18. William
— Joue-moi la Fantaisie Impromptue de Chopin.
William s'assit sur le vieux fauteuil en soie en sortant une cigarette de sa poche. Alexandre esquissa un demi-sourire face à son piano puis déposa doucement ses doigts sur les touches. Il marqua une pause d'une demi-seconde, les yeux fermés, les narines dilatées ; seule l'étincelle du briquet se fit entendre. Puis il commença à jouer d'un rythme effréné, telle que la musique l'imposait. William écouta silencieusement, portant le papier à ses lèvres. Le son montait vers le plafond avant de de se diffuser partout dans la pièce. C'était un délice de voir Alexandre jouer. Sa tête penchée en avant, son regard planté sur les touches, se fermant parfois. William ne lui demandait pas de jouer parce qu'il adulait la musique ; Chopin n'avait jamais été sa tasse de thé. Il lui demandait de jouer parce qu'il le trouvait magnifique. À sa juste place. Avec la juste mélodie.
Les livres anciens de la bibliothèque rendait le cadre encore plus unique. Quand Alexandre reprit le rythme du début, celui de la tornade comme il disait, William eut un frisson de plaisir. La fumée toxique se répandait dans l'air. Les doigts d'Alexandre continuaient de courir sur les touches d'ivoire. À le voir, on aurait dit qu'il ne faisait pas partie de ce monde.
William écrasa le bout de sa cigarette dans le cendrier et se leva. Alexandre esquissa un bref mouvement de tête dans sa direction mais continua sa danse. Rien ne l'arrêterait. Pas même les mains de William caressant ses épaules. Pas même la disparition de l'humanité. Au contraire, de par la force qu'il mettait dans ses doigts, on aurait dit qu'il la souhaitait. Ses mèches rousses brillaient comme de l'or sous les rayons filtrés par les fenêtres. Il était un soleil. Son soleil.
Le brun retira son tee-shirt qui tomba au sol dans un mouvement souple. Le rythme de la mélodie s'intensifia. Ses épaules tombées vers l'avant, son souffle rapide, ses doigts agités par un désir sauvage. William fit courir le bout des siens sur sa peau, puis leva doucement le tissu qui le recouvrait. Le piano se tut durant quelques secondes. Alexandre leva les bras, William lui ôta son polo puis le roux se pencha à nouveau sur les touches, infatigable. Il ne s'arrêtait pas, jamais. Et plus il se sentait touché, plus la Fantaisie Impromptue se faisait lourde, intense. Jamais il n'avait existé de telle version, mais voilà qu'il réinventait les règles de la musique. William déposa ses lèvres sur son épaule, puis sur sa clavicule, le faisant sursauter par moment. Les muscles de son bras se tendaient sous l'effort. Il passa sa langue sur le lobe de mon oreille, la piégea entre ses dents. La respiration d'Alexandre devint bruyante. Puis une main vint saisir son visage et le tourner vers la gauche. Leurs lèvres produisirent, ce que l'on appelait communément, une apocalypse.
Une fausse note.
Deux fausses notes.
Un énorme "gong" sonna la fin d'un univers. L'odeur du tabac et les méandres d'une mélodie perdue entrèrent en collision. William mêla ses doigts dans la lave de son étoile, plongea dans sa saveur salée, explosion infinie. Leur peau nue s'effleurèrent. Alexandre contempla brièvement ses muscles fins, dessinés, reluisants sous un soleil d'après-midi.
— Par ici, murmura William en remontant son regard par un doigt sous le menton.
Il voulait contempler ses yeux pétillants, ses lèvres humides qu'il s'apprêtait à torturer. Jamais il n'avait autant désiré quelqu'un. Ça venait depuis les entrailles, c'était un besoin immédiat, impossible à ignorer. Il le voulait. Il voulait brûler sous ses baisers, devenir sien. Il le fit asseoir sur le fauteuil qu'il occupait quelques minutes auparavant. Ses jambes tremblaient tellement qu'il avait peur de le voir s'écrouler.
— Eh, souffla-t-il en posant une main sur son genou. Tout va bien, ok ?
Alexandre s'accrocha désespérément aux accoudoirs.
— C'est toi qui me mets dans cet état.
