II
Le jeune Barty avait dix ans quand il s'y rendit pour la première fois. Il avait compris que Tellas n'était pas un hôtel, mais plutôt une prison. Pourtant, ça ne l'avait pas arrêté là, au contraire. Il était arrivé à cet âge où il avait envie de se faire peur, de prouver qu'il était capable de se rendre dans un endroit dangereux. En revanche, la partie pour se déplacer était plus délicate.
Il avait fini par comprendre que le seul moyen dont ses parents disposaient pour y aller était un hélicoptère. Pourquoi cet engin-là ? Ça faisait un boucan d'enfer en plus ! Il en avait déduit qu'ils n'avaient pas vraiment le choix. Peut-être que Tellas était dans un endroit dangereux ou particulièrement lointain ? Quoi qu'il en soit, s'il voulait un jour découvrir cet endroit, il devait absolument embarquer à l'intérieur.
Il avait fallu rester éveillé plusieurs nuits avant de comprendre où ses parents cachaient un truc pareil. Le bruit ne faisait aucun doute, il était bien au-dessus de sa tête. Il avait fini par repérer la fameuse trappe en se levant un matin, mais il n'y était jamais entré.
Ce fut étonnemment facile. Ses domestiques savaient qu'il avait l'habitude d'écouter aux portes et le surveillaient. Il lui avait suffit de glisser des somnifères dans des gâteaux que l'un d'eux avait apporté pour l'anniversaire du jeune garçon et de leur proposer, parfois de force. Ensuite, il avait préparé son réveil une heure avant le départ de ses parents, qui partaient toujours à la même heure, vers quatre ou cinq heures du matin.
Son réveil retentit, strident et douloureux. Épuisé, Barty hésitait presque à rester au lit, mais la curiosité le poussait à pousser son corps hors du lit et à s'habiller. Il descendit silencieusement, pour s'assurer que ses parents étaient toujours dans le salon, s'aidant de sa connaissance des lieux. Ils y étaient toujours. Alors il remonta doucement les marches, passa devant sa chambre jusqu'au fond du couloir où une trappe au plafond se dessinait. Il se glissa dans sa chambre pour attraper une chaise et pouvoir soulever l'ouverture à tâtons. Il se hissa avec difficulté et referma soigneusement la trappe avant de se concentrer sur ce qu'il voyait devant lui.
Il faisait nuit noir dedans, seule une petite fenêtre dans le coin de la pièce diffusait une faible lueur. Elle venait de la lune, mais elle était suffisante pour le jeune Barty Sanders pour distinguer la silhouette de l'hélicoptère.
À présent, il faisait le tour de l'engin, impressionné par sa taille. Il finit par poser sa main dessus, comme pour s'assurer de son existence. Il recula ensuite de quelques pas avant de chercher la porte. Heureusement, cette dernière était du côté de la fenêtre, si bien qu'il pouvait la voir. Il l'ouvrit doucement et put entrer. À l'intérieur, une odeur imprégnait l'air, sans que le garçon ne puisse l'identifier. Il faisait assez chaud, et les sièges projetaient une ombre inquiétante qui ne le rassuraient guère.
Il voulut examiner le tableau de commandes, mais il faisait trop sombre. Il se dirigea donc vers le fond de l'hélicoptère et s'assit. Il ignora pendant combien de temps il resta dans cette position, à laisser son imagination prendre le dessus et à lutter contre le sommeil. Quoi qu'il en soit, quand il entendit du mouvement, ses jambes étaient ankylosés. La lumière surgit d'un coup, violente, et il se retint de geignir. C'était douloureux, ses yeux se mirent à le piquer. Son coeur s'accéléra et il tenta de se recroqueviller davantage. Les voix de ses parents retentirent, et il manqua de sursauter.
- J'ai l'impression qu'on a de la compagnie.
- Je me suis fait la même réflexion... Barty, sors de ta cachette.
Le jeune garçon se releva doucement, sachant d'avance que ça ne servait à rien de se cacher, son père le retrouverait facilement et il risquait de se faire violemment disputer. Sa voix l'inquiétait toujours, surtout quand il utilisait ce ton autoritaire. Penaud, il sortit de l'hélicoptère et se rapprocha de la trappe. Il avait échoué. Il ne verrait pas à quoi ressemble Tellas.
- Comment vous avez su... ?
- Ce n'est pas comme si tu avais laissé la porte de ta chambre ouverte et ta chaise en dessous de la trappe.
Mince, il avait complètement oublié ! Il rentra sa tête dans ses épaules et sa mère poussa un bruyant soupir.
- Va te coucher, Barty. Ce n'est pas pour toi.
- Mary, nous pourrons peut-être lui permettre de venir. Ce bonhomme a besoin de grandir un peu, et c'est lui qui veut.
- Voyons, ce n'est pas un endroit pour un garçon de neuf ans !
Barty se retint de répondre qu'il en avait dix. Il regardait son père avec espoir, il avait une chance, même infirme, de pouvoir découvrir ce qu'était Tellas. Il s'imaginait de nouveau là-bas, déambulant dans les couloirs, voire parler à des prisonniers. Il voulait sortir de sa maison, explorer le monde, découvrir où ses parents passaient autant de temps.
- Voyons, Barty aura Tellas en héritage. Il peut bien voir de quoi il s'agit. Et puis, il s'est donné du mal pour venir.
Mary Sanders pinça les lèvres, visiblement mécontente. Néanmoins, elle n'objecta pas et se dirigea directement vers l'engin.
- Allez, monte, l'invita M. Sanders. Et accroche-toi bien !
Il ne se fit pas prier. Il courut jusqu'à l'hélicoptère et se glissa derrière les sièges, à la même place que tout à l'heure. Quand Mary lui tendit un casque, toujours avec ses lèvres pincées, le garçon le vissa sur sa tête, impatient et excité. Il allait enfin découvrir à quoi ressemblait la prison !
Quelques minutes plus tard, il était dans le ciel. Toute trace de fatigue avait disparu. Impressionné, il regarda à travers les vitres poussièreuses pour apercevoir les lumières lointaines des habitations en dessous. Très vite, elles disparurent, laissant place à un blanc troublant. De la neige ! En plus, le soleil commençait à se lever.
Il fallut presque une heure de vol pour enfin apercevoir autre chose que ce blanc ennuyeux. Une montagne se dessinait devant eux, grande et majestueuse. Barty Sanders n'avait jamais vu d'aussi beau.
À peine l'hélicoptère la survola qu'il put enfin voir. Pendant que ses parents essayaient de lutter contre le vent qui les entraînait, une gigantesque prison, aussi accueillante qu'un cimetière, se dressait devant ses yeux d'enfant. C'était magnifique, grandiose, encore plus que dans son imagination.
C'était Tellas.
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