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Lampeyrac, juillet 2017

Nous descendions régulièrement à Lampeyrac. Je trouvais une certaine beauté à ce bourg de maisons en pierres sèches, aux toits de tuiles plates bordés par d’immenses lauzes calcaires, les égoutiers, apprendrai-je. La petite route qui nous y descendait débouchait sur la partie la plus ancienne, organisée par une vaste prairie autour de laquelle les bâtisses s’écartaient, avec, en son centre, une vieille fontaine qui devait servir d’abreuvoir, à l’abri d’un chêne imposant. L’église donnait sur cette place, alors que les commerces s’étalaient à l’entrée, le long de la route, sur une partie plus moderne, avec la mairie et l’école. Malgré les magasins fermés, on sentait encore une effervescence commerciale, renforcée le jeudi par le marché. Mes références de Parisienne s’extasiaient devant ces produits à un prix dérisoire. Sébastien, préposé aux fourneaux, s’éclatait, rendant inutiles les envies de fast-food, pourtant distant d’à peine cinquante kilomètres. Avions-nous trouvé le paradis des bobos ? Je cherchais la faille, la faiblesse qui nous ferait regretter notre quatorzième arrondissement.

À la sortie du village, sur notre route, s’étendait le cimetière. C’est Adélaïde, la plus jeune, celle qui semblait la plus indifférente à ces changements, qui nous arrêta, chargés que nous étions de sacs débordants et pesants.

— C’est le cimetière ! Papa, il y a sûrement tes ancêtres ! On peut aller voir ?

Notre petite maline avait tout percuté ! Plus que son père, qui marqua une hésitation. Je me rappelai alors ses confidences sur le blocage de son père à propos de sa famille. Je lui fis déposer les cabas, l’invitant à suivre la cadette qui trépignait déjà : « C’est là, c’est là ! », devant un caveau, dans le style pompier du 19e siècle, qui se pavanait comme la pièce maitresse, et unique, de ce petit enclos.

Apparemment, toute la famille Jonhac était devant nous. Les filles décryptaient, ponctuant chaque nom d’un : « C’est qui ? ». Elles égrenèrent, dans l’ordre d’inscription, en commençant par Martin (1689 – 1757), apparemment le fondateur de la dynastie et Ophélie, son épouse (1697 – 1775). Ces dates donnaient le vertige.

Les générations suivaient, avec Léon (1725 – 1787) et Honorine (1732 – 1807), Augustin (1755 – 1820) et Madeleine (1759 – 1784), Victor (1782 – 1867) et Joséphine (1796 – 1895). Victor était officier de la Légion d’honneur, colonel dans la 5e Armée impériale, arrivèrent-elles à déchiffrer. Émile (1823 – 1878) et Célestine (1850 – 1901), apparemment les fondateurs du caveau, si on en jugeait d’après la date gravée au-dessus de la porte : 1872. La suite se révélait plus confuse à débroussailler, car on sautait à Adélaïde (1875 – 1943), Pierrin (1894 – 1936) et Alphonsine (1894 – 1920).

La cadette sursauta :

— Tiens ! elle portait le même prénom que moi !

Aussitôt renchérie par l’ainée :

— Moi aussi ! Il y a une Mathilde !

Ce prénom (1915 – 2001) jouxtait celui de Paul (1910 – 1971). Pour achever la litanie, elles lurent : Michel (1941 – 1943), Gabrielle (1944 – 1959) et Albert (1949 – 2017), l’oncle donateur. Le père de Sébastien reposait à Bagneux. D’autres noms figuraient sur ce marbre, mais déjà les deux filles étaient reparties.

Sébastien restait figé, retrouvant sa triste attitude atone d’il y a quelques mois. Je réfléchis à toute allure : il ne fallait pas qu’il reparte dans son enfermement. J’ignorais tout de cette famille. Il avait reproduit et durcit le comportement de son père : ne rien dire ! Je savais seulement qu’il avait googlisé son nom, car il avait quitté brusquement l’ordinateur, ouvert à la page de son grand-père, Paul, un homme politique, d’après ce que j’avais aperçu.

Il m’avait aussi raconté la raison du choix de Mathilde pour notre ainée, le prénom d’une héroïne d’un conte qu’il avait particulièrement aimé. Ce pouvait être une coïncidence, avec le retour régulier des prénoms à la mode. Adelaïde, ça faisait un peu trop. Je pressentais qu’il y avait coincé au fond de lui, des éclats de cette histoire. Il fallait le sortir de tout ça ! Quoiqu’il en coute !

Après avoir essayé la méthode douce : « Tu viens ? Elles ont faim ! », sans obtenir de réaction, j’explosais :

— Sébastien, j’en ai marre ! Tes histoires de famille, j’en ai rien à foutre, mais il va falloir que toi, tu rentres dedans !

Il me regardait, déjà lointain.

— Sébastien ! Arrête ! hurlai-je.

Je devinais Adélaïde et Mathilde, à la grille, nous fixant, surprises de cette dispute inhabituelle.

— Sébastien, regarde les choses en face ! Le vrai problème, c’est ton père avec sa famille, ce n’est pas toi. Il a fui. Albert t’a donné une chance de t’en sortir. La maison te parle. Tu sais qu’elle porte la fin de tes souffrances. Sébastien, réveille-toi ! Agis !

Je le secouais, avant de m’effondrer dans ces bras qui me torturaient à présent. Quand je les sentis se refermer sur moi, je sus que nous avions franchi la porte.

— Nathalie, qu’est-ce qui se passe ?

— Sébastien, tu es devant le tombeau de tes aïeux. Toute ton histoire est là. C’est elle qui te fait souffrir ! Oublie l’histoire de ton père, c’est la sienne. Tu dois découvrir ce qui s’est passé. Pour moi, pour les filles. Et puis pour toi.

— Mais, Nathalie, la maison est vide. Il n’y a aucune trace, nulle part.

Je l’embrassai goulument ! Il passait aux impossibilités matérielles !

— On va la démonter, pierre par pierre ! Ton oncle a caché quelque chose, quelque part. Tu te souviens, il a écrit qu’il n’a pas pu détruire les traces. On va trouver !

— Tu as raison. Je me sens différent, plus fort. Mais partir à la quête me fait peur.

— Sébastien…

— Oui, il faut que je le fasse. Au moins pour Mathilde et Adélaïde.



— Nathalie, tu es sure de cette scène ? Je ne m’en souviens absolument pas !

— Pourtant, je l’ai adoucie ! Le seul coup de pied au cul que je t’ai jamais donné ! Et je ne regrette pas !

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