Ça lui arracha un sourire. Il prit le bas de son pantalon et tira dessus. Le roux se tortilla pour l'aider à le retirer, essoufflé comme s'il venait de courir un marathon. Puis il s'avança au-dessus de lui, passant sa langue sur son menton, sa joue, la charnue de ses lèvres. Alexandre ne résista pas et lui vola un baiser. Ses jambes s'enroulèrent autour de ses hanches. William étouffa un grognement. Il enroula ses doigts autour de ses poignets, les bloqua sur le haut du dossier. Une vague de plaisir le secoua. Ce fut si violent qu'il faillit l'exprimer par un cri.
— William, lâcha Alexandre entre deux lourdes expirations. Prends-moi.
— Avec plaisir mon am...
La sonnerie du téléphone le coupa dans sa phrase. Son emprise se resserra autour des poignets d'Alexandre. Il n'avait jamais autant haï la technologie. Il décida d'ignorer l'appel, réduisant plus encore l'espace entre leur corps. Le téléphone finit par se taire. Par des mains désireuses, il desserra son pantalon, s'apprêtait à le baisser quand la sonnerie reprit.
— Putain !
Le nom de Chloé s'affichait en gros sur l'écran. Sous le regard pressant d'Alexandre, il décrocha.
— Quoi ? fit-il avec un ton relativement sec.
— Liam est là.
Cette phrase le dessécha.
— Liam ?
— Il est chez moi. Il veut te voir. Maintenant.
Puis le téléphone sembla changer de propriétaire et une voix masculine prit le relais.
— Mon cousin adoré, tu as quinze minutes pour venir. Sinon, je ferai en sorte que le sourire de ta chère grande sœur disparaisse à tout jamais ce qui serait vraiment dommage.
— Tu la touches et je te...
— Chut, chut, conserve ta salive. Je t'attends.
Puis Liam raccrocha. Il eut envie de faire exploser son téléphone contre le mur. Alexandre attendait des nouvelles, encore tremblant sur le fauteuil. L'abandonner maintenant lui arrachait le cœur.
— Je suis désolé, il faut que j'y aille.
— Qu'est-ce qui se passe ?
Il remit correctement le bouton de son pantalon puis ramassa son tee-shirt. Un rayon de soleil l'effleura. Quand il jeta un œil au dehors, il remarqua des nuages tout autour de lui.
— Il se passe que mon cousin est une ordure.
Puis il caressa sa joue et regretta de le quitter. Plus tard, se promit-il. Plus tard mais le plus tôt possible.
— Tu ne m'en veux pas ? s'assura-t-il.
— Non, bien sûr que non.
Il l'embrassa une dernière fois et sortit de la bibliothèque. En passant à travers de la salle à manger, il rencontra Lisiane, sa mère et adressa un mince sourire.
— Qu'est-ce que tu fais torse-nu ? s'étonna-t-elle.
Il remarqua trop tard qu'il n'avait pas le tee-shirt sur lui, mais dans sa main.
— Il fait chaud dans cette maison, non ?
Et il la laissa avec cette phrase qui le fit sourire quand il y repensa, assis face au guidon de sa moto. En tournant la tête vers une fenêtre, il crut apercevoir un reflet roux. Mais mettant cette illusion sur le compte de l'émotion, il ne s'y attarda pas, enfonça son casque sur son crâne et démarra au quart de tour.
Il arriva chez Chloé dix minutes plus tard, à l'heure pour son plus grand soulagement. Liam était capable de tout pour un détail. Il avait appris ça depuis longtemps. La porte d'entrée était ouverte, il entra.
La première chose qu'il vit fut l'arme pointée sur sa sœur.
— Il ne manquait que toi pour compléter cette réunion de famille, l'accueillit son cousin avec un sourire.
Chloé transpirait. Elle était si blanche qu'on aurait pu la confondre avec un mort. William, lui, n'osait plus respirer. Qui savait, peut-être que voir sa poitrine se soulever l'inciterait à appuyer sur la détente.
— Allez, assis-toi, reste pas debout.
Les pieds de la chaise crissèrent le sol. Chloé sursauta. Elle avait posé une main protectrice sur son ventre. Mieux valait que Liam ne sache pas ce détail. Il pourrait s'en amuser. Alors il s'assit de la manière la plus calme possible, puis, discrètement, glissa ses doigts dans sa main libre. Elle les serra fort.
— Pourquoi t'as sorti le flingue ? demanda-t-il d'une voix qui déraillait légèrement.
