46
Paris, 2019
— Ce passage est vraiment très dur !
— Tu te souviens, la première fois que nous l’avons compris ?
— Nous nous sommes précipités dans la cuisine…
— Et sur l’étagère du haut, toujours posé sur le papier, car elle l’avait remis comme elle l’avait trouvée…
— La fiole !
— Bon, le fond était sec et les chats avaient été occis par les voisins : pas moyen de vérifier !
— Quel humour ! C’était quand même très émouvant.
— Tenir dans ses mains une arme du crime !
— Je parle du papier, qui a fait autant de mal que le poison…
— Oui ! Adélaïde, à Pierre, indirectement, à Mathilde…
— Séb ?
— Il est toujours à sa place ?
— Je ne sais pas quoi en faire… Je n’ai pas pu le jeter. Il est inoffensif, maintenant.
— Il va falloir en faire quelque chose…
Nathalie reprit, après un silence :
— Tu vis comment de savoir que tu es l’arrière-arrière-petit-fils d’une criminelle ?
Pris dans la reconstitution de la chronologie, la question ne m’avait pas effleuré. À moins que je l’aie soigneusement déposée au bord pour l’éviter. Pourtant, insidieusement, mon esprit avait réagi.
— Génétiquement, je suis serein. C’est une vengeance, pas une tare. Par contre, sur la faiblesse mentale, j’espère que je ne suis pas concerné !
Étais-je crédible ? Nathalie m’avait trop souvent vu dans mes moments d’absence. Trouble psychiatrique partagé par plusieurs membres depuis Émile ou gestion personnelle des traumas ? Je n’avais plus envie de chercher. Comme Nathalie me l’avait fait remarquer, ces troubles avaient cessé depuis que j’avais pénétré dans cette maison. Cette bâtisse n’assurait pas un rôle à sa mesure. Les ondes telluriques ou magnétiques étant des hypothèses écartées, je sentais que ma relation avec ces murs était autre. Un roman d’amour, ou curatif ?
— Sébastien, tu es reparti dans tes absences ?
— Non, non ! Rassure-toi. J’étais en train de me dire que l’histoire n’est qu’une facette de cette maison. Elle possède d’autres pouvoirs…
— Ça ne répond pas à ma question.
— Le crime d’Adélaïde est compréhensible. Le moyen critiquable, mais la cause entrainait un châtiment. Pourtant, je regrette de ne pas en savoir plus sur Pierre. Je le perçois comme un jeune homme intelligent, plutôt beau gosse et gracieux, aimable, mais complètement obsédé et pervers. Là, pour mes gènes, je me pose des questions, d’autant qu’il est un implexe !
— Tu as raison ! Il est deux fois ton arrière-arrière-grand-père.
— Avec cette hérédité, difficile de te refuser le divorce…
— Je me posais la question ! Surtout qu’il y a encore du lourd, plus proche de toi, avec Mathilde, ta grand-mère. La suite, c’est l’exégèse du journal de Mathilde ?
— Continuons ! À ce moment-là, elle a vingt ans. Elle est complètement seule et isolée, personne à qui parler. Je ne reviens pas sur son enfance, qui n’a pas dû être un océan de tendresses. Elle découvre le plus horrible des secrets. Oui, son journal m’a fait pleurer et à mon tour, j’ai une immense compassion pour cette jeune fille face à ce monument d’horreur.
— Je suis d’accord avec toi. Il est sûr qu’elle devait avoir du cran et du caractère pour survivre à ce tsunami psychologique.
— C’est vraiment la double peine : sa grand-mère a assassiné son mari et elle est le fruit d’un inceste involontaire.
— Est-ce que cela explique ou excuse la suite ?
Annotations
Versions