1. Emma

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Elle se souvenait des lumières clignotantes. De la musique lourde et assourdissante, des corps reluisants, mouvants tels des serpents d'eau dans une marre d'alcool. L'odeur enivrante du cocktail agitait encore ses sens. Des souvenirs détachés. Un rythme lointain, résonnant à des kilomètres. Elle dut user de toutes ses forces pour soulever ses paupières. Plus lourdes que trois ânes morts.

Elle les referma instantanément. Trop de lumière.

Les sensations de la veille lui échappèrent des doigts. Un goût amer avec remplacé celui de l'alcool. Elle fut prise d'une soif soudaine. De l'eau. Elle bascula son poids sur le côté, entrouvrant légèrement les yeux afin d'analyser les alentours. L'ambiance dépérissante et pesante de la veille était encore fraîche dans sa mémoire, mais pas comment ça s'était terminé. La commode qui lui fit face ne lui était en rien familière. Cependant il y avait, posé dessus, sa délivrance. Faisant abstraction de la lumière douloureuse du jour, elle s'empara du verre d'eau et avala le contenu à grandes gorgées. Engloutir si rapidement le liquide lui donna presque envie de vomir, mais au moins, sa soif était passée.

Elle ne se rendit compte que trop tard de l'aspirine posée juste à côté.

Tout en grommelant des jurons, elle se recoucha sur le dos, les yeux déjà demi-ouverts. La lumière blanche d'un magnifique soleil d'été transperçait le verre des fenêtres. Les rideaux étaient repliés sur les côtés, inutilisés. Elle aurait pu se lever, les déplier pour cacher ce jour affreux et se rendormir. Mais son corps pesait trop lourd. Et elle n'avait plus d'eau pour prendre l'aspirine.

Sur le mur, des reflets pâles glissaient sur des photos. Elle décala un peu sa tête sur le côté. Des photos d'elle et Madden sur la plage. William qui fumait et Erwin à côté, avec ses lunettes de soleil qu'il mettait même en hiver tellement il les aimait. William, Erwin, Alexandre et Lucas, bras dessus bras dessous avec les couleurs de la France peintes sur les joues et le drapeau en guise de cape. Puis William une nouvelle fois et elle lui déposant un bisous sur la joue.

William.

— Et merde, marmonna-t-elle.

Se lever fut la chose la plus difficile au monde. Pire que monter l'Everest en pleine tempête de neige. Une nausée remonta à l'instant où sa tête fut en l'air. Gagner la porte fut comme courir un marathon, et descendre les escaliers, le Rallye du Quatar. Avec toutes les bosses et les virages possibles. L'odeur salée émanant de la cuisine fut à l'origine d'un haut le cœur.

— Ah, enfin réveillée.

— Tu peux m'expliquer ce que je fais ici ?

William esquissa un demi sourire puis se retourna pour remuer les légumes qui grillaient. Deux boucles brunes brillantes retombaient sur son front. Elle fut saisie par une soudaine envie de glisser ses doigts dans ses cheveux, telle une peluche trop douce pour s'en détacher.

— Je n'allais pas te laisser chez Simon toute la nuit, dieu sait ce qu'il t'aurait fait.

— Il ne m'aurait rien fait, grommela-t-elle sans grande conviction.

Simon était connu pour ses fêtes endiablées mais aussi pour son activisme dans les relations sexuelles. Et depuis longtemps il traînait autour d'elle dans l'espoir d'ajouter à sa liste la fille d'un Rovel.

Le crépitement du gras contre la surface brûlante de la poêle emplissait la cuisine d'une mélodie routinière. Assise sur le tabouret haut, elle se mit à jouer avec les pétales d'une rose séchée.

— Tu as pris l'aspirine que je t'ai laissé ?

— Non. J'ai bu toute l'eau.

— Et t'aurais pas pu la descendre pour la prendre ici ?

— Pas pensé.

