V

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Au bout de quelques minutes, Barty rouvrit les yeux et s'efforça de respirer. Après tout, son père ne lui aurait jamais permis de venir ici s'il sentait qu'il n'en était pas capable, pas vrai ? Il essuya rapidement ses larmes, il ne voulait pas qu'on le prenne pour un faible. Personne encore ne l'avait remarqué. Il relâcha doucement la rembarde et osa s'avancer. Le prisonnier échappé était de retour dans sa cellule, non sans avoir pris quelques coups de taser.

Il sursauta violemment quand l'un des matons se mit à hurler :

- Le prochain qui ouvre sa gueule va goûter à ma matraque !

La plupart des prisonniers finirent par se taire, mais quelques-un ricanèrent. L'enfant détourna les yeux quand les matons s'approchèrent d'eux et levèrent leur arme, mais ça ne l'empêcha pas d'entendre le bruit sourd des coups, ni quelques gémissements à peine étouffés. Il inspira doucement quand il entendit quelqu'un l'appeler.

- P'tit ! Eh, p'tit !

Aucun des matons ne l'avait entendu, occupés à discuter entre eux. Il s'aperçut qu'il s'était un peu trop approché des criminels. Il lui jeta un coup d'oeil hésitant. L'homme derrière les barreaux était assez imposant, avec des cheveux gris hirsutes et des yeux fous. Mais ce qui figeait le plus Barty, c'était son sourire glaçant, rempli de dents pourries. En l'examinant, il se rendit compte qu'il avait du sang séché sur les bras et des ecchymoses.

- Tu sais, si j'avais mon couteau, je t'aurai tranché les membres et je les aurai fait cuire sur un barbecue. Il n'y a rien de meilleur que la viande humaine d'un gosse. Je crève la dalle, y en a marre que ce soit toujours les participants au tournoi qui aient le droit à la bouffe tous les jours. Et après tout... Ça me changera pas d'avant.

Il éclata de rire, et le jeune garçon recula, effrayé, mais personne ne rappliqua. Le rire avait été masqué par un nouveau coup à un imbécile qui continuait de les provoquer.

- Tu sais pourquoi je suis enfermé ici, p'tit ? Parce que j'ai conservé les bras et les jambes de mes parents dans l'congélo. Je voulais le servir à des invités, mais on m'a coincé avant. J'suis sûr qu'ils auraient trouvé ça délicieux !

Dégoûté, et essayant vainement de retenir ces images qui lui montaient à l'esprit, il recula de nouveau et se cogna contre les barreaux de la cellule derrière lui. Il s'avança vivement, mais le prisonnier était resté assis sur son minuscule matelas, immobile. Néanmoins, il l'entendit murmurer :

- Tous des tarés ici, hein ?

En se déplaçant sur le côté, Barty aperçut son visage fin, ses cheveux rasés et son air doux et triste. Il fut surpris de voir qu'il ne semblait pas aussi cinglé que les autres, en train de hurler contre les matons ou de faire du bruit. Non, il semblait attendre paisiblement la mort. Il regardait tranquillement le jeune garçon, n'esquissant aucun geste envers lui.

- Et encore, tu as de la chance. Le pire, c'est la nuit. Ils hurlent jusqu'à pas d'heure, mais l'équipe de jour est bien plus clémente.

Clémente ? Il jeta un coup d'oeil aux matons qui remplaçaient, par leur voix bruyante, les insultes lancées plus tôt. Il se souvenait encore du sang et du bruit de la matraque s'abattant sur les crânes. S'ils étaient plus cléments, alors il ne voulait pas rencontrer l'équipe de nuit. Il remarqua d'ailleurs que l'homme qu'il suivait était reparti. En examinant de nouveau le prisonnier, il s'aperçut de sa maigreur extrême et des cernes soulignant ses yeux.

- Ils vont bientôt apporter à manger, je les ai vus en train de préparer la nourriture.

