De drôles de compagnons

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  • Alors c’est donc ça le fort de la rébellion... dis-je d’un air détaché en apercevant cette énorme bâtisse taillée directement dans la roche volcanique.

Une forteresse imprenable entourée d’un mur opaque de plus de trente mètres de haut, surmonté de créneaux. Dessus, plusieurs hommes et femmes patrouillaient, l'arme à la main. La nervosité me guettait. Allais-je devoir passer le reste de ma vie cloîtré là-dedans ?

L’endroit était si bruyant qu’on aurait dit qu’une usine souterraine s’activait en permanence. Je regardai Kernarok qui affichait un visage serein. Mon corps se mit en branle comme un pantin et se tourna mécaniquement dans la direction opposée. Mais Kernanok me foudroya par derrière, grâce à ce pouvoir quasi-mystique qui me terrassa tout entier et me poussa au-delà de mes retranchements.

Bien, j’étais vaincu. En y repensant, je ne me souviens même pas du moment où j’ai rempli et signé le formulaire. Je me rappelle que la feuille posée juste sous mon nez était vierge et que je n’avais pas envie de m’engager. Aussi je ne serais pas étonné que quelques pratiques occultes aient été exécutées sur ma personne sans mon consentement.

  • Entrons !

Une fois nos papiers d’inscription présentés à l’entrée. Une fois que l’on eut été scrutés de la tête aux pieds. La porte se referma aussi brutalement que mes pas semblaient légers sur le bitume. Il me sembla alors bien difficile d’envisager pouvoir retrouver un jour mon honneur lorsqu’une fierté aussi inébranlable que la mienne commençait déjà à faiblir, à peine entré en ces lieux.

Mais heureusement, cela ne dura pas. La fatigue d’un aussi long voyage et le stress engendré par les rencontres successives avec les aubergistes locaux devaient en être la cause.

À la fraîche, cinq heures précises, je rencontrai enfin mes futurs camarades potentiels. Nous étions une quarantaine de nouveaux, majoritairement jeunes. Je balayai l'assemblée d'un oeil critique. Certains énergumènes, tels les Nains et les Orchias, étaient sujets à me donner des vapeurs. Les Nains, parce qu’ils étaient trapus et disgracieux selon mes critères, et les Orchias, parce que leurs quatre paires de tentacules violacées étaient une insulte à cette superbe couleur qui est la mienne !

A l’exception de Kernarok, qui non content de me taper sur les nerfs me coiffait une nouvelle fois au poteau, j’étais l’un des trois plus grands. Ma fierté fit un bond en avant. Il fallait dire qu’en pleine croissance, je faisais déjà un mètre quatre-vingt dix.

Je passerai donc sur les deux mètres dix de Kernarok et j’oublierai volontairement les deux mètres trente de cet Itan à tête de requin marteau qui ne m’inspira qu’une crainte immense. Imaginez un corps recouvert de muscles énormes et bleuâtres qui semblent perpétuellement contractés, prêts à broyer du faible.

Il ne me restait donc plus qu’un Humain aux cheveux bruns et courts d’un mètre quatre-vingt huit qui devait avoir mon âge et dont la carrure était plus comparable à la mienne : svelte, élancée, musclée, avec un raffinement et une classe éblouissante qui pouvaient éclipser le soleil lui-même. Mais il va sans dire que tous ces adjectifs glorifiants me sont strictement réservés. Voilà tout pour le paysage masculin.

Le paysage féminin était plutôt clairsemé et ne présentait pas grand intérêt. En y regardant mieux, il y avait peut-être cette petite brunette et cette blonde aux formes généreuses… Pardon, je m'égare.

Et soudain, un type aux allures de chef, dans le sens le plus déplaisant du terme, se mit à brailler qu’il allait former des groupes de quatre individus. Serait-il possible que je sois séparé de Kernarok ?

Je passerai sur le ridicule de certains de ses choix, comme mettre un Orchias et un Peleros dans le même groupe. A-t-on idée de réunir un ersatz de poulpe et un simili pélican ! Ah, le Itan est dans ce groupe... TIens, il y a aussi un Elfe... Normal qu'il devienne hargneux puisqu'on l'a collé avec son ennemi héréditaire !

Enfin, mon nom fut prononcé, le premier du groupe. Cela se présentait bien, je serais certainement Chef d’équipe !

  • Urdann Kaerdoom…

Le chef chargé de former les équipes se mit soudain à avoir une absence et prononça mécaniquement les autres noms comme si quelqu’un d’autre parlait à sa place.

  • Kernarok, Astéronn Domlak, Silarns Kilmer.

Astéronn Domlak était cet Humain de grande taille qui avait attiré mon attention. Il portait un débardeur gris foncé suffisamment près du corps pour qu’on s’aperçoive qu’il était musclé, ainsi qu'un jean noir et de grosses chaussures montantes. Mais malgré son allure sportive, vu de près, il ressemblait plus à un agneau endormi qu’à une machine de guerre, enfin passons…

Silarns Kilmer était de race Vriji, très proche physiquement des Humains, et devait faire environ un mètre soixante-dix. D’une carrure plus chétive, ce jeune homme au teint pâle m’intrigua quelque peu, mais pour d’autres raisons que son aspect physique. Il y avait quelque chose de louche en lui qui me poussa tout naturellement à la méfiance.