Il lui en demandait beaucoup pour un dimanche matin avec une gueule de bois. Il éteignit le gaz puis s'appuya sur le rebord de la table centrale. Ses pupilles chocolat la scrutaient avec attention. Chaque détail de son expression, chaque mouvement passa sous son inspection. Son aspect devait être horrible pour qu'il la fixe ainsi.

— Quoi ?

— Tu t'es évanouie hier. C'est la principale raison pour laquelle je t'ai ramenée. Erwin insistait pour t'emmener à l'hôpital, mais ça n'aurait fait que t'apporter des problèmes.

Elle ne se souvenait pas de la présence d'Erwin à la fête.

— Je ne vois pas de quels problèmes tu parles.

Elle cassa le pétale en plusieurs petits morceaux, produisant un bruit de miettes écrasées. William baissa le regard avant de pousser un long soupir exaspéré.

— Si c'est la mort de Leila que tu cherches à oublier, alors tu peux...

— Ce n'est pas ça, le coupa-t-elle avec ce feu incandescent de l'avertissement dans les yeux. Arrête de tout ramener à elle.

— Alors pourquoi tu te saoûles autant, pourquoi tu prends de la drogue à chaque fois que tu en as l'opportunité ?

— Est-ce que t'as su répondre à cette question quand t'avais seize ans ?

Son visage se ferma.

— Je vais chercher l'aspirine, lâcha-t-il avant de partir.

Elle vérifia les messages de son téléphone qui était posé sur la table. Dix appels perdus de Sasha. Deux de Madden. Des textos d'Erwin qu'elle rechignait à ouvrir, s'attendant à d'énormes pavés de morale. Elle s'étonna même qu'il ne soit pas là. Elle savait Alexandre chez ses parents cette semaine, mais pas Erwin. En se redressant un peu, elle remarqua qu'il n'y avait pas assez de courgettes dans la poêle pour deux personnes.

Mettant sa question de côté, elle appela Madden. Parler maintenant avec son frère lui donnerait un mal de tête.

— Emma ! Bonté divine ! s'exclama-t-elle à l'autre bout du fil après seulement deux bips sonores. Je croyais que t'étais morte !

— William ne t'a rien dit ?

— Pourquoi William ?

Elle lui exposa la situation, la fête de Simon la veille, son réveil le matin, l'aspirine, William faisant la cuisine ( ce à quoi Madden explosa de rire ) et les dix appels de Sasha.

— Oui, ton frère s'inquiétait. Je me suis dit que ses appels manqués compenseraient les miens.

Madden vivait avec Sasha et elle depuis la disparition de Leila. Se retrouver seule dans un appartement qu'elle partageait autrefois avec son amie l'aurait plongée dans un état destructeur. Emma la préférait avec elle, même si elle devait à présent dormir avec Sasha par faute de chambre, et aussi parce que Madden la réveillait avec ses insomnies. Son père refusait de payer un nouvel appartement.

— Comment était la fête du coup ?

— Oh mon dieu, tu aurais dû y aller. Du champagne partout, des cocktails sur chaque table. L'eau de la piscine était dorée, je n'ai aucune idée de comment il a réussi à faire ça.

— Il veut te faire impression.

Le sourcil de Emma sursauta. Puis elle éclata de rire.

— N'importe quoi.

— Non, c'est vrai, continua Madden sérieusement. Il tourne autour de toi depuis le début de l'été, puis tout le monde sait que Simon est un boursier.

Elle étala les morceaux de pétales séchés sur la table d'un air distrait.

— Il ne m'a pas parlé de la soirée.

— Qu'est-ce que t'en sais, t'étais sûrement trop saoul pour t'en rendre compte.

L'idée de coucher avec Simon Beaulait lui retourna l'estomac. Pas qu'il était laid, c'était un des garçons les plus charmants de l'école, il était juste un idiot fini et d’un narcissisme irrécupérable. Le fait d'être capitaine de l'équipe d'athlétisme de l'école le projetait au sommet du podium. Elle le soupçonnait de vouloir être nommé par le Mur pour peaufiner sa réputation.

