Jour 2 - Quelque chose qui te rend heureux
Deuxième jour de cette expérience, j’étais venue très tôt pour ensuite pouvoir aller suivre mes cours dans l’auditoire à l’autre bout du campus. Tout semblait identique à la veille. La jeune femme de l’accueil portait le même ensemble, arborait le même chignon serré, elle m’avait devancé dans ces mêmes couloirs froids et m’avait fait entrée dans la même pièce meublée d’un canapé et d’une chaise, la cinquième porte sur la gauche. Je m’étais même laissé à penser que les autres pièces étaient identiques, avec ce même canapé dans le coin et cette chaise inconfortable au centre et que ces pièces étaient occupée à l’instant même où je passais devant les portes. Je me rendis ensuite compte que je n’avais croisé personne dans ces couloirs, mis à part la dame de l’accueil. Contrairement à la veille, je décidai de m’installer dans le canapé. Je me doutais qu’aujourd’hui aussi l’interview ne commencerait pas tout de suite et que j’avais le temps de repenser à tout ce que j’avais à faire après ce moment. Je repensai aussi aux sensations que m’avait laissé le premier jour de cette expérience. Je dois avouer que je n’avais pas été très à l’aise dans cette pièce les premières minutes. Ce n’était pas un endroit très chaleureux. Je m’étais même demandée si je reviendrai pour le deuxième jour…
Finalement, me voici installé sur ce canapé au tissu abimé, jouant, sans doute, avec le même fil qui dépassait. J’étais absorbée par mes pensées, lorsque la voix déformée retentit dans la pièce. Le son était si fort que j’en sursautai, me redressant dans mon assise. Je n’avais pas pour autant compris ce que la voix me voulait. La voix sembla répéter sa phrase.
- Bonjour Ottie. Aujourd’hui, parle de quelque chose qui te rend heureux.
Je ne m’attendais pas vraiment à cette question. Cela me concernait toujours, mais ce n’était pas forcément très intrusif. Du moins, c’est l’impression que j’en avais. J’avais l’impression que personne ne craignait vraiment le fait de parler ce qui peut le rendre heureux. Je me mis à réfléchir. Moi qui, de prime abord, pensais que cette question n’était pas très compliquée, je me rendis compte que c’était tout le contraire. Formuler à voix haute, dans un conte rendu intelligible, ce qui me rendait heureuse se trouva être beaucoup plus compliquée que je ne le pensais. Je mis une éternité à formuler ma réponse, cherchant sans doute les bons mots, ou tout simplement cherchant ce qui me rendait réellement heureuse.
- Je dois avouer que je ne sais pas trop. C’était assez difficile de choisir quelque chose qui me rend heureuse. Il y a plein de choses qui rendent heureux les gens, leur famille, leurs amis, leur métier, leur sport… La liste peut-être longue, mais c’est surtout une réponse assez superficielle. Ce sont des réponses que n’importe qui pourrait donner. Mais je crois que les gens ne se demandent jamais réellement ce qui les rend heureux, ou malheureux…
Je commençais à partir un peu dans tous les sens. J’évitais évidemment la question, parce que j’étais comme les autres : je ne m’étais jamais réellement demandé ce qui me rend heureuse. Je marquai une longue pause.
- Je n’ai pas de réellement réponse à vous donner, parce que moi non plus je n’ai jamais cherché à savoir ce qui me rendait heureuse. Je pourrais aussi vous dire que je suis heureuse quand je suis entourée de mes proches, mais ce n’est pas toujours le cas. Je suis heureuse quand je suis avec mes amis, mais parfois, ils m’énervent et je n’ai pas envie de les voir. Il n’y a pas une chose qui me rend heureuse de façon inconditionnelle. Ca va, ça vient, ce n’est pas quelque chose de constant et le bonheur ne le sera jamais. Ce n’est pas pour rien que bon nombre de penseurs, d’auteurs, de chercheurs, se sont penché sur cette question du bonheur. Certes, cela dépendra toujours, ou presque, de quelque chose, mais c’est loin d’être constant.
Même en ayant observé la pièce, je ne savais pas où se trouvait la caméra par laquelle ils me regardaient. A vrai dire, j’avais supposé qu’ils m’observaient, mais je n’en étais pas sure. Je n’avais aucune preuve de cette potentielle observation. Je restai silencieuse. Comme hier, je m’attendais à ce que la porte finisse par s’ouvrir sur la dame de l’accueil qui me raccompagnerais jusqu’à l’entrée, mais non.
- Mais si tu devais choisir quelque chose qui te rend heureuse, même si ce n’est pas constant comme tu dis.
Je soupirai. Ils ne comprenaient pas le sens de ma réponse et c’était normal. Je me doutais qu’ils n’apprécieraient pas que j’évite la question tout au long de l’entretient.
- Je suis rarement malheureuse quand je mange une bonne pâtisserie. Je ne suis jamais malheureuse quand quelque chose de bien arrive à un membre de ma famille ou à l’un de mes amis. Je ne suis pas malheureuse quand je réussi à repousser mes limites…. Est-ce que cela répond un peu plus à votre question ?
J’avais volontairement utilisé la formule de ne pas être malheureuse. J’espérais qu’ainsi, ils comprendraient mieux ce que je voulais dire. Un instant, quelque chose peut nous rendre tellement heureux qu’on ne penserait pas que c’est possible de l’être plus, mais ensuite, autre chose arrive et nous comprenons que c’est possible. J’attendais une réponse à ma question, mais rien ne venait. La porte finit par s’ouvrir dans un grincement, ce qui annonçait la fin de l’entretient et qu’ils avaient obtenu ce qu’ils voulaient. Je ne pouvais m’empêcher de penser que je ne devrais pas m’obliger à faire de longues réponses chaque jour, peut-être, attendaient-ils une réponse simple en quelques mots et pas un long monologue.
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