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Paris, 2019

— C’est triste, cette période a été vraiment dure, mais c’est anecdotique dans l’histoire de ta famille.

— C’est de peu d’intérêt, vu d’aujourd’hui, mais, pour moi, c’est un ancrage, c’est avoir des ancêtres et les voir vivre dans leur époque. Avant, je n’avais aucun passé, alors, maintenant que j’ai ouvert la porte, j’en profite !

— Tu as raison. De toute façon, savoir comment ont vécu ces générations relativise nos petits problèmes de confort ! Et puis, c’est intéressant. Par exemple, tu devrais expliquer comment il recevait son dû en grain ?

— Tout était en nature ! Le grain, les fruits, le vin, les volailles… Les contrats indiquaient très précisément ce qui était attendu. Tout était noté et tout a été conservé : tu comprends l’importance de ces dossiers ! J’ai eu envie de commencer la saga par ce quotidien.

« Ces recherches valident aussi les remarques de l’entrepreneur sur le trou d’homme dans le grenier, la force du plancher et les restes de maçonnerie contre les souris : un grenier à grain !

— Intéressant !

— En fait, maintenant, il faut voir la maison autrement, ainsi que la raison de sa construction. Elle était le centre économique, où étaient livrés, puis entreposés tous les produits avant leur vente : l’immense grenier pour les grains, et les nombreuses caves pour les fruits, les légumes, les tonneaux de vin, les fameuses pipes.

— C’est toute la logistique…

— À ce propos, j’ai trouvé une anecdote amusante. À Rieupeyroux, c’est un notaire qui avait affermé le prélèvement du dixième, un impôt pour les guerres de Louis XV, instauré en 1741. Il stockait le grain dans un grenier à double plancher qui chevauchait une ruelle. Un matin, les passants furent intrigués par les poules et les pourceaux qui fouillaient la terre. Les quelques grains restants leur firent lever les yeux. Les malandrins avaient bien rebouché le trou, après sans doute avoir prélevé quelques sacs ! Le malheureux fermier criait au pillage, alors que les imposés ne dissimulaient pas leur sympathie pour les finauds.

— Amusant ! Ce qui me frappe, c’est la dureté des temps, l’enchainement des catastrophes climatiques et des disettes.

— Regarde les années : cela commence en 1728 avec un hiver terrible, la sécheresse en 1730. Puis cet hiver 1741 très rude, suivi d’un mois d’août caniculaire, rebelote en 1750, puis arrivent les séries des étés infernaux, 1756, 1759 à 1762…

— C’est bientôt la fin de cette ère glaciaire ! Trois siècles de misère. Plus les guerres… Léon a mis en place un système généreux, à l’honneur de votre famille.

— L’année qui marquera le plus Léon est 1775 : une maladie inconnue ravagea les troupeaux. Faute de bêtes, ce sont les hommes et les femmes qui devaient tirer les instruments. Une famine l’achèvera, répétition de celles qui surviendront au changement de décennie. Les chroniques locales montrent bien les troubles qui accompagnent ces périodes. La maréchaussée et parfois la soldatesque répriment…

— Forcément…

— Malgré ces difficultés, on voit la progression sociale. Dès 1745, la « garden-party » se met en place !

— Ah oui ? Raconte !

— On va d’abord quitter Martin.

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