— J'espère pas.

Elle coupa la conversation quand William revint dans la cuisine. Lui promettant de revenir dans la journée, elle raccrocha, s'empara de l'aspirine et l'engloutit avec le verre d'eau qu'il lui tendit.

— Tu n'as rien dit à Madden ?

— Non.

Elle reposa le verre sur sa table avec suffisamment de bruit pour attirer son attention. Mais il s'occupait de ses maudites courgettes, les versant dans un plat. Elle regarda l'heure.

Deux heures de l'après-midi.

— Où est Erwin ?

— Parti parler avec Lucas.

— De quoi ?

— Tu lui demanderas toi-même quand il reviendra.

Avec son assiette de courgettes, il la délaissa comme si elle l'ennuyait. Ce qui était probablement le cas. Elle saisit son téléphone et le suivit jusque dans le salon. Des plantes vertes pendaient le long des fenêtres. Des disques de The Neighbourhood traînaient sur la table basse, une boîte de cigarette à côté, tristement vide. Il piqua dans son assiette et fourra les courgettes dans sa bouche.

— Désolée d'avoir dit ça.

Il alluma la télé, lui jetant son indifférence au visage. Un reportage sur la pêche. Le bruit de l'océan, des mouettes, puis la voix du journaliste qui retentissait en arrière-plan. Emma coupa court à son monologue avec la télécommande.

— J'ai dit que j'étais désolée.

— Je veux que t'arrête de consommer de la drogue.

— Mais je ne consomme pas de drogue !

Elle ne sut qui avait mis cette idée dans leur tête, mais Erwin avait été le premier à en parler. Elle n'avait jamais touché une seule fois à un produit illicite. William reposa l'assiette sur la table puis la dévisagea, les coudes posés appuyés sur ses genoux.

— Je ne te crois pas.

Elle croisa ses bras sur sa poitrine.

— Ah oui, et pourquoi ?

— Parce que les gens qui veulent oublier se droguent.

— Qui te dit que je veux oublier ?

— J'ai assez connu ce monde pour savoir que les personnes qui plongent là dedans ont toutes quelque chose à effacer. Je veux juste que... que tu parles. Je sais que t'as du mal avec ça, mais si tu ne te sens pas bien, je suis là. Erwin est là, Madden est là, même Alex.

— La dernière chose dont a besoin Madden c'est de me voir pleurer.

— Ok, pas Madden alors, mais moi je suis là.

— Et qu'est-ce qu'il y a à dire, hein ? Elle est morte, parler ne la fera pas revenir.

La porte d'entrée choisit ce moment pour s'ouvrir. Erwin jeta sa veste sur l'étagère blanche qui menaça alors de s'effondrer.

— Mec, ça existe les porte-manteaux, râla William en reprenant son assiette.

L'indifférence avec laquelle Erwin écouta sa complainte fit presque rire Emma. Ce dernier déposa un baiser sur sa tempe avec de s'affaler sur le fauteuil.

— Alors, avec ton frère ? s'enquit William.

— Rien de spécial. Il reste toujours aussi obstiné. Pour lui, Raven est innocente, et rien ne lui fera changer d'avis.

— Pas même cette maudite lettre ? T'es bien sûr qu'il l'a lue au moins ?

— Évidemment qu'il l'a lue.

Ses yeux gris inspectèrent Emma de la tête aux pieds. Elle demeura parfaitement immobile, se pinçant les lèvres pour ne pas faire remarquer son mal-être. Soit elle avait une mine vraiment très affreuse, soit il jugeait la manière peu correcte dont la chemise de William s'arrêtait juste en dessous de ses fesses.

— Quelque chose à dire ? s'agaça-t-elle.

— Tu as ton téléphone dans la main. Si tu dis que tu n'as pas reçu mes messages, tu mens.

— Je viens de l'allumer.

