Septième ciel
Une semaine s’était passée et la sonnerie du téléphone me tira des songes. Il n’était pas loin de dix heures et j’avais dormi comme un loir. Sarah à l’autre bout du fil me demanda d’une voix blanche de venir chez Sonia.
— Il est encore un peu tôt, tu ne crois pas ? lui répondis-je.
— David faut vraiment que tu viennes.
Et elle raccrocha. Connasse. Putain de réveil à la con. Un ordre et un coup de pression. J’avais maintenant plus qu’une envie, la retrouver là-bas pour lui mettre sur la gueule bien qu’elle risque d’aimer ça. Foutue masochiste. Foutu téléphone, foutu réveil, foutue journée de merde. Et puis comment avait-elle eu mon numéro. La bringue avait dû partir dans des sphères ingérables et on m’appelait pour jouer les nettoyeurs de service. Ou le médiateur. Ou autre chose. La crapule me sied à merveille. Rien à crapuler à dix heures du matin. Que des ennuis. Je sautais dans ma voiture le ventre vide et les nerfs à vif. La route fut expédiée aussi vite que le coup de fil de Sarah. Je me garais devant leur lotissement et pénétrai chez Sonia sans autre forme de procès. Du silence et rien d’autre. Ni musique ni gémissements.
André se tenait dans l’entrée du salon blanc comme un cierge. Sarah un peu plus loin, assise en robe de chambre le regard ahuri. Et Sonia, Sonia … Allongée sur son canapé les yeux dans le vague et du sang séché qui partait de son nez pour lui manger les lèvres. Son décolleté semblait comme arraché par endroit, et ses bras, ceux d’un pantin. Je jetai un regard livide sur ses frêles épaules.
— Que s’est-il passé ? demandais-je à Sarah.
— Overdose, répondit-elle.
— Putain… Vous avez essayé de la réanimer ?
— Je dormais. André l’a découverte inerte. C’était déjà trop tard. Il a essayé de lui faire un massage cardiaque, en vain.
Je me tournai vers André pour l’observer. Le pauvre homme semblait déboussolé.
— Appelez les pompiers, expliquez-leur la situation, et dites-leur la vérité. Je m’occupe des funérailles. Vous avez mon numéro.
Je ne pris pas le temps d’attendre leur réponse et fonçai dehors retrouver l’habitacle de ma voiture. À peine dedans, des larmes coulaient sur mes joues comme de la cire. Mes poings s’abattaient rageusement sur le volant. Sonia, ma meilleure amie, morte au milieu de rien pour pas grand-chose. Elle était celle qui m’ouvrait ses bras à n’importe quelle heure et j’y retrouvais des parfums d’enfance. Salement crevée. Seule. La charge de trop. J’y laissais des plumes assurément. L’envie de la rejoindre fit son bonhomme de chemin. J’allumai le moteur et roulai jusque chez moi l’estomac saignant de chagrin.
J’avais une faim gargantuesque d’alcool, de coke, clopes, médocs, vengeance vengeance vengeance. Vengeance de quoi ? De mourir quand on joue au con ? Le lot de tous. Il fallait que je m’occupe de son enterrement avant toutes choses. Les morts n’attendent pas, du moins pas avant d’être mis en terre. Les flammes pour mon amie. Un beau feu de joie et si l’on pouvait voir son corps se consumer, nul doute qu’on y verrait des lumières de toutes les couleurs. Le bouquet final d’une énorme timbale commencée trente ans plus tôt. Ma si jolie Sonia, unique amour, jouer à l’enfant entre ses mains me manquait déjà. L’enterrement aurait lieu d’ici quatre jours. J’avais choisi une cérémonie religieuse dans une jolie chapelle. Quoi de mieux que les bras du seigneur pour accueillir une sainte putain. Une urne pour ses cendres à déposer dans le cimetière du quartier où elle vivait. Elle n’avait que très peu de famille. Connue de tous, c’était une personne seule, comme beaucoup. Mon portable sonna, m’arrachant de mes souvenirs.
— Ouais ?
— Salut David, je ne te dérange pas ?
— Non, comment tu vas Ellie ?
— Ça va. Tu me manques.
— Ah oui ?
— Un peu oui… Tu fais quoi ?
— Pas grand-chose. Mais j’ai de grands projets et je vais me mettre une mine du tonnerre d’ici peu.
— J’avais envie de te voir.
— Pas aujourd’hui, je ne serai pas de bonne compagnie.
— Quand ?
Passer un peu de temps avec Ellie la veille de l’enterrement de Sonia me ferait sans doute du bien.
— Après demain. Passe à la maison. Seule. Et arrange-toi pour y dormir.
— Ok, prends soin de toi.
Et elle raccrocha. Je bandais un peu au son de sa voix. De fatigue aussi, de tristesse, d’angoisse, de désespoir, de tout un tas de choses. J’étais content de la voir bientôt. J’avais un dernier coup de fil à passer avant de commencer ma beuverie. J’appelai le Diable Rouge.
— C’est David. Sonia est morte. L’enterrement aura lieu d’ici quatre jours, Chapelle des Lilas.
La nouvelle se répandrait et d’ici là, j’avais espoir qu’un dernier hommage paisible et doux lui soit rendu le jour des adieux.
Il était dix-huit heures, ma fête pouvait commencer.
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