— C'est plus drôle.
Oh oui, très drôle même. Il était mort de rire.
— Vois-tu, j'en ai marre qu'on me prenne pour un con, enchaîna-t-il en se callant plus confortablement sur sa chaise. Toi non, tu n'as rien fait mais tes amis là, ils commencent à me taper sur les nerfs.
Liam était un monstre déguisé en un charmant visage souriant. Ses cheveux bruns plaqués contre son crâne le rendaient encore plus dangereux. Le canon, pointé sur Chloé, enserrait ses griffes autour de son cou comme il l'avait fait pendant des années. Au final, rien n'avait changé entre eux. Il restait sa petite victime préférée.
— Tu sais quoi ? tenta-t-il. Tu me parles de mes amis et de leurs conneries mais tu laisses Chloé tranquille.
— Le problème avec toi, c'est que tu vas vouloir parler que si ta grande sœur est susceptible de se recevoir une balle dans le cœur.
— Je parlerai, je le jure.
— Non non non, secoua-t-il la tête avec un amusement évident présent sur son expression. C'est trop facile de jurer.
Il s'avança et posa son coude droit sur la table.
— Donc, j'en étais à tes chers amis casse-pieds. Il y a quelques mois, on m'a promis de l'argent. Une grosse somme d'argent. Et puis on m'a lancé une excuse bidon, machin est morte, truc a disparu, total, j'ai pas mon argent. Alors là, problème.
— Qui t'a promis de l'argent ?
Il marqua un temps de pause comme s'il réfléchissait, alors que les noms étaient gravés dans son esprit. William le connaissait assez pour savoir que chacune de ses proies avait droit à une attention particulière.
— Leila Revigne.
Chloé ferma brièvement les yeux.
— Et l'autre ?
— Emma Rovel.
Ce fut à lui de serrer fortement sa main. Emma. Emma et ses rires moqueurs. Emma et son sac Chanel. Emma et sa putain de vie de millionaire, avec sa décapotable et son sourire, ses cheveux brillants et sa beauté aveuglante. Emma Rovel avait touché à une moisissure de ce monde, et ses cheveux ne brillaient plus autant.
— Je l'ai prévenue que plus elle attendait, plus la somme augmentait. Sauf que je ne vais pas attendre des plombes, moi. J'ai mon business et deux cent mille euros me conviendraient parfaitement bien en ce moment.
Deux cent mille euros.
— Qu'est-ce qu'elles ont acheté avec ?
— Oh, un peu de tout. De la cocaïne, des amphétamines, du cannabis, beaucoup de cannabis d'ailleurs, ah oui et...
Son sourire s'élargit.
— Du GHD.
Le visage de William se décomposa.
— Une seule fiole, à usage unique à mon avis.
"Je ne me rappelle plus de rien", disait Erwin. Comment n'y avait-il pas pensé ? Comment ? Peut-être parce qu'il n'imaginait pas Leila acheter ce genre de drogue. Elle devait connaître le but de son usage. C'était obligé. Cette drogue se définissait par son nom seul.
— Ça tourne dans ta petite tête, hein ?
Et il ricana comme un fou à lier, le canon toujours pointé dans la même direction.
— Qu'est-ce que tu veux ? souffla Chloé.
— Je veux mes deux cent mille balles, déclara-t-il en reprenant brusquement un air sérieux. Et je les veux maintenant. Tout de suite. Right now.
— Laisse nous du temps pour...
Il avança son arme vers Chloé, haussant les sourcils avec malice.
— Pour rien du tout. J'ai assez attendu comme ça.
Qui pouvait sortir deux cent milles euros en cinq minutes ? Il maudit Emma de tout son être. Il n'était pas millionnaire, lui, ni Chloé d'ailleurs. Ils étaient bien loin de ça.
— Et je les veux en liquide, précisa-t-il.
Les mains de sa sœur étaient moites.
— Tu peux nous laisser deux minutes pour nous arranger ? parvint-elle à articuler.
Cette demande ne l'arrangeait pas mais il finit par accepter dans un hochement de tête. Chloé ne tarda pas pour se lever et tirer William vers la cuisine. Liam les regardait d'un œil suspect.
— Ok, réfléchissons, dit-elle en reprenant un souffle normal. Mathéo travaille dans la banque où je suis, il peux... il pourrait faire quelque chose.