— Elle a appelé Madden il y a dix minutes, la vendit William en remplissant sa bouche.

— Espèce de...

— Ton père m'a appelé, puisqu'il n'arrivait pas à te joindre et que Sasha ne savait pas où tu te trouvais.

Elle referma la bouche, surprise de cette annonce.

— Et alors ?

— Il veut qu'on aille au complexe vendredi. Tous.

— J'espère que dans "tous" tu ne m'inclues pas, grimaça William.

— Mon père te paie ta scolarité et le sien ( il désigna Emma du menton ) tous les costumes et les bijoux que tu t'achètes, bien sûr que tu es inclus dans le "tous".

— Pour quoi faire ? s'enquit-elle.

— Il y a une soirée organisée à l'hôtel pour fêter l'arrivée du nouveau chef restaurateur. Tu sais comment nos parents sont, ils veulent nous voir là-bas pour participer aux festivités de la société.

— J'espère qu'il y aura de bons vins.

— Tu peux penser à autre chose que l'alcool pendant cinq minutes ?

Sa voix s'était élevée dans une colère soudaine. Les muscles de sa mâchoire s'étaient contractés. La discussion avec son frère l'avait plus affecté qu'il ne le laissait paraître.

— Je me contrefiche de ce complexe et de son organisation.

— Ce complexe est notre vie, Emma. L'argent ne tombe pas du ciel. Et un jour, ce sera à nous de le reprendre. Et ce sera nous qui nous unirons pour décider de son organisation, comme nos familles le font aujourd'hui. Peut-être même que si nous sommes assez intelligents, nous en ferons un palace.

— C'est ce que tu comptes faire ? demanda William en reposant son assiette vide.

— Oui. Mon père ne croit pas que ce sera possible, mais je veux exploiter toutes ses possibilités.

— Que t'a dit Lucas pour que tu sois comme ça ?

— Pardon ?

Mais il avait très bien entendu. Emma attendait sa réponse, encore debout, le téléphone en main. Erwin continuait de la regarder comme si elle venait de parler chinois.

— Alors ? Qu'est-ce qu'il t'a dit pour que tu sois d’aussi mauvaise humeur ?

Il se mit à faire craquer ses doigts. Elle fut soulagée qu'il ne réponde pas "rien" ou "je ne suis pas de mauvaise humeur". Erwin avait toujours été celui qui s'ouvrait avec le plus de facilité.

— J'ai proposé à Raven l'appartement de Madden, puisqu'elle vit maintenant avec toi. J'avais l'intention de retourner vivre avec lui. Mais il a dit qu'il ne voulait plus me voir.

Il avait dit ça avec tant de froideur qu'elle aurait presque cru croire qu'il s'en fichait. Mais elle le connaissait depuis longtemps. Erwin et Lucas n'avaient fait qu'un, autrefois. Même cheveux bruns brillants sous le soleil, mêmes yeux gris aux couleurs de l'orage, même voix, même sourire, même manière de parler ou de raconter des choses. Malgré le fait que Lucas possédait un style distingué et une personnalité différente, les jumeaux ne s'étaient jamais séparés de toute leur vie. Puis il y avait eu Leila. Et soudainement, le lien qui les unissait s'était rompu.

— Il est aveuglé par l'amour. Laisse-lui du temps.

— Je crois que le temps ne fera qu'empirer les choses, répliqua-t-il avec amertume. Puis il veut arrêter ses études. Changer de voie et commencer autre part. Partir loin de Cannes, je crois.

— Ton père ne le laissera jamais faire, commenta William.

— Non. Il bloquera son compte bancaire s'il ose s'éloigner d'ici. Lucas le sait. Mais c'est justement l'idée de s'opposer à mon père qui l'enchante.

Erwin s'était imaginé reprendre l'hôtel et le restaurant avec son frère. Même s'il ne l'avouait pas, connaître les intentions rebelles de Lucas le décevait. Emma le voyait dans son expression. Il y avait une nostalgie et une tristesse imprimée dans la fissure de ses lèvres.

