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Paris, 2019

— Quel style lourdingue ! On sent bien le bourgeois bien pensant du 19e siècle ! Mais, c’est un peu incohérent sur la personnalité de Martin. Au service du Prince, Martin savait se montrer malin. Là, il se fait embobiner par un margoulin, puis, au lieu de se méfier, il donne toute sa confiance à Nayrague… Tu devrais le réécrire !

— Le réécrire encore une fois ? Non. Ce serait au risque de gâcher le peu qu’on a. Martin a raconté ce qu’il a bien voulu à son fils, Léon, qui a interprété à sa façon et Émile, cent ans plus tard, selon sa morale… Dommage que cet imbécile ait jugé utile de détruire la version de Léon. On va laisser Émile et son style ! On reviendra sur lui plus tard. On sent quand même que Nayrague était un fin renard, honnête, mais très adroit ! Il a placé son rejeton et pris en gestion cette fortune, ce qui a dû bien l’aider dans cette période où beaucoup ont tout perdu.

— On ressent en tout cas une grande dose d’amitié.

— L’objectivité d’Émile peut être mise en doute, car sa mère était une Nayrague. De toute façon, c’est une jolie histoire ! Cette amitié entre les deux familles va durer sur plusieurs générations… Armand Nayrague est le parrain du fils de Martin, Léon, et cela va continuer à se croiser, puisque Léon sera le parrain du fils d’Armand.

— Tu m’embrouilles ! On résume : Martin vient de se marier, en 1722, avec Ophélie qui a vingt-cinq ans. Il devient propriétaire du fief du Petit Lampeyrac et a placé le restant en rentes chez le père de son régisseur, ce « bon monsieur » Nayrague. Il n’a plus qu’à se la couler douce ! Et la maison ?

— Jonhac, c’est encore six ans après ! Pour le château du Petit Lampeyrac, je n’ai rien trouvé. Le lieu-dit existe toujours, mais aucun reste de ce château n'est visible. Lampeyrac est à plus d’une heure à cheval ou en carriole de Rodès. Sans doute beaucoup plus avant l’ouverture de la route. Ce n’est pas étonnant qu’ils aient voulu une maison au milieu de leurs terres, malgré tous les travaux réalisés dans leur hôtel de Rodès.

— Je ne comprends pas bien cette histoire de route…

— Jusqu’en 1740, il n’y avait aucune chaussée dans le pays, juste des chemins pour les charrettes. C’est Gaspard Lescalopier, intendant de la généralité de Haute-Guienne, sur ordre du roi, qui commença à dessiner les routes de la région, dont celle de Rodez à Cahors. Comme la corvée royale était difficile à obtenir, les tracés ont évité les ouvrages d’art. Normalement, elle aurait dû traverser Lampeyrac, mais il aurait fallu construire un pont sur l’Aubejoule. La route fut donc tracée sur le coteau en face. Le plus drôle, c’est que dans les années 1920, ils ont fait passer la départementale par Lampeyrac. La déviation actuelle reprend le tracé de l’itinéraire du 18e siècle ! Le projet de route rendait le voyage plus rapide et plus confortable.

— J’aime quand tu fais des recherches historiques, Séb ! Je vais t’embaucher dans mon labo ! Revenons à la maison.

— Je n’ai pas entendu la majuscule !

— La Maison ! Pour toi, c’est Ophélie qui désirait son manoir ! Forcément, c’est de la faute de la femme !

— Sans doute ! Mais il y avait aussi des raisons économiques et logistiques. Tu les connais. Ce qui me plait le plus, ce sont les esquisses. Elles sont simples et élégantes. Les rajouts de parvenu sont d’Ophélie, toujours raturés et retirés par Martin. Moi, je pense qu’il avait été habitué à la grandeur sobre des demeures nobles, Versailles, etc. Je te rappelle que l’Hôtel des Conti est devenu l’Hôtel de la Monnaie, sous Louis XV ! Donc, à mon avis, il souhaite en reproduire la classe de ces bâtiments. Avoue qu’elle est de ce niveau : en beaucoup plus modeste, elle en impose, simplement ! Sinon, pourquoi Martin aurait-il été cherché un architecte renommé de Toulouse. Faire venir Monsieur Cammas, même encore jeune créateur, a dû couter cher ! Sans compter la qualité des matériaux.

— Tous ces plans annotés, que tu m’as montrés, sont d’une grande richesse : on regarde la maison se construire dans les esprits, les discussions, avant de la voir surgir de terre. Dommage qu’il n’y ait aucune facture, j’aurais aimé connaitre le montant de sa construction.

— Moi, ce que j’aurais voulu savoir, c’est le choix de l’emplacement. L’entrepreneur m’a expliqué toute la complexité et le pourquoi de ce site. Cela suppose une profonde connaissance de la géographie locale. En plus, cette position dominante, à la vue des autres et balayant ce paysage, ce n’est pas un hasard. J’imagine Martin à cheval, visitant ses terres avec l’architecte et ayant le coup de foudre ici…

— Ce qui est amusant, c’est que c’était l’endroit le plus éloigné du Petit Lampeyrac. Quand on regarde, on a l’impression que les champs, les prés, les bois ont glissé au fil des générations pour venir se mettre autour de Jonhac.

— Pour la maison, c’est Martin qui a décidé, c’est sûr, mais pour le reste, il semble qu’Ophélie soit vite devenue la seule maitresse des lieux. Il avait peut-être assez travaillé ! Il y a cette lettre, où une amie console Ophélie de la perte de leur fille, Rose, après celle du petit Martin à sa naissance. Pour cinq accouchements, il ne reste que Léon et ses deux jeunes sœurs, Odette et Mélanie. Apparemment, il s’était trouvé une vocation paternelle, ce qui est rare à cette époque. Comprenons qu’il avait de l’intérêt pour ses enfants, pas qu’il changeait les couches !

— Tu devrais faire un chapitre sur cette maison. Et ce qu’elle t’a apporté !

Nathalie avait raison : comment ne pas m’en souvenir !

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