Le pacte d'Oryne

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Année 3619

Planète Dz’harni… Bordure extérieure... : deux milliards d’habitants.

Région Sud : Sarls’k ; activité principale : agriculture

Tiré de l'univers Dodlands Deepspace créé par Ktar

Ce qu’il y a de formidable avec moi, Urdann Kaerdoom, c’est qu’en plus d’être un Elv de haute lignée je suis moi. Oui je sais, c'est difficile à porter, mais je crois - sans vouloir me vanter - que j’y arriverai.

De toute façon je suis doué pour tout... Enfin, en général, sauf qu’aujourd’hui dissimulé au milieu des ruines alors que d’atroces bombardements font rage autour de moi, je me sens un peu moins exceptionnel que d'habitude.

Mais tout d'abord, laissez-moi vous compter mon histoire. Nous reviendrons par la suite sur ces morts par centaines, et ces cris retentissants au cœur de la nuit ardente, qui m’empêchent de me concentrer sur ce qui est vraiment important.

Je suis né dans une période de paix somme toute assez relative, comme cette idée, la paix. Mais revenons au principal sujet d’intérêt, je m’égare, veuillez m’en excuser. Ce superbe enfant au visage radieux, qui eut l’idée saugrenue de pousser un cri à trois heures du matin pour attirer l’attention sur lui, n’était autre que moi.

J’étais, et je suis toujours Mesdames, un cadeau des Dieux. Ma peau est mauve et satinée. Je ne décrirai rien d’autre me concernant puisque tout le monde sait que, de par ma nature, mes cheveux comme mes yeux sont dans les mêmes nuances. Et je ne saurais médire sur l’intelligence de tout un chacun en lui faisant l’insulte d’agir comme s’il ne connaissait pas ma race... cela est impensable !

À cet âge, j’étais déjà vaillant. Mais passons sur les détails affligeants d’un bambin en quête d'apprentissage de la propreté et de sa propre langue. Mon entrée dans la puberté, ingrate et déroutante pour le commun des mortels, fit ressortir l'air noble qui me seyait tant.

Les quelques amis humains que j’avais appelaient cela une algue, allez savoir pourquoi. Tout me prédestinait à mener une vie délicieusement facile si ce n’était ma constance à provoquer des situations conflictuelles.

J’avais tout juste dix-sept printemps au moment des faits. La famille Kaerdoom avait été invitée à une magnifique réception qui se tenait chez la famille rivale de la nôtre, les Taterton. Un événement majeur entouré d’un grand mystère se préparait.

Je choisis une chemise nacrée resserrée à la taille par un élégant gilet en velours brun, ainsi qu'un pantalon particulièrement bien ajusté. Puis vint le tour des bottes, neuves, en cuir, fraîchement cirées et difficiles à enfiler. Au final, bien que le résultat aurait rendu la vue à un aveugle, j’étais d’une humeur exécrable !

Mes parents, eux, semblaient radieux. Cela m’irrita davantage et je restai silencieux tout le long du trajet. Puis l’heure dite approcha. Je ne parle pas de cet événement mystérieux qui avait conduit les familles bien en vue à se presser en meute jusqu’à la demeure des Taterton, mais de cet événement qui détermina ma propre destinée, et qui, à lui seul, constitue un mystère bien plus palpitant qu’une vulgaire réunion de voisinage.

J’entrai dans les lieux. Cette maison n’était ni plus grandiose, ni plus exceptionnelle que la nôtre, mais curieusement, elle avait ce jour un aspect imposant. À vrai dire, je devrais plutôt employer le terme de manoir pour la décrire.

Vue de l’extérieur, elle était tout ce qu’il y avait de plus authentique en ce bas monde. Mais une fois à l’intérieur, alors que l’une des domestiques s’emparait avidement de mon manteau orangé en soie sauvage pour l’intercaler entre les chiffons et les fourrures mal entretenues des dames du monde, le cœur n’y était plus. Je fis bonne figure et avançai. On me salua parfois si bas que cela me donna envie de me servir de ces faux jetons comme marchepieds.

Une dame qui aurait pu être ma mère tenta de me séduire en se frottant à moi. J’aurais dû certainement cacher mes liasses onéreuses et me contenter de sobriété. Mais un être aussi éclatant que moi ne peut l’envisager un seul instant.

Puis, je fus conduit à la table d’honneur et installé – sciemment - en face de mon rival éternel, Shead Taterton, un Elv du même âge que moi. Plus grand que moi d’un demi centimètre, plus mince d’un demi kilo et les cheveux légèrement plus brillants que les miens, voilà les seules pensées qui occupaient mon esprit dès que je le voyais.

De son côté, il ne pouvait s’empêcher de scruter avec hargne ma couleur de peau exceptionnelle et rare, lui n’était que terre d’ombre, couleur communément répandue dans notre région. Il y avait aussi les verts mais eux vivaient plutôt dans le nord. Nous, nous étions du sud. Nous avions le soleil et la mer, le Karavélaire qui se trouve être le plus grand navire marchand de tout Dz’harni, les meilleures attractions touristiques, les plus grands artistes, et, ne l’oublions pas, le plus bel Elv du monde !