— Prépare-toi à des drames familiaux.

— Merci pour l'avertissement, grimaça-t-il.

Elle leur annonça qu'elle devait retourner à son studio et remonta pour se changer. Dix minutes plus tard, un taxi l'attendait dans la rue pour l'emmener chez Simon Beaulait. Elle espérait qu'une fois là-bas, elle pourrait reprendre sa voiture sans personne pour l'intercepter. Vu l'étendu de la fête, il devait encore y avoir des gens endormis parmi les flûtes de champagne renversés et la cendre des cigarettes froides.

À son plus grand désespoir, Simon l'attendait déjà, adossé contre la carrosserie de sa Mercedes décapotable, un verre de vin à la main. Son torse nu luisait sous la lumière matinale du matin. Elle frotta ses yeux pour chasser les pensées meurtrières qui traversaient son esprit puis descendit après avoir payé le chauffeur.

— Tu touches encore une seule fois à ma voiture et je t'arrache les cheveux mèche par mèche.

Simon aimait particulièrement ses cheveux. Il leva les yeux au ciel mais obéit. Heureusement, son arrière n'avait laissé aucune trace sur le véhicule. Elle l'aurait tué dans le cas contraire.

— J'espère que tu as apprécié la petite soirée d'hier.

— Beaucoup, lâcha-t-elle en même temps qu'elle claquait la porte du conducteur.

La vitre s'abaissa. Simon saisit l'opportunité et posa ses avant-bras dans la fenêtre. L'odeur du vin embauma l'habitacle. Ou bien c'était juste son haleine. Emma garda les mains sur le volant, le regard rivé sur le mur d'en face.

— Tu ne t'es même pas baignée dans la piscine dorée.

— Tu m'as surveillée ?

— Oui.

Leurs yeux se croisèrent. Il entrouvrit légèrement ses lèvres, laissant le cristal modeler leur forme. Le vin coula doucement le long du verre avant de se déverser dans sa bouche. Ses doigts se crispèrent au volant. Elle voulut détourner la tête, mais elle n'y arriva pas. La chaleur tendait tous ses muscles.

— J'ai l'espoir que dans deux semaines, le Mur nous nommera tous les deux.

— Dans tes rêves, cracha-t-elle subitement, brisant l'hypnose dans laquelle elle avait plongé.

— C'est ce qu'avait dit Lucas à Leila quand elle...

— La ferme. Ne parle pas de choses dont tu ne sais rien.

— J'en sais suffisamment pour savoir que Raven Hist ne devrait pas remettre les pieds dans l'école cette année.

— Tu lui fous la paix ou bientôt, une voiture qui ressemblera étrangement à la mienne te percutera en plein milieu d'un passage piéton.

— Je traverserai sur la route dans ce cas, sourit-il.

— Comme si t'avais besoin d'une excuse pour le faire, grommela-t-elle en démarrant la voiture.

Elle arriva chez elle cinq minutes plus tard, laissant sa Mercedes garée proprement dans le garage. Il était trois heures de l'après-midi et elle n'avait pas mangé depuis la veille. Son estomac criait famine.

— C'est moi ! s'annonça-t-elle en entrant dans l'appartement.

Le cliquetis des clefs atterrissant dans la coupelle, des cadres de photo prenant la poussière, les chaussures de son frère délaissé au sol, tristement abandonnés, tout cela la regorgea de familiarité. Sasha travaillait sur son ordinateur tandis que Madden remplissait des papiers. Ses cheveux bruns étaient attachés à l'arrière par une pince. Ses yeux de Bambi se posèrent sur elle à l'instant où elle fit son apparition.

— Tu en as mis du temps.

— Cet idiot de Beaulait m'a retardé.

— Il te voulait quoi ? s'enquit Sasha en fronçant les sourcils, les pupilles toujours rivés sur l'écran.

