Croissance

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Entre le 26 et le 28 août, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais la porte s’en souvient. Au crayon à papier sur la peinture blanche, un trait, suivi d’une inscription : 1,66 A. Curieux ! Juste en dessous, 1,635 (ça c’est précis !) Sarah 28/08. Bon, c’est plus clair, Sarah s’est mesurée. Puis en dessous, encore un trait avec 1,52 Guilhem, 26/08. Puis plus bas encore un trait, mais sans nom cette fois, avec inscrit 1,21 - 26/08. Il n’a pas de nom celui-là, mais il est facile à reconnaître, c’est Joshua ! Quand au A, c’est Audrey. Ce qui s’est passé n’est pas difficile à deviner, Joshua a voulu qu’on le mesure, et puis tout le monde y est passé, entre le 26 et le 28 août ! Enfin, pas moi. Moi, j’ai arrêté ma croissance. Je suis grand, disent les enfants. Cette histoire offre quantité d’aspects ironiques, mais l’ironie que je retiendrais est celle du support choisi, une porte en bois, dont les nervures, malgré la double couche de peinture, sont encore bien visibles. Ces nervures sont les cernes de croissance de l’arbre. Avec un autre angle de coupe, il aurait été possible des compter les années. L’arbre chaque année grandit, et si rien ne l’arrête, comme par exemple la rencontre d’une tronçonneuse et un destin en porte de salle de bain, il continuera. C’est que s’élever, pour un arbre comme pour les enfants, c’est vital.

Quelque part entre le Silurien et le Dévonien - c’est pour ainsi dire le propre de l’arbre et sa définition - l’arbre s’est élevé. Ce qui nous paraît évident, l’arbre haut et solide, que l’on voit tous les jours, avec son tronc ses feuilles, ses racines, pourtant ne l’est pas. Au naturel, la matière organique est désespéremment molle, flasque, ressemblant plus à une sorte de gélatine, qu’à la matière noble et élastique qui fait le frêne ou le tigre. Pour que la matière biologique soit tonique, dynamique, capable de se protéger. Pour résister aux coups, voire en porter, il faut plus que la mince paroi lipidique des cellules. Le corail ainsi que les mollusques ont leur exosquelette minéral. Les insectes et arthropodes, leur carapacine de chitine. Les vertébrés et les plantes, à l’opposé, ont choisi de laisser le mou au dehors (avec quelques précautions tout de même) et le dur, appellé squelette interne ou endosquelette, à l’intérieur. Pour les vertébrés, ce seront les os de calcium. Pour les arbres, la lignine, armature interne particulièrement robuste, capable d’élever plus haut le système de captation de la lumière, et d’ancrer plus profond et plus solidement.

Que savons-nous des mondes souterrains ? Rizhomes, tubercules, radicelles, nodules, bactéries, champignons, mycorhyzes, les racines ondulantes au long des failles humides dans le secret de la roche, traversent le monde des sources. Pivotantes, radiantes, leur raison première est eau, leur seconde, ancrage. Prendre racine à la source, à toutes les sources, et en tout premier lieu à celle de la lumière, n’est-ce pas le secret de l’Arbre de Vie ?

Il est des grottes, telle celle de La Forestière et aux Loyautés, dont le plafond est troué de racines qui tombent à la verticale, sur plusieurs mètres, et avec une belle insistance. Leur obstination est récompensée, quelle que soit la distance.

Eau attirante, à la fois fluide médiateur et matrice. Les cellules ne l’ont pas oublié. L’océan offrait une grande stabilité physico-chimique. Pas la terre ferme. Desséchée, inondée, boueuse, pleine d’éléments hétérogènes en concentration variable, tantôt gelée, tantôt écrasée de chaleur et d’ultra-violets délétères, la terre n’est pas un milieu facile. Evaporation par le haut, pompage ionique par le bas, aspiration de la feuille et poussée de la racine. La colonne d’eau dans le tronc est mobile, elle remonte, chargée de nutriments stabilisés. C’est la sève, qui irrigue jusqu’à la plus petite ramure, la plus petite feuille, pour la photosynthèse des sucres.

Lumière nécessaire, vitale. L’arbre déploie ses branches comme il déploie ses racines, en une fascinante symétrie. La tension est pour ainsi dire palpable. L’arbre s’évase, il est le vase, le réceptacle. Au chaudron alchimique, la chlorophylle transforme 100% de l’énergie photonique en énergique de liaison chimique. Une partie de la molécule, celle qui reçoit l’impact photonique, est en état d’intrication quantique, c’est à dire que toute une partie de l’espace – ici quelques atomes – se comporte comme une seule entité au sein d’une cella d’espace-temps.

Le mystère est repoussé au dela des portes refermées, et la beauté demeure.

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