Shead me vouait depuis l’âge de douze ans une haine farouche sûrement parce que mon regard quasi hypnotique lui avait déjà volé cinq conquêtes. Il semblait oublier que sa grande taille m’en avait soufflé six. Aussi, nous mettre l’un en face de l’autre n’avait pas été l’idée la plus brillante de la soirée.

Nous évitâmes soigneusement de croiser nos regards et nous nous concentrâmes sur le menu appétissant. Mais ce leurre ne dura pas car un ennemi reste un ennemi, même une langoustine entre les dents et un excellent cépage dans la main. Passons rapidement sur l'annonce des noces de la sœur aînée de Shead avec ce m'as-tu vu de la lignée des Kevir et venons-en directement au coup d’éclat de la soirée et à la phrase clé à l’origine de toute l’histoire.

«Moi, Urdann Kaerdoom, je te défie en duel, toi Shead Taterton, pour qu’il soit décidé du meilleur de nous deux, par l’honneur et par le sang ! »

Cette phrase toute faite, qui ne brillait que parce qu’elle sortait de ma bouche, fut prononcée comme il était coutume sous une impulsion émotionnelle et rapidement oubliée sous une inconscience exceptionnelle.

Un coup de sang. Cela résumait le tout. J’avais levé les yeux vers lui une fois de trop. Il avait pris le dernier morceau du gâteau qui me tenait tant en appétit et l’avait englouti sans aucune considération pour mes sentiments.

Les paroles que je prononçai alors étaient très graves car une victoire assurait à coup sûr une position importante dans la ville mais une défaite porterait le déshonneur sur moi et ma famille.

Shead Taterton sembla un instant bien pâle car il en connaissait les enjeux. Il fit donc ce que j’aurais fait en pareilles circonstances et prononça les paroles qui scellèrent le pacte d’Oryne.

« Moi, Shead Taterton, ai entendu ces paroles du pacte d’Oryne que toi, Urdann Kaerdoom soumets à mon orgueil. Moi, Shead Taterton te rendrai ton arrogance à l’aube du jour de demain avec les témoins d’usage et les armes de mon choix. Soit le bâton de Cendre face au bâton de Graveline, nos armes usuelles. Moi, Shead Taterton, viendrait à 9 h 00 précises au sommet de la colline d’Orchaiz relever ton défi. Que cela se passe ainsi, selon nos lois ancestrales, et qu’il soit fait sort de nos destinées ».

Je me mis à bailler d'ennui. Il me regarda de travers et quitta les festivités. J’en fis autant, poussé par mes parents qui me pressaient d’aller m’entraîner. Allais-je le faire ? Là était la question.

En rentrant chez moi, je regardai mon bâton de Graveline créé à partir d’une roche volcanique et le pris un instant en mains. Je le tendis devant moi, fis quelques mouvements lents et finis par m’appuyer dessus. Je me sentais ridicule. Finalement, je m’endormis dans mon grand lit à baldaquin en me laissant choir lourdement.

Le lendemain matin, j’eus un mal fou à me réveiller. Je m’habillai encore très élégamment mais renonçai à porter des bottes de cérémonie. Je me regardai sommairement dans le grand miroir accroché au dressing qui encombrait ma chambre et ne trouvai rien à améliorer.

Toujours aussi peu motivé, je descendis les étages en prenant appui sur mon bâton. Au rez-de-chaussée, personne ni ne m'accueillit ni ne m'encouragea. Tout le monde était déjà parti m’attendre pour le duel. Quel empressement ! Même les domestiques étaient absents. J’avais pourtant faim. Bah, après tout, je pourrais prendre un petit déjeuner en chemin.

Il n’y avait quasiment personne dans la cité. Cela me démotiva davantage. Je m’assis à la terrasse de la brasserie la plus en vue de la place principale et attendis quelques secondes la venue d’une personne charitable qui viendrait me sustenter.

Ce fut alors une apparition. Une sublime Elve vint prendre ma commande. Cela dissipa toutes mes mauvaises pensées et comme il fallait s’y attendre venant de moi, toutes pensées. La matinée passa, la journée, le soir… D’ailleurs, ce fut le soleil couchant qui m’alarma. Avais-je oublié… Je me levai brusquement et me mis à courir comme si ma vie en dépendait.

J’en étais sûr, il n’y avait plus personne sur les lieux du duel. Quelle excuse allais-je pouvoir inventer pour me dépêtrer de cette inextricable situation. Rien. Moi, qui d’ordinaire avait l’esprit illimité et inventif, ne trouvai rien à dire. C’était exceptionnel ! C’était stupéfiant ! C’était… la fin…

Je fus mis à la porte de chez moi brutalement. Le seul moyen pour moi de regagner l’honneur de ma famille était de rapporter une relique sainte en or ou de m’illustrer par un acte de valeur.

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