— Il voulait sa mort alors je la lui ai promise.

Madden étouffa son rire par une quinte de toux.

Il n'y avait rien de comestible dans la cuisine. De vieux légumes ridés qui finiraient probablement dans la poubelle, une baguette plus dure que du béton qu'elle ne risquait pas de manger. Elle revint dans le salon avec une pomme, la dernière qu'il restait.

— Et donc tu étais chez William, voulut savoir Madden avec les yeux plissés.

— Mmmm, répondit-elle avec la bouche pleine. Et Erwin est arrivé après.

Un voile se posa sur son expression. Elle se concentra sur ses papiers, ou du moins fit mine de se concentrer. Emma continua, certaine qu'elle finirait par dire quelque chose à ce sujet.

— Il était chez Lucas. Apparemment, c'est assez tendu entre eux, Raven a...

— Je m'en fous en fait, la coupa-t-elle sèchement.

— Pourquoi tu ne lui pardonnes pas ?

Sasha lui jeta un regard assassin mais Emma l'ignora.

— Et pourquoi tu insistes autant ? rétorqua la brune. Pourquoi tu continues de lui parler après tout le mal qu'il m'a fait ? Parce que ça non plus je ne comprends pas.

— Il était saoul quand il a couché avec Leila, haussa-t-elle des épaules.

— Si seulement il le reconnaissait, peut-être que j'aurai fait l'effort. Sauf qu'il s'acharne à dire qu'il ne se rappelle de rien et qu'il n'avait rien bu avant, alors tu sais quoi, j'en ai marre de perdre mon temps avec des connards.

Elle prit ses papiers, se leva, et partit sans un seul dernier regard. Emma croqua dans sa pomme en retenant un soupir. Elle se souvenait d'un temps où leur groupe était uni et passait les journées à rire et partager des moments.. Aujourd'hui, il n'en passait pas une sans une dispute ou un drame.

— Toi aussi, souffla Sasha. Tu peux pas la laisser tranquille avec ça ?

— Je la laisserai tranquille quand elle me laissera passer du temps avec lui sans me faire des reproches juste après.

— Parce qu'en tant que meilleure amie t'es censée être de son côté.

— Je suis du côté de qui je veux. Pas besoin de l'approbation des gens, meilleure amie ou pas.

Elle passa derrière lui pour voir ce qu'il faisait. Des photos d'appartements défilaient sur l'écran sans qu'il ne s'intéresse à aucun en particulier.

— Papa te laisse en acheter un ?

— Il a accepté, mais pas pour acheter, juste pour louer.

— Tu ne veux plus de moi, c'est ça ?

Il échappa un petit rire.

— On a juste deux ans de différence petite soeur. Vous êtes sympas toutes les deux, mais je ne fais pas partie de votre groupe et mon intimité me manque.

— Si on peut appeler ça un groupe, marmonna-t-elle.

Pour l'instant, ils ressemblaient plus à un clan d'ennemis rassemblés au même endroit contre leur gré en train de s'entre dévorer.

— Dis plutôt que ce qui te manque c'est le fait de pas pouvoir ramener une fille tous les deux soirs, reprit-elle avec un sourire malicieux.

— Si je le voulais je l'aurais déjà fait.

— Pas en ma présence.

— J'assassinerais ton innocence, c'est ça ?

Elle s'appuya contre le rebord de la table et enfonça ses dents dans la chair fraîche du fruit.

— Exactement.

Il secoua la tête en retenant un sourire avant de désigner du menton une large boîte en carton blanc et plate qui gisait sur le canapé.

— C'est pour toi. Maman te l'a envoyée.

En l'ouvrant, elle y découvrit une grande robe noire dos nue de la marque Chanel, un collier de pierres blanches et des escarpins noirs aux lacets de satin. La tenue pour la soirée organisée au complexe. À l'intérieur, son père y avait laissé une petite note : Pour ma princesse.

Elle se mit à sourire bêtement.

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