Jour 6 – Single and happy
La formulation de la question du jour était un peu spéciale. Je ne savais pas trop par où commencer. Cela me dérangeait. Ils partaient du principe qu’on est heureux en étant célibataire, sauf que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Des gens sont effectivement heureux célibataires, ils le sont même parfois plus qu’en étant en couple ; c’est sans doute mon cas, quoique. Mais certaines personnes sont malheureuses célibataires ; et c’est peut-être mon cas aussi.
- Il m’est difficile de trouver une réponse juste à cette question, parce que je suis un peu mitigée sur sa formulation. Puis, je n’ai pas vraiment de point de comparaison. Oui, je suis actuellement heureuse célibataire, je ne me plains pas de ma condition et du fait d’être seule, mais cela n’a pas toujours été le cas, et ce n’est pas le cas tous les jours. Ca va, ça vient.
Je marchais dans la pièce depuis le début de la séance d’aujourd’hui, mais je finis par m’asseoir dans le canapé en réfléchissant. Je cherchais constamment les mots justes pour exprimer ce que je voulais dire. Et ce n’était pas toujours facile, parce que souvent, tout se bousculait dans ma tête. Je pense souvent plus vite que je ne parle et, après, je n’arrive plus à garder le fil de ce que je dis. Avec cette expérience, même si cela ne fait même pas une semaine, j’ai compris que tout ce que je dirais pouvait être analysé, alors je commençais, petit à petit, à faire attention à ce que je disais et comment je le disais. Je passai ma main dans mes cheveux, qui étaient à peine brossés ce matin.
- Il y a des moments où je préférerais avoir quelqu’un avec qui partager les choses. Il y a des moments où le célibat me pèse. Où je me sens seule. Il y a des moments où j’ai l’impression que personne ne voudra jamais de moi. Ce n’est pas toujours facile d’avoir cette perception du « single and happy ». Puis, oui, il y a des moments où je me sens mieux seule, où je n’ai pas envie de vivre avec quelqu’un. Des moments où je me dis qu’il vaut mieux être seule que mal accompagné… Et c’est aussi normal avec tout ce qu’on voit de nos jours. Ces hommes et ces femmes qui se font abuser par leur conjoint. Parce que oui, c’est plus rare, mais les hommes aussi peuvent subir des violences, physiques ou verbales, de leur compagnon. Alors je ne sais pas…
Ma voix semblait différente de celle des autres jours, j’étais moins à l’aise avec la question, beaucoup moins que sur les questions concernant ma personnalité, mes parents, ou un souvenir. C’était juste une question qui me touchait un peu plus, parce que cela concernait des souvenirs plus difficile, des ressentis que j’avais mis longtemps à accepter… Cette question rouvrait certaines blessures que je pensais fermées. Ma voix était alors plus calme, moins assurée, moins catégorique. Mon visage aussi était plus fermé qu’habituellement et je me rendis compte que j’appréhendais la suite de l’expérience. Parce que s’ils posaient une question de ce genre au sixième jour, qu’allaient-ils me demandé par la suite ? Après, je devais reconnaitre que j’étais peut-être la seule personne à avoir du mal à répondre. Les autres sujets avaient surement des réponses plus directes. C’était la première fois depuis le début de l’expérience que je voulais sortir d’ici. Je n’avais même pas envie de continuer mes recherches pour essayer de comprendre qui se cachait derrière tout cela, et combien de personnes étaient interrogées. Hier, je n’avais pas pris le temps de faire des recherches non plus. J’étais restée à peine cinq minutes dans la pièce, juste le temps de répondre à la question et de sortir. J’avais eu une journée chargée de cours et de travaux de groupe, je n’avais tout simplement pas eu plus de temps à consacrer à mon enquête. Et aujourd’hui, je voulais juste m’enfuir. C’était étrange de ressentir cela alors que c’était une simple question qui n’aurait, sans doute, pas du provoquer un tel ressentiment.
Je me levai et sortis de la salle quand la blonde ouvrit la porte. Contrairement à d’habitude, je n’attendis pas qu’elle me précède et sorti du bâtiment. Après six jours, j’arrivais à me repérer dans les couloirs. Je retournai dans ma chambre d’université, aux murs gris, décoré de quelques photos. Je n’étais pas souvent dans cette chambre. Je préférais aller travailler à la bibliothèque. Je n’étais ici que pour dormir ou quand je n’avais pas d’autres choix pour préparer mes cours. Je m’installai dans le siège de bureau et attrapai un carnet à la couverture noire. Il y avait des morceaux de papier qui dépassaient. Je l’ouvris sur une page blanche et commençai à écrire. Depuis le début de l’expérience, je m’étais mise à écrire les questions qui m’avaient été posées, ce que j’avais ressenti en y répondant et ce que j’avais répondit. Parfois, j’ajoutais un dessin, il y avait notamment celui de la pièce dans laquelle je m’asseyais tous les jours. J’écrivis alors mon ressenti sur la session du jour et y ajouta les raisons pour lesquelles je m’étais sentie aussi mal. J’avais, bien entendu, évité de mentionner les réelles raisons de ce malaise. C’était trop personnel, trop intrusif, et surtout encore trop récent pour que je puisse l’exprimer à voix devant quelqu’un que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais vu et dont je n’avais même pas entendu la voix réelle.
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