Dissémination

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Aujourd’hui, nos graines de Flamboyants viennent d’utiliser un moyen de transport nouveau, qui tend à se répandre avec l’instruction obligatoire. Le fond d’une poche de short de sport - taille 8 ans. Elles ont fait quelques kilomètres. C’est beaucoup pour un arbre. Tout le monde n’a pas accès à un sleeping première classe ! Pour quel destin, d’ailleurs ? La semaine dernière dans un magasin de bricolage, j’ai acheté des graines. De la mâche et des radis. Sur un grand présentoir, tenant tout un pan du mur, bien rangées horizontalement et verticalement, des graines. Ou plutôt des graines en sachets. Des sachets bien fermés, bien secs, hermétiques, dont l’intérieur est une couche argentée doublée d’un film plastique antiseptique. Si tout va bien, cette belle histoire finira dans mon assiette.

Mais, est-ce bien le monde réel cette organisation totalement tendue vers la réalisation de buts clairs, nets et précis ? Dans le monde réel, non aseptisé, ce n’est pas vraiment ça. C’est On the road Again avec un dollar en poche. Le règne de la débrouille. On ne sait pas de quoi demain sera fait, et on s’en fout. Dommage ? Non, car dans le monde réel, non aseptisé, contrairement au monde rationnel des sachets et du marketing vert, la graine à sa chance. Cette chance un peu sauvage et pleine de risques, la graine va chercher à la saisir, par tous les moyens.

Tout d’abord, le vent.

Le vent. Qu’y a t-il de plus doux que le vent ? De plus romantique ? Le vent fait office de compagnie de transport. Un bus gratuit, ça ne se refuse pas, et 90% des végétaux l’utilisent. Mettre les voiles, un rêve de graines. Au sens propre. Chaque espèce concernée par l’anémochorie, joli mot désignant le transport éolien, a développé sa propre technologie. Ombelles, membranes, samares, pappus, akènes et autres bourres fibreuses, autant de noms parfois savants pour d’innombrables prouesses qui ont toutes pour point commun d’offrir une forte prise au vent. Faire la sieste près d’un ruisseau, dans un val ombreux d’Europe bordé de peupliers, c’est prendre le risque de respirer une minuscule graine, acompagnée de sa bourre cotonneuse. Les Anglais, allant à l’essentiel, appellent le peuplier Cottonwood, le Bois Coton. Et que dire des charmantes graines hélicoptères de l’Erable, qui descendent en trajectoire spiralée ? On appelle akène cette forme particulière, qui rappelle assez exactement la pale d’une hélice d’avion, ou celle d’une éolienne.

Continuons à rêver. Rêvons d’un repos bien mérité, loin des cieux tempérés de l’Europe. Le soleil, la plage, la mer, les cocotiers ! Un ilot, une plage isolée, la Côte Oubliée. Sommes-nous seuls, enfin ? Non. Les cocos nous ont devancé, arrivant par la mer, portés par les vagues. Bon, disons le clairement, les hommes aident un peu les cocos. Mais il n’empèche. Les cocos n’ont pas besoin de nous pour franchir de longues distances et coloniser les atolls les plus lointains, dans le Pacifique (cocos nucifera) ou aux Seychelles et dans l’Ocean indien (Lodoicea Maldivica). Phénomène rare ? Pas tant que ça. Les arbres des mangroves utilisent les marées pour disséminer leurs plantules, et les arbres des cours d’eau, des lacs et des étangs, ne s’en privent pas non plus. Nautochorie, autre moyen de transport ancêtre de la bouteille à la mer, dont le précieux message est un code génétique.

Continuons encore. Mais ne rêvons plus cette fois-ci. Il nous faut de l’action, du solide, du tangible. Du poil. De la plume, pourquoi pas ? Zoochorie, voilà le petit nom du transport par les animaux. Dans la vie, il faut s’accrocher. Aus poils, aux plumes, ou bien mieux encore, dans l’estomac. Celui des oiseaux surtout, ces jardiniers de la forêt. Les arbres dédaignent en général le poil, lui préférant la plume, laissant les Amoureux aux rampants de la strate herbacée. L’ingestion pure et simple… L’estomac d’un animal, son gésier ou son intestin, voilà qui permet de faire un petit bout de chemin ! Et de trouver, à l’arrivée, à la fois le sol et l’engrais. N’oublions pas que les graines – tiges et fruits compris - sont bien souvent comestibles. Se faire disséminer, au risque d’être mangé, en vaut-il la peine ? La réponse est oui.

Mais, bien souvent, c’est le poids de l’habitude qui fait choir la graine à proximité immédiate de ses parents. Dans son clan, là où l’on est sur de trouver le sol, le climat, qui conviennent à la lignée. La gravité terrestre et l’appel de la terre. Barochorie.

En Nouvelle-Calédonie, les arbres voyagent peu. Nous sommes au royaume du micro-endémisme, et de l’hypercloisonnement des niches écologiques. Partir loin, c’est prendre le risque de se noyer, au sens propre, dans le vaste océan, ou de tomber dans un endroit impossible, au climat invivable, entouré d’espèces douteuses. Chaque vallée, chaque système de crête, possède donc ses espèces propres. Dans les hauts du Parc de la Rivière Bleue, un refuge nous accueille. Il s’appelle Refuge des Neocallitropsis, genre dont une espèce réside ici à demeure. Elle ne vit pas dans le bas de la vallée, pas en dehors de la vallée. Seulement là, en haut. Et depuis longtemps. Elle n’est pas considérée comme menacée, malgré son aire de répartition restreinte. Elle vit comme elle a toujours vécu. Pour l’Eternité ?

Pas sûr. Si les arbres ne bougent pas, les continents, eux, se déplacent. Et oui ! Mais la dérive des continents est lente. Au mieux, quelques centimètres par an. Mais pour les réfractaires, les allergiques aux transports, c’est un moyen efficace. Marginal ? Pas du tout. Il n’a fallu que 80 M d’années à la Nouvelle-Calédonie pour se désolidariser de l’Australie, et à peine moins à l’Inde pour parcourir les 6400 kilomètres qui la séparaient de l’Asie. Par ce moyen, ce n’est pas une seule espèce, mais des dizaines de milliers, qui font un merveilleux voyage.

Encore faut-il pouvoir attendre quelques dizaines de millions d’années. Quid des santés fragiles ? Des réfractaires, immangeables, intransportables ? Ceux qui, au bout du rouleau génétique, n’en ont plus pour longtemps ? Rien ne semble pouvoir égaler l’entêtement du Wollemia Nobilis. Un asocial. Australien. Un sujet au très mauvais caractère. En 1994, au Wollemi National Park, un garde forestier découvre une sorte de pin, qu’il n’avait jamais vu. Et qui ne l’avait jamais vu, non plus. Et pour cause ! Ce pin n’était jamais sorti de son canyon. Il y vivait tranquille, bien adapté au micro-climat de son petit chez soi. Il a fallu inventer un nom d’espèce, et un genre. Un club si select, qu’il est, entre ses falaises, seul rescapé de l’ère jurassique entre -201 et -145 millions d’années. Désormais, à côté des Araucarias et des Agathis, le genre Wollemia complête bien malgré lui la jolie famille des Araucariacées.

Rare, exotique, un brin archaïque ou vintage – si on compte en millions d’années, le Wollemia ne sert à rien, mais a des qualités décoratives. On le trouvera, bientôt, dans tous les jardins. Son avenir sera assuré par le plus grand disséminateur de la planète.

Joshua.

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