Elle était secouée de spasmes. Quand il toucha son bras, il s'aperçut qu'elle transpirait du froid.
— Tout va bien se passer, ok ?
Même lui n'y croyait pas, mais l'important était de la rassurer. Elle ramena des mèches derrière son oreille en hochant fébrilement la tête.
— Il faut que tu ailles à la banque, que tu voies Mathéo et que tu lui expliques la situation. Peut-être qu'il parviendra à hausser le plafond ou avec son compte, à retirer assez pour sortir deux cent milles euros.
— Non, tu iras toi.
Ses yeux s'agrandirent de terreur.
— Il est hors de question que tu te retrouves seul avec lui.
— Chloé, j'ai passé quatre ans de ma vie avec lui, je le connais. Il ne fera rien.
— Non, non je refuse de te...
— C'est ma faute.
Quand il prononça ces mots, son cœur se déchira. Elle le regarda sans comprendre.
— Si Leila ou Emma ont pu contacter Liam, c'est ma faute. J'avais encore son contact dans mon téléphone. Et elles le savaient.
— Ne te culpabilise pas face à des gens qui t'ont utilisé, dit-elle d'une voix beaucoup plus claire. Et si c'est une excuse pour te mettre devant le canon en attendant que je...
— Chloé, s'il te plaît. Vas-y toi.
Elle ne trouva plus rien à dire. Elle ne doutait pas un instant de ce qui circulait dans sa tête. William n'avait pas peur de mourir. Il considérait sa vie déjà gâchée, son enfance usée, abîmée. Il luttait tous les jours contre ses démons alors oui, il était persuadé que s'il mourait, ça ne changerait pas grand-chose au monde. Alexandre continuerait sa vie. Ses amis aussi, comme ils l'avaient fait après la porte de Leila. Et puis Chloé portait un enfant. Elle avait un homme qui l'aimait et qui était prêt à partager sa vie avec elle.
— Je ne tarderai pas, promit-elle.
Elle sortit de la cuisine pour expliquer ses intentions à Liam puis fut autorisée à partir. Il savait qu'elle n'appelerait pas la police tout simplement parce que Liam, dans son marché noir, n'était pas seul. Si on le mettait en prison, ses hommes exploseraient la cervelle à tous les Restrie et ceux qui les connaissaient.
William s'installa face à son cousin et fit face à l'arme qu'il pointait vers lui. Un seul faux mouvement et il était mort.
— Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu petit cousin, fit-il avec un sourire presque joyeux.
— C'est mieux pour tout le monde, crois-moi.
Soudain, l'arme glissa sur le côté et un bruit sourd le traversa de son entier. Du verre brisé qui tombait, derrière son épaule. Il eut l'impression d'avoir les tympans déchirés. Ce con avait tiré.
— C'était pour vérifier qu'il était bien chargé.
Quelques centimètres et il y passait. À présent, il était certain qu'il n'y échapperait pas si l'envie prenait à Liam de le convertir en cadavre.
— Tu te souviens de ce flingue ?
— Oui.
Il sentait encore le froid du canon posé contre sa tempe. La bouche tordue de son cousin qui lui demandait s'il voulait mourir. Qui lui disait "supplie-moi de te descendre". William avait onze ans. Et, encore plongé dans les souvenirs frais de l'accident, il avait dit "descends-moi". Le pire dans tout ça, c'était qu'avec ou sans la menace de mort, il l'aurait dit quand même.
— Tu étais courageux quand tu étais gosse.
Il ne rétorqua rien. S'opposer à lui dans ces conditions était comme glisser un nœud coulant autour du cou et sauter du tabouret.
— Alors, raconte-moi un peu. Tu fais quoi de beau dans la vie ? Toujours à traîner avec des gosses de riches ?
— Moi au moins, je sais gagner ma vie autrement qu'avec des armes.
Et il se mit à rire.
— Là je te reconnais ! s'exclama-t-il avec un semblant de fierté. J'étais étonné quand on m'a dit que tu roulais en New Beetle puis j'ai compris qu'en fait, c'était pas à toi mais à la jolie Scott. Et là j'ai appris que tu vivais à Cannes, le nid des millionnaires. Puis j'ai su que tu étudiais à Memphis, la grande école des futurs entrepreneurs. On peut dire en effet que tu as mieux réussi ta vie que moi.