Il ignorait pourquoi il disait cela. Déjà parce qu'il ne devait pas être plus de dix heures, et ensuite, c'était un criminel ! Mais il ressemblait à n'importe quel domestique ou aux professeurs qui lui dispensaient les cours. Normal, sans l'ombre d'une cruauté ou d'une once de méchanceté. L'inconnu se mit à rire d'une voix légère mais dépourvu d'humour.

- Crois-moi, si j'avais le choix, je préfèrerai encore sortir d'ici et retrouver ma bonne vieille ville. Pouvoir parcourir une nouvelle fois le marché. Sentir l'odeur du poisson et des légumes frais. Ici, quand on nous nourrit, j'ai l'impression de bouffer de la merde de vache en permanence. Je sais très bien que je vais crever ici, comme tout le monde. Alors sois gentil, n'apporte pas d'espoir, parce qu'il y en a pas.

Barty resta silencieux. Comment le contredire ? Il semblait plein d'esprit, s'exprimait clairement, cet homme pourrait travailler comme maton ici, être ami avec Grayson ou être un domestique. Au lieu de ça, il était enfermé derrière les barreaux.

- Pourquoi êtes-vous en prison ?

- C'est le genre de question que l'on ne pose pas. Mais, après tout, si tu demandes...

Il se mit à chuchoter si bas que le fils Sanders dut s'approcher pour l'entendre. Grave erreur. D'un bond, l'homme se leva de son matelas et retourna le garçon pour qu'il puisse être dos à lui. D'un bras, il lui bloqua la gorge. Dans la panique, le garçon lâcha la matraque qui tomba par terre et roula hors de sa portée. Alertés par les bruits, les gardiens accoururent enfin.

- N'approchez pas ! Si vous le faites, je lui brise le cou ! Et vous savez que je peux le faire !

Barty sentit un long filet de transpiration glisser le long de son dos. Il fut prit de frissons, son coeur s'accéléra. Il était terrorisé et se mit à hurler. Très vite, son pantalon devint humide.

- Bah quoi ? On t'a jamais dit qu'il fallait jamais faire confiance à un inconnu ?

Il ricana. Pendant que les matons cherchaient une solution pour sortir le gamin de là, il glissa son autre main dans son pantalon. L'enfant se débattit, mais les barreaux l'empêchaient de lui donner des coups de pied. Totalement paniqué, il tentit de mordre son adversaire, mais son bras maintenait sa tête trop droite pour qu'il puisse l'atteindre.

Alors qu'il allait fourrer sa main dans son caleçon, une détonation brusque le fit bruquement relâcher Barty, qui tomba à terre comme une poupée de chiffon. Il tremblait de tous ses membres, la respiration saccadée, et peinait à comprendre ce qui venait de se passer. Il prit conscience que quelque chose avait giclé dans son dos jusque sur sa taille, et en baissant la tête, il constata que c'était du sang. Quand un bras l'attrapa fermement et l'obligea à se lever, il commença à comprendre. 

Son père tenait une arme d'une main, et d'une autre, il serrait le bras de l'enfant si fort qu'il gémit.

- Regarde ce que tu as fait. Retourne-toi.

Son ton froid ne laissait aucune issue. Il n'avait pas le choix. Alors, il obéit et regarda. Il regarda le mélange de bouilli rouge et rose. Il regarda le sang qui avait provoqué une explosion dans la cellule. Il regarda les morceaux de cervelle qui s'étaient accrochés un peu partout. Il regarda la moelle épinière dépasser du cou sanguinolant. Il regarda le matelas, qui n'était plus jaunâtre mais rougeâtre. Il sentit également une forte odeur de rouille ou de métal.

Il se mit à trembler violemment. Pris d'une forte nausée, il vomit pour la deuxième fois en l'espace d'une heure à peine. La bile lui brûla la gorge et lui comprima le ventre, mais même là, M. Sanders refusait de le lâcher. Il attendit que Barty se redressa pour le traîner vers les marches, sans lui laisser le moindre espoir de s'expliquer ou de reprendre totalement ses esprits.

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