Sous les étoiles
Le pauvre type arriva dans les minutes qui suivirent. Je ne le voyais pas. Ellie se tenait face à lui, nue, et j’imaginais qu’elle lui lançait un regard de con. J’aurais eu le même. Je le lui avais suggéré. Les réponses du gamin étaient étouffées et bientôt la porte claqua avant qu’Ellie ne regagne le salon.
— Alors ?
— Alors facile. Heureux ?
— N’en fais pas trop non plus.
— Il était décontenancé, mais la surprise et le souvenir prendront le pas quand il racontera cette histoire à ses amis, dessous à l’appui, me montrant une main vide en l’air.
— Il pourrait en raconter plus.
— Comment ça ?
— Rappelle-le.
— Non.
— Alors j’irai le chercher.
— Rien à cirer. T’es pathétique David.
— Hmm, c’est comme ça que je te préfère. Te voir frapper tes amies me plaît beaucoup aussi. Te frapper à mon tour quand tu le mérites encore plus. Rhabille-toi, on sort. Je nous sers à boire en attendant.
— Tout ça pour ça, conclut Ellie.
Elle se leva pour retrouver ses fringues. Cette fois, elle mit un string de dentelle rose transparent sous sa robe.
Nous avions rejoint une plage sans vraiment trop savoir où nous allions. La route nous avait fatigués et un calme serein accompagné la radio qui berçait la voiture d’une douce ambiance. Ellie était belle et les premières prémices d’un visage de femme lui striaient le profil au rythme des voitures fardées qu’on croisait. J’accompagnais ses pas de vieil enfant dans un monde où chaque jour lui prendrait un peu d’insouciance. J’y contribuais et veillais à ce que tout se passe bien. Être aux premières loges dans un moment comme celui-ci me donnait du souffle. J’avais l’impression de voler des doses d’existence à ses côtes. Je me servais dans son regard et ses mots pour ne pas crever trop vite. Pisser sur les pompes de ses parents par lâcheté me faisait autant de mal que de bien. On trouva une plage tranquille avec assez d’horizon pour s’y perdre. Le fond de l’air était moite et agréable. Des feux se faisaient à des endroits divers et des vibrations de musique lointaine nous arrivaient jusqu’aux oreilles.
On avait pris soin de prendre quelques bières sur la route et l’envie de trouver du bois pour mettre un peu de chaleur me tenta. Je laissais Ellie avec une Marlboro à la bouche et comme un gamin partis chercher de quoi faire un feu. Je marchais de traviole sur le sable et m’en fichais. J’avais oublié toutes les semaines qui nous avaient amenées jusqu’ici. Je ne voyais plus que l’instant et mon cerveau refusait de voir plus loin. Mon dos me tirait quand je me baissais pour ramasser des branches et l’image d’Ellie m’empêchait de pleurer. Ma jeunesse a foutu le camp et son cœur fait des vagues, sa couleur est fade et elle s’évade en riant. J’avais assez pour tenir quelques heures et retrouvai Ellie allongée sur le sable face à l’océan. Un groupe à vingt mètres de nous donnait le rythme et le feu qu’ils avaient créé me rendait autant jaloux qu’il m’attirait. Les femmes qui dansaient autour avaient l’âge de ma douce enfant et les mecs aux torses fiers quelques années de plus. Je voyais qu’elle balayait l’espace d’un regard qui prend ses marques. J’avais le même avec d’autres considérations. Je perdais mes repères dans un endroit où je n’avais que déjà trop vécu. S’entêter à le contester complique les choses. Le reconnaître aussi. Ellie pouvait être à leurs yeux ma fille. S’en rendait-elle compte ? Surement. Cela l’attristait-elle ? Peut-être.
— Rapproche-toi de moi David. J’ai froid. Viens te coller à moi, donne-moi ton chaud.
— On fait un feu sans rien avoir à manger. J’suis con. J’aurais dû prendre autre chose à la station-service.
— Tu auras de quoi faire. Et tu viendras gentiment t’abreuver de ce que mes cuisses t’offrent. A moins que tu préfères que ce soit l’un de nos voisins ? Dans le dos de sa petite copine, t’imagines ? Elle viendrait me tirer les cheveux et me mettre quelques coups dans les côtes devant toi. Tu lèverais la main sur elle pour me défendre David ?
— …
— Pourquoi pas, non ?
— Ellie, tu veux quoi là ? Un billet de vingt balles pour rentrer en taxi demain matin et une soirée qui te correspond ?
— Non mais j’aime te voir souffrir.
— C’est moi qui te fais souffrir.
— Retire-le-moi, sois discret.
Ciel et mer m’appuyaient sur la nuque comme une canne et mes yeux se perdirent dans le bleu de ses cuisses. J’aurais pu lui retirer l’étoffe qui nous séparait d’une soirée tranquille et broyer d’une main n’importe quel connard arrogant venu s’en plaindre. Je n’avais pas le même âge qu’Ellie mais encore suffisamment de sève dans les bras pour exploser mes démons. À eux de ne pas en faire partie. Le tissu, bientôt, fut dans ma paume alors que l’obscurité tombait. Des perles de nacre dansaient sur le feu qui nous unissait et son visage vint se lover contre moi. Les jeunes autour de nous devenaient saouls tandis que je sombrais d’un amour incommensurable pour elle. Notre feu ne servait qu’à nous réchauffer et nos silhouettes devaient aux yeux des autres danser mollement avec les maigres flammes qu’on en tirait.
Ellie finit par s’endormir et moi avec. Sa tête et ses épaules nichées entre mes jambes appuyées sur mon abdomen. J’étais sur le dos, l'encéphale renversée sur le sable, agar. Les éclats de voix qui nous parvenaient du feu d’à côté étaient agréables. Cette proximité renforçait notre solitude. Vieux loup qui ne se cache plus. J’avais en main son tissu et l’image renvoyée était celle d’un mendiant buvant dans les bras d’un ange. Ce n’est pas tant la grâce de notre enveloppe que nous perdons en avançant, juste notre regard. Quand celui-ci brille moins alors la nuit arrive. Pisser debout est une joie. Le faire assis ; le début des ennuis. La caresse de l’aube vint lécher nos corps, se frayant un chemin au travers les dernières volutes de fumée vivantes.
Dans la voiture, Ellie me dit qu’il fallait qu’on parte loin, dans l’hémisphère sud, où les langues chantent en parlant car inconnues chez nous. Zanzibar.
— Tu penses qu’on puisse partir loin un jour ?
— Loin ?
— Loin de tout. Perdu au milieu de rien. Plage, sexe et cocktails. Paumé tous les jours.
— J’aime l’idée.
— Moi aussi.
— On partirait zen, avec juste assez de fric pour vivre tranquille.
— Des vacances David …
— Ouais, pourquoi pas … On pourrait rencontrer une belle locale, ou une touriste seule ou même mariée et la baiser à deux.
— Ça pourrait être un touriste.
— Alors il faudra deux femmes en plus. Il faut toujours qu’il y est plus de femmes que d’hommes.
— Ah oui… ?
— Question d’esthétisme.
Notre voiture longeait la côte et la marée montait. Nous ne parlions plus, perdu dans nos pensées communes vers un bout de plage du Pacifique.
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