Prologue
« Tu fais quoi Papi ? »
La toute petite Ambre escaladait le dos raide de son grand-père pour apercevoir les touches rondes et noires sur lesquelles il appuyait.
« J'écris, Liska.
Tu écris quoi ?
Une facture, pour la boutique. Tiens, hisse toi là plutôt, tu me gênes. »
Il la posa sur ses genoux et reprit là où il s'était arrêté. Ambre aimait le son des petites tiges qui venaient percuter le papier. Et le petit Ding ! quand on avait mis des lettres sur toute une ligne.
« Je peux écrire moi aussi ? »
Andrej Levi posa les yeux sur les joues rebondies de sa petite fille et sourit. Il tourna une molette pour faire sortir la facture du rouleau et attrapa une feuille toute neuve sur son secrétaire qu'il glissa dans la fente. Ambre ne tenait plus en place. Il caressa sa tête si douce et cuivrée avant de guider ses mains encore potelées pour les poser sur la machine. Ses doigts atteignaient à peine les touches alors Andrej rapprocha sa chaise au maximum. La petite écrivaine pressa une lettre, juste pour voir, leva des yeux brillants vers son grand-père et ne s'autorisa à continuer qu'après avoir eu son approbation. Par chance, sa mère lui avait appris l'alphabet. Elle pressa le A, le M, le B, le R… Andrej étouffa un cri. Il se recula immédiatement, laissant les bras de l'enfant pendre dans le vide.
« Ambre, non ! » Elle se crispa et sa bouche se tordit. Il se radoucit. « Tu ne dois jamais écrire ton nom là-dessus, ni celui de personne. Jamais tu m'entends ?
Pourquoi ? »
Il jeta un coup d'oeil théâtral à droite et à gauche, s'apprêtant à dévoiler un immense secret. Il lui fit signe d'approcher son oreille et le regard d'Ambre se mit à pétiller.
« Cette machine est magique… Non, non, pas la magie comme dans les contes… Une mauvaise magie. Si tu écris le nom de quelqu'un là-dessus, il disparaît, wooosh, comme ça ! La personne devient prisonnière des mots sur le papier… Tu voudrais devenir une tâche d'encre sur une feuille ? » Ambre secoua vigoureusement la tête et jura qu'elle ne le ferait plus. Il continua en sortant la feuille pour la déchirer. « J'espère bien, car moi, en tout cas, j'en serais très triste si tu disparaissais, Liska. » Les fines lèvres de la petite se pincèrent d'orgueil. Son grand-père était tout à ses yeux. Elle aimait qu'il l'appelle Liska, "renard" - parce qu'elle avait le poil roux comme ceux du pays de son enfance - et c'était à ses jeunes oreilles le plus beau mot du monde.
« Moi aussi Papi, serais triste si tu disparaissais. »
Plus tard, en effet, elle le fut.
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