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Jonhac, juillet 2017

Je n’ai pas reconnu Sébastien à son retour de Jonhac ! Déjà au téléphone, il m’avait paru bizarre. De plus, qu’il ne soit pas là pour le brevet de Mathilde, je la trouvais saumâtre. Il m’avait simplement indiqué qu’il restait quelques jours de plus, sans me demander mon avis. Heureusement que David me rassura !

J’avais toujours été charmé par une facette de Sébastien : il paraissait être en quête, tiré par un objectif qu’on était tenté t’atteindre avec lui. Je l’ai toujours connu avec ses cheveux longs, ses traits délicats en harmonie avec sa finesse de corps. Pour moi, il dégageait un romantisme craquant. Grand copain de David, il venait souvent faire ses devoirs avec lui, puisqu’il habitait l’appartement au-dessus du nôtre. Petit à petit, il s’est incrusté et nous sommes presque devenus frères et sœurs. Sa douceur, souvent couverte d’une tristesse, paraissait une constante. De temps en temps, il s’absentait. Nous avons appris alors qu’il se réfugiait dans sa chambre, incapable de mouvement. Plusieurs fois, avec David, nous sommes allés le chercher.

Quand nous nous sommes mis ensemble, je l’ai poussé à aller consulter. Cela n’a rien donné. Je me suis habituée. Ces crises se sont amplifiées depuis la disparition de son père et il refusait d’aller voir d’autres spécialistes. Avec David, nous commencions à être vraiment inquiets, à penser à un internement pour l’obliger à se soigner sérieusement. Cette lettre du notaire a été miraculeuse. Il est toujours attiré par ce qui lui semble impénétrable. David l’a embarqué de force pour descendre voir cette maison de famille.

Quand il a ouvert la porte, je ne l’ai pas reconnu : sa tristesse, sa mélancolie avaient fait place à un rayonnement réjouissant. Je l’admirais, mais là, il dégageait une force et une joie qui le rendait magnifique.

— Nat, tu es sûr que tu n’en fais pas un peu trop ?

— Tu ne te rendais compte de rien ! Il faut bien le dire !

Quand Sébastien nous annonça qu’on annulait les vacances à Royan pour aller s’enterrer au fin fond du Rouergue, un vent de révolte emporta nos filles. Je le vis leur parler avec un tel enthousiasme, leur disant qu’elles allaient aller dans un endroit portant leur nom, qu’elles rendirent les armes, provisoirement, promettant de passer l’échelon supérieur si c’était « trop nul ! ». J’avais simplement hâte de découvrir ce lieu et ses facultés de transformation de mon homme.

Au fur et à mesure du trajet, je l’avais senti s’épanouir. Jamais je ne l’avais vu aussi souriant, tentant des blagues avec Mathilde ou Adélaïde, continuant malgré ses fiascos répétés. À la sortie d’un bois, il ralentit et, soudain, je compris que j’avais Jonhac devant les yeux. Un « On est bientôt arrivés ? Y en a marre ! » nous forcèrent à parcourir les derniers mètres. Je suis revenue plusieurs fois admirer ce panorama : ce n’est qu’un bout de campagne, mais il magnétise.

Après avoir grincher, nos deux ados sont parties découvrir cette demeure démesurée. Nous les entendions ouvrir et claquer les portes dans des exclamations de joie. Sébastien m’avait pris la main pour me faire pénétrer dans la grande salle. Il ouvrit les volets, augmentant sa taille. Il ne prononçait aucun mot, me suivant ou me guidant. La beauté et l’équilibre du lieu étaient saisissant, même si je ne pensais qu’aux travaux à y faire, à la somme nécessaire pour son entretien. C’était trop pour nous. Sébastien m’avait associée à la succession de son père, puis à celle de son oncle. Je ne m’étais pas encore habituée à cette fortune. Nous avions déjà assez à faire, entre nos travaux de recherches et d’enseignements, nos filles, nos engagements.

Soudainement, je craquai ! Cette maison avait une âme. Mon Sébastien en était fou. J’étais fou de lui, alors autant m’abandonner dans cette folie. Nous nous sommes regardé, comme jamais, une tendresse infinie nous submergea. Mathilde et Adélaïde, redescendues, furent emportées par cette vague. Les derniers moments d’une telle communion remontaient à longtemps… Cet endroit abritait aussi une fée bienfaisante !