— Je ne les fréquente pas pour leur argent.
— William, mon cher William. Nous sommes tous des hommes et la nature humaine ne trompe pas. L'argent, c'est ce qui fait briller nos yeux depuis des siècles.
— La différence entre toi et moi, c'est que moi, on me le donne parce qu'on m'apprécie, toi, on te le donne sous la menace.
— Eh oh, moi je ne force pas les gens à se droguer, ok. Ils viennent me voir et moi je leur donne ce qu'ils désirent. Et en échange, tout ce que je demande, c'est quelques billets.
— Et tu fais quoi à ceux qui ne te les donnent pas ?
Le coin de ses lèvres s'étira.
— Je les bute. Avec le même flingue que t'as en face de toi. Parfois c'est des gens pauvres qui n'ont rien d'autre chez eux qu'un chien casse-couilles. D'autres fois, ils ont une Lamborghini qui est garée devant leur portail. Moi je ne fais pas de différence. Riche, pauvre, on saigne tous de la même façon.
— T'es un malade.
Il cracha ce mot avec un dégoût apparent.
— Si tu étais resté un peu plus longtemps à mes côtés, tu serais devenu comme moi tu sais. On est juste ce que la société veut qu'on soit.
Une goutte de sueur froide coulait le long de son cou. Le canon le dévisageait à travers son grand trou noir. Si Chloé n'était pas apparue à temps, il aurait été un dealer. Un tueur. Il aurait été comme lui, et ce petit rond d'obscurité serait devenu un objet de plaisir.
— Je t'aimais beaucoup tu sais, confessa-t-il après cinq bonnes minutes de silence.
La porte d'entrée s'ouvrit enfin. Chloé apparut, livide, avec une enveloppe épaisse dans les mains. Liam se leva brusquement et passa un bras autour de son cou, le bout du pistolet enfoncé sous son menton. De surprise, elle lâcha la somme qui alla s'écraser à terre dans un bruit sourd.
-J'ai toujours rêvé de te faire exploser la cervelle cousine, murmura-t-il à son oreille. Tu me l'avais pris sans même me demander mon avis, et j'ai longtemps voulu te prendre la vie de la même manière.
Ses paupières se fermèrent et une larme coula sur sa joue. William observait l'index de Liam avec obsession. S'il pressait sur la détente, tout partirait en vrille.
— A...arrête, s'il te plaît, suffoqua-t-elle. Je...je suis enceinte ne fais pas...
Un "non" faillit s'échapper de ses lèvres. Pourquoi l'avait-elle dit ? Pourquoi ? Instantanément, une lueur agita les pupilles de Liam et son arme changea de place. Il l'enfonça dans son abdomen. Chloé se mit à trembler compulsivement avec des sanglots qu'elle tentait d'étouffer.
— Tu verras ce que ça fait de perdre son espoir d'avenir.
— Non, Liam arrête ! s'écria-t-il en se levant de sa chaise. Tu ne m'as pas perdu, ok ? Je ferai ce que tu voudras, mais s'il te plaît, laisse-la.
Il tourna lentement sa tête dans sa direction. William n'avait jamais autant souhaité mourir de sa vie.
— Ce que je voudrais ? Vraiment ?
Il acquiesça. Alors il vit le vrai bonheur s'afficher sur son visage. Le plaisir de le voir se soumettre à lui, tel qu'il avait certainement eu l'intention de faire depuis qu'il l'avait sorti des services sociaux.
— Retire cette arme, souffla-t-il.
— Ramasse d'abord l'enveloppe.
Il obéit, posa le sachet blanc sur la table et en sortit les billets neufs.
— Compte-les.
Alors il se mit à les compter à voix haute, sous les yeux avides de son cousin. Quand il eut fini, Liam lâcha Chloé. Celle-ci se serait effondrée si William n'avait pas agrippé sa taille.
— Et bien voilà, ce n'était pas si difficile !
Il ramassa ses billets comme s'il venait de gagner au loto.
— On se reverra bientôt, promit-il avec son sourire blanc. Je reviendrai te chercher, cousin. Je reviendrai.
Il éclata d'un petit rire puis s'en alla. La maison plongea dans un silence austère. Chloé s'effondra soudainement dans ses bras. William la porta jusqu'au canapé et l'allongea, couvrant son front avec sa main. Elle n'avait pas de fièvre, mais elle tremblait comme si elle en avait.
