :

–J'te remercie ! Même si t'as un sérieux problème à régler ! Tu peux pas savoir à quel point je te suis reconnaissante !

Je me suis acceptée dans ce royaume qui m'avait déjà ouvert ses portes, je me sens si bien, je suis légère :

–Ça fait du bien de parler, rire et pleurer, alors que ce soit l'un des trois ou celui que tu créeras, prends-le et fais-le. Ne te retourne jamais en te disant que tu aurais dû faire autrement, retourne-toi et sois fière de ce que tu as fait, après tout, on ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux.

–Cette phrase est tellement belle. Tellement vrai.

–Et elle nous provient d'Antoine de Saint-Exupéry.

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