Tous les quatre, religieusement, nous avons repris une visite, pénétrant en silence dans chaque pièce, avant de nous étonner de sa qualité particulière. La salle à manger nous arrêta, avec ce grand portrait imposant. Mathilde décrypta le nom de Victor de Jonhac et la date de 1814. Elle se mit en tête de retrouver cet uniforme et de le faire enfiler à son père, sous prétexte d’une ressemblance qu’elle seule détectait ! L’idée de Sébastien en militaire nous fit rire toutes la soirée, dans un délire de variantes. Elle décida également de fourbir les épées exposées sur les deux panoplies de part et d’autre du tableau.

Sébastien nous expliqua, étonné, que l’entrepreneur avait fait des miracles, avec de la literie apportée dans chaque chambre, une cabine de douche, de l’eau chaude. Nous pouvions tenir !

Le soir, étonnée, je regardais mon nouvel homme. Je n’étais pas totalement rassurée : il avait déjà eu de longues périodes sans ses absences, notamment lors des naissances des deux filles. Il s’était passé quelque chose, mais je voulais attendre avant d’en reparler avec lui. Le poids de cette maison éloignée de Paris, la perte de nos voyages qu’elle entrainait, cela faisant des changements lourds dont nous n’avions pas parlé. J’entendis la douche s’arrêter, le silence s’installer. Sébastien allait me rejoindre. Un calme me gagna. Apparemment, il avait besoin de cette maison, de retrouver ses attaches. Pour quelques années, je pouvais lui offrir ce chemin. Après… Après était un autre jour !

De peur de nous ennuyer, j’avais dressé une liste des attractions touristiques de la région. Personne n’allait dans ce coin reculé, alors qu’il regorgeait de belles choses à visiter. J’avais un catalogue impressionnant, mais entre les petits achats de confort, les baignades de l’après-midi à cause de la chaleur et la contemplation, le temps manquait.

Le moment privilégié était le soir, quand nous dinions sur la terrasse, les yeux vers le couchant, qui nous déroulait un spectacle infiniment renouvelé. La grandiosité nous forçait à parler doucement. Quand le soleil disparaissait, les moineaux cessaient brusquement leurs explications piaillantes dans le noisetier voisin. C’était le signal. La plaine s’apaisait, le silence se répandait pour laisser l’obscurité s’installer. À la première étoile, une sauterelle, ou un grillon osaient une stridulation, avant d’entrainer l’orchestre nocturne. Les premières pipistrelles nous survolaient. Puis c’était l’endormissement, la fenêtre ouverte sur la campagne qui chantait la nuit.

La détente régnait et les écrans restaient éteints, redevenus gadgets inutiles. Être dans une zone blanche aidait !

La deuxième semaine, l’entrepreneur nous a envoyé un compagnon avec une tronçonneuse, pour dégager un peu le parc. En trois jours, avec notre aide, il avait rouvert le parc. Les citadins venaient également de partager la joie des travaux de plein air, avec les ampoules aux mains et les courbatures associées ! Les filles avaient désensablé le petit bassin et le léger gargouillis relaxant avait retrouvé son chantonnement séculaire. Il restait encore beaucoup à faire, mais la maison avait repris ses aises, trônant en haut de son vallon qui allait se perdre dans cette immense cuvette au fond ondulé.

Un phénomène curieux se produisit : si je ressentais les besoins de la maison, les améliorations ou les changements à apporter, venait ensuite une impression de satisfaction, comme si un esprit me remerciait. Ma rationalité me bloquait, m’obligeant à réfuter ces émotions. Quand Sébastien me surprit à caresser la rampe de l’escalier, la confusion me cloua. Je suis certaine, à son petit sourire, qu’il devinait ce que je vivais.

Clara et David débarquèrent sans prévenir. La maison s’agrandit dans sa générosité. Les quatre cousins-cousines apportèrent cris et joie dans ces vieux murs. Une cabane avec le bois coupé fit leur bonheur. Aucune récrimination de ne pas voir les copains et copines de Royan ne fusa. Il était cependant inutile de leur demander si ces vacances étaient fabuleuses !

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