— Quand est-ce que Mathéo revient ?
— Bientôt, lâcha-t-elle dans un souffle douloureux.
Puis elle se tourna sur le côté et se recroquevilla sur elle-même. William se redressa. Il contempla les débris de glace du miroir avec la balle en métal au sol. Emma allait le payer cher. Très cher.
Il laissa sa sœur dans la maison, prenant bien soin de fermer la porte d'entrée à clef. Il appela Mathéo, lui conseilla de venir au plus vite puis monta sur sa moto. Il avait entendu dire qu'Emma se trouvait chez la grande maison de l'oncle de Léandre pour les vacances. La possibilité de rencontrer Simon là-bas ne l'arrêta pas. Il traversa Avignon à la vitesse maximale, les doigts crispés au volant. Il entendait encore le son de la balle sortant de son refuge. Il se revoyait supplier Liam d'arrêter, il repassait les mots dans sa tête, des mots qu'il aurait rêvé effacer. "Je ferai ce que tu voudras". Comment pouvait-il être aussi con ? Comment ?
Il avait gâché toutes ses chances de reprendre une vie normale.
Il arrêta son moteur face au portail des Lavandiers et sonna. La transpiration collait son tee-shirt à sa peau. Un interphone grésilla.
— Qui c'est ?
— William Restrie. Je suis venu voir Emma.
Le portail s'ouvrit. Léandre apparut sur le seuil de la porte, les sourcils froncés.
— Qu'est-ce que tu lui ve...
William le poussa sur le côté et s'engouffra dans la villa. Un énorme escalier s'imposa face à lui. À sa gauche, un grand salon blanc. Derrière des portes vitrées, une piscine, puis Emma recouverte d'une chemise fine avec un smoothie entre les mains. Quand il la vit, le monde autour de lui s'arrêta de vivre. Le bruit du tir résonna à nouveau dans son crâne. Il marcha dans sa direction, lui saisit le bras avant même qu'elle ne l'ait entendu venir. Elle échappa un cri quand elle se retrouva collée contre le mur.
— C'est quoi ton putain de problème, hein ? cria-t-il en cognant son poing à côté de son oreille.
Elle sursauta et le fixa avec des grands yeux effrayés.
— De quoi tu parles ?
— Deux cent mille balles. J'ai dû lui donner deux cent mille balles sous risque de voir ma sœur se faire éclater la cervelle.
Simon se précipita au dehors, les sens en alerte. Il serra ses poings quand il le vit.
— Écarte-toi d'elle.
— Toi tu dégages ou c'est pas le mur que je vais frapper, mais ta face de merde.
— William, prononça-t-elle en déglutissant. Ce n'est pas ce que tu croi...
— Pas ce que je crois ? Tu te fous de ma gueule ? Du cannabis ! De la cocaïne ! Du GHB Emma, du GHB ! Tu savais pour Erwin, avoue-le ! Tu savais qu'il s'était fait drogué et tu n'as rien dit quand Madden le traitait de menteur !
Le contour de ses yeux devinrent rouges. Elle se tint le ventre comme si la douleur était physique.
— C'est plus compliqué que tu ne le crois, articula-t-elle.
— Ah ouais ? Je ne crois pas, non. Tu m'as utilisé. Tu voulais le contact de Liam et tu l'as récupéré derrière mon dos, en sachant pertinemment que j'essayais de vous éloigner de lui.
— Non, je...
Mais elle ne termina pas sa phrase qu'un sanglot rendit son visage hideux.
— Ne t'approche plus jamais de moi, Emma. Tu m'entends ? Plus jamais.
— Non, non je t'en supplie, essaye de compren...
— La ferme.
Quand il retira son bras, elle essaya d'attraper sa main, désespérément, mais il la chassa d'un geste sec.
— Dégage de ma vie.
Elle étouffa un cri dans sa main. Quand il partit, il bouscula de l'épaule Simon. Celui-ci se retourna et lui envoya un regard noir. Puis, sans même qu'il ne dise un mot, William comprit qu'il savait. Un seul instant lui suffit. Tellement de choses se passaient dont il n'avait même pas idées. Des mensonges, partout. Des gens qui trahissaient. Il contourna la maison et entendit le hurlement d'Emma.
Elle l'appelait.
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