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Jonhac, 6 juin 2017

Éclairée par une fenêtre sur chaque façade, sud et ouest, la chambre vibrait chaleureusement dans les lumières tardives. Tapissée d’un tissu jaune délavé par le soleil jusqu’au blanchiment, on pouvait supposer un ancien appartement féminin, car une élégante coiffeuse de style Art déco ornait un des murs. Un lit immense meublait cet endroit, coiffé d’un baldaquin, aux tentures épaisses sur les côtés, dont je comprendrai l’utilité lors du premier hiver que nous passerons dans la maison.

La bibliothèque, s’étalant tout le long d’un mur, dénotait par sa rusticité : composée d’un mélange de meubles, de briques et de planches courbées sous le poids de centaines de livres, elle aurait eu plus sa place dans une chambre d’étudiant que dans cette maison austère. En parcourant les tranches, nous fûmes étonnés de leur teneur. On découvrait quelques romans, des policiers, des classiques, mais surtout des livres sur la protection de la nature et, en grande majorité, des livres politiques.

— C’est quoi, tous ces livres ?

— Des livres politiques. Tu sais, Séb, quand les gens réfléchissent à comment vivre ensemble !

— Tu sais que ça ne m’intéresse pas…

— Toi, le petit-fils d’un homme politique… Il y a bien un problème de transmission chez vous !

— À moins que, justement…

— Comment ça ?

— Je hais la politique ! Je ne sais pas pourquoi. Il n’y a pas de hasard !

— Tu es vraiment compliqué dans ta tête ! Je vois bien que tout ceci te chamboule. Arrête d’y penser ! Découvre ! Regarde : à lire les titres, ce ne sont que des livres de gauche, ou révolutionnaires ! Maspero, Maspero ! Je ne connais pas cet éditeur !

— C’est trop vieux pour nous !

— C’est quand même étonnant, non ?

— Quoi ?

— Ben, ton oncle était riche et il ne lisait que des livres de gauchistes ! C’est un peu paradoxal !

— Tu as raison ! Il y a quelque chose d’intriguant. Il me plait, ce bonhomme ! J’aime les gens pleins de contradictions ! En plus, il m’a tout laissé sans me connaitre ! Ça me tourneboule, mais ça me concerne !

Je demandais à David un service : qu’il m’aide à sortir tous les vêtements et affaires personnelles de mon oncle. Je voulais le découvrir, mais ces restes m’incommodaient, me donnant une impression d’indiscrétion morbide. Seul son esprit m’importait. La trouvaille d’un uniforme d’officier de la gendarmerie nous amusa beaucoup.

L’heure était avancée et la faim nous tenaillait. Une fois attablés, les charcutailles appréciées, David me fit remarquer qu’il ne m’avait jamais connu si heureux.

— Tu exagères, car les naissances de Mathilde et d’Adélaïde ont été des moments merveilleux !

— Peut-être, mais tu es rayonnant ! Tu sembles tellement… débordant !

— Tiens ! Je viens de tilter sur un truc étonnant. J’ai choisi le prénom de notre fille, Mathilde, qui est celui de ma grand-mère, dont je n’avais jamais entendu parler !

— Ce n’est pas Nathalie…

— Non, je voulais absolument ce prénom. Tu sais pourquoi ? L’héroïne d’un des tout premiers livres que l’on m’avait offerts portait ce nom. Lorsque papa l’avait ouvert, il avait tiqué, en me proposant tous mes autres albums, ce qui avait fait échouer sa tentative. Malgré ses énervements, je le lui réclamais chaque soir, car il la lisait avec une voix particulière, un accent que je trouvais merveilleux. Il passait à cette modulation quand il était heureux, rarement, ou fâché, ce qui lui arrivait moins souvent. Le choix de Mathilde était incontournable. Je me souviens parfaitement du rictus de papa à l’annonce de ce prénom !

— C’est incroyable ! Il faut absolument que tu démêles tout cela !

— Je crois ! Maintenant, c’est tellement difficile de transgresser ces années de dissimulation. Tu sais, j’ai tout de suite compris que c’était la maison familiale, ancestrale. C’est pour ça que je ne voulais pas venir. Nathalie m’a poussé. Mais tu ne m’aurais pas accompagné, j’aurais vendu de Paris.

— Pourquoi crois-tu que nous sommes amis ? T’es un vrai con ! On le savait, avec Nathalie. C’était non négociable. On n’a pas eu raison ?

— Si ! Je me sens bien dans cette maison. J’espère que Nathalie l’aimera aussi.

— Ne t’en fais pas ! C’est vrai qu’on s’y trouve bien, même si c’est plutôt rustique. Tu as des projets, maintenant ?

— Ici, c’est chez moi !

— Et Paris ?

— On va s’organiser ! Tu es obligé de repartir demain ?

— C’est ce que nous avions convenu. J’ai mon rendez-vous ! Tu ne remontes pas avec moi ?

— Non ! J’ai encore des choses à faire ici. Je ne peux plus partir maintenant, j’ai besoin d’investir ce lieu ! Je sens que c’est le début d’une autre vie ! J’ai téléphoné à Nathalie, elle m’a fait la tronche, je la comprends. Pour le boulot, je me suis arrangé. Je remonterai en fin de semaine. Je te conduirai au train.

— Tu es dur avec Nathalie ! Elle s’en fait énormément pour toi.

— Je sais ! Tu as raison. J’essaie de ne pas lui faire de mal…

En fin d’après-midi, nous sommes partis le nez au vent, dans ce pays qui était maintenant le mien. La diversité et la richesse des lumières, des constructions, des senteurs achevaient de me ressourcer. Mes origines partaient de là, de cette terre. Sans famille, sans aucun lien, hormis David et Nathalie, je me sentais, pour la première fois, appartenir à l’humanité, à son histoire et à son continuum.

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