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Paris, 26 mars 1720

Dès le lendemain, Martin profite d’un moment calme pour aller rembourser quelques-uns de ses créanciers. Un sac est à peine entamé pour ce faire, malgré les intérêts faramineux dont il se trouve redevable. Au retour, il passe à côté de la rue Quincampoix, noire de monde et de bousculades. S’approchant, il apprend que les annonces des visites du Prince et du Duc ont déclenché une ruée. Tous veulent maintenant se faire payer leurs titres. Les jours suivants, ce sera avec des morts qu'ils pleureront leur ruine.

Les poches sont glissées sous son lit. Personne ne pénètre jamais dans sa chambre sous les combles. Personne n’est en mesure de deviner le trésor au-dessus duquel il dort. Encore deux créanciers à honorer, et après ? Il n’arrive pas à réfléchir, car cette richesse atteint des proportions hors de ses mesures. Il refuse l’idée de jouer les seigneurs, de dépenser cet or en folies, ce que, de toute façon, il ne saurait faire.

La vie reprend. Martin demeure effrayé de cette soudaine fortune. Penser à une autre existence est difficile, car il ne connait que sa servitude et l'apparat des maitres. Il appréhende les bourgeois, ces personnes aisées, mais sans noblesse, dont il ignore le mode de vie. Ne rien faire, rester inoccupé toute la journée le terrifie. Il trouvera une jolie femme, qui lui donnera des enfants. Des mots, sans image.

La semaine suivante, Martin doit organiser le retour d’une partie des sacs. À sa compréhension, les démarches du Duc et du Prince n’ont pas plu au Régent : elles ont mis la Banque générale en grandes difficultés et provoqué des bousculades. Son Altesse est très irritée et son domestique s’exécute le plus rapidement et le plus loin possible de l’ire de son maitre. Il réagit prestement, à la dérobée, car il a entendu que des serviteurs du Duc ont été molestés lors des échauffourées. Par suite de ces émeutes, la rue Quincampoix est fermée, solidement gardée par des soldats armés. Il connait l’accès par la rue de Venise, en empruntant la rue Saint-Martin. La charge n’est pas très élevée, puisque seules deux centaines de sacs sont exigées en compensation. Il procède au plus vite, avec un petit charroi discret en usant de prudence : ce n’est pas le moment de se faire occire !

Les poches reposent, mais pas l’esprit de Martin. La colère du Prince l’a inquiété. Il a déjà vu plusieurs de ses semblables jetés dehors en une minute pour des broutilles. Il s’imagine chassé, obligé d’abandonner ses louis. Trop tourmenté, il pense se confier à monsieur Septfonds, un sous-secrétaire de la Maison, avec lequel il s’est lié de sympathie. Ils soupent souvent ensemble, échangeant sur leur maitre et la maisonnée. Martin apprécie ce Berrichon, érudit et austère, croyant profond. Une estime réciproque s’est lentement établie entre ces deux hommes esseulés, partageant une ressemblante retenue.

Il commence par des questions maladroites. Leur sujet intrigue le secrétaire qui, habilement, finit par faire raconter à Martin toute son histoire.

Le reproche d’avoir pris tant de risques inconsidérés auprès des usuriers lui est porté. S’il ne les avait pas remboursés, il aurait trouvé la mort, tout bonnement ! Ces gens-là deviennent très brutaux pour récupérer leurs dus. Martin lui relate qu’il a vu sa mère mourir à cinquante ans, exténuée par ce labeur sans fin et qu’il ne veut pas subir le même sort. La première fois, il n’avait demandé qu’une petite somme, pour aller la déposer à la Banque générale. Il n’avait rien compris à la signification de ce geste et de ces papiers. Il s’était contenté de mimer, de façon très modeste, son maitre. Puis, il avait réfléchi. Dernièrement, il était retourné solliciter d’autres créanciers et avait emprunté tout le possible, sans vraiment apprécier les montants et les risques. De toute façon, s’il n’avait pas pu rembourser ses accipiens, la Seine l’aurait toujours accueilli ! Tout, sauf périr d’épuisement à la tâche. Il se trouve satisfait d’avoir hasardé ce coup de folie, par malheur trois ans trop tard pour sa mère, alors que son compagnon parle d’une richesse satanique, puisqu’inexplicable.

Martin n’ose relancer le copiste, malgré sa confusion, ne voyant pas comment profiter de cette richesse tombée du ciel. Monsieur Septfonds, aiguisé par la curiosité, revient sur le sujet, s’enquérant des projets du nouvel enrichi, lequel ne sait quoi répondre.

Avec l’aide de ce brave homme, Martin va préparer sa prochaine vie. Depuis la mort de sa mère, il n’a plus d’attache à Paris, ville qui lui fait peur depuis les bagarres et les morts. Il décide de retourner à Rodès, cité dont il ignore tout, mais où il espère retrouver la parentèle maternelle : seule la famille est digne de confiance ! Le secrétaire tente de lui expliciter les lettres de change, cette possibilité de transformer l'or et l'argent en papier, pour en disposer à l’autre bout du Monde. Le premier valet n’y entend rien dans ces transformations de pièces en paperasses. Si cela permet de multiplier le métal, rien ne prouve que cela ne menace pas de le faire évaporer. Mais il se rend compte de l’impossibilité de voyager avec ses quintaux de louis. Combien de malandrins se trouvent enclins à donner un coup de couteau pour une poignée de ces pièces ! Il s’en remet à l’avis de son compagnon et c’est ensemble qu’ils portent cette fortune chez différents agents preneurs. Quand monsieur Septfonds lui explique la raison de cette sécurité, Martin prend peur, comprenant que la richesse comporte immanquablement des risques.

Le fidèle chrétien entre dans une grande colère quand Martin lui propose de le dédommager librement sur les dernières transactions. Le bonhomme ignore que, six mois après le départ de son ami nouvellement fortuné, il recevra une montre en or de chez Dret, le joailler du Roy. Il ne pourra jamais remercier son ancien pair, méconnaissant son lieu de retraite.

Peu de temps après, Martin annonce à son maitre son désir de se retirer : à trente-et-un ans, il souhaitait retourner dans son pays pour s’établir et fonder une famille. Il a amassé un petit pécule et, si Son Altesse Sérénissime, en place d’une bourse de remerciements, voulait bien lui rédiger un billet d’introduction et de recommandation… Le Prince accepte avec générosité : il préfère toujours quand cela ne lui coute pas ! Une lettre signée simplement et complètement Louis-Armand de Bourbon-Conti produit son effet !

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