Un bandeau vert de jade maintenait les pédoncules noirs mi-longs et hirsutes qui lui servaient de cheveux. Il avait de grands yeux orangés, assombris par un regard assassin. Il portait des bottes usagées, un pantalon en toile et un t-shirt déchiré rouge sang. Par dessus, un gilet molletonné sans manche de couleur beige était fixé par un large ceinturon qui lui entourait la taille. D’autres pédoncules beaucoup plus petits et plus espacés se trouvaient sur ses épaules, ce qui me fit sourire.

Cela me fait penser que je n’ai pas encore décrit la tenue de notre cher Kernarok, si ce n’est les quelques trous dans son dos et le manteau qui cachait le tout… Eh bien il portait une combinaison noire sans manche, en tissu synthétique, pareille à celle d’un mécano, qui se terminait aux extrémités par un liseré doré.

Le port d’un short ou d’un pantalon court pour les membres de cette race devait être fréquemment répandu à en juger par leurs énormes mollets musculeux et leurs pattes griffues qui leur interdisaient le port de chaussures. À moins qu’ils ne possèdent des chausses spéciales pourvues de trous laissant dépasser les griffes, ce qui, à mon humble avis, mériterait de figurer au palmarès de l’inélégance masculine. Mais je m’égare une nouvelle fois.

Et il devient évident que j’en oublie l’essentiel. Personne ne se demande donc ce que je porte d’autre, à part mes bottes dites pratiques ! C’est scandaleux ! Mais puisque j’ai encore un peu de temps à tuer. Allez, je suis magnanime. Voilà, eh bien…

Je ne sais pourquoi je suis toujours interrompu dans les moments importants, mais il va de soi que même si je ne crois pas en la fatalité, cela est bien imité. L'adjudant, reprenant ses esprits, haussa le ton et prononça mon nom, après avoir écouté ce qu'un messager était venu lui souffler à l'oreille.

  • Monsieur Urdann Kaerdoom !
  • Quoi, qu’est-ce que j’ai fait ? répondis-je machinalement.
  • Nous venons d’avoir vos parents au téléphone. Ils sont sans nouvelles de vous depuis des jours et sont très contrariés que vous n'ayez pas daigné honorer le pacte d’Oryne dont vous êtes à l'origine. Ils aimeraient savoir si vous comptez leur rapporter la sainte relique qu'ils ont laissée pour vous afin de vous permettre de regagner votre honneur perdu !

Les muscles de mon visage se contractèrent et je maudis le jour de ma naissance. Mes parents venaient une nouvelle fois de me ridiculiser, qui plus est à distance. C’était plus que je ne pouvais en supporter.

  • Appelez-les sur-le-champ pour les rassurer ! C’est un ordre !

« Le fils à son papa et à sa maman va aller les rassurer », reprirent en cœur les éléments les plus inquiétants des groupes environnants. Cela m’agaça au plus haut point et je refusai catégoriquement de les appeler, dusses-je en mourir.

Vous vous doutez tout naturellement que le héros ne peut décéder à ce stade de l’histoire. Mais il peut être conduit au cachot pour y passer la nuit. N’allez pas croire qu’on se repose. L’endroit est encore plus bruyant que le reste.

Après avoir passé la pire nuit de toute ma vie, notre formation initiale commença. Elle durerait quinze jours puis nous aurions de vraies missions par ordre croissant de difficulté, en théorie.

Lors de la première semaine, on dut subir un entraînement intensif pour améliorer notre condition physique. Il fallait dire que j'en avais sacrément besoin ! Je peinais à la tâche mais fis tout de même quelques efforts. Par contre, Kernarok ne semblait pas beaucoup se forcer. Il parvenait même à lire des livres et des journaux lorsqu'il effectuait des tours de piste, et je ne parle pas des pompes qu’il effectuait sur un seul doigt, sans faiblir. C'était décourageant.

L’Humain semblait bien se débrouiller, mais au bout d’un moment, il finissait toujours par s’endormir en pleine action. Quant à l’autre. Eh bien il semble plus courageux et téméraire que moi, mais il devait produire plus d'efforts pour arriver aux mêmes résultats. Encore un faiblard...

L’Humain Asteronn, qui me demanda de l’appeler Ronn, se plaisait à discuter avec moi tout en courant. Il me racontait sa vie. Sa famille qui passait son temps à se lancer des défis mais qui était trop paresseuse pour les terminer. Ses chiens qui avaient appris des acrobaties incroyables et ses frères et soeur qui avaient des vies passionnantes. Quel moulin à parole quand il s’y mettait ! Mais dès qu’il s’arrêtait de courir, dès qu’il ne faisait plus aucun effort, il n’y avait plus rien… étrange.

Silarns ne parlait pas beaucoup mais, lorsqu’il le faisait, ce n’était pas pour se montrer aimable. J’avais le sentiment qu’il ne m’aimait guère et je soupçonnais qu’il ne soit en réalité tout le contraire de moi. D’origine pauvre, de nature travailleuse et menant une vie active, encouragé par une famille attentive mais pauvre… Qu’y avait-il d’autre à faire que de l’ignorer ?

Mais j’étais dévoré par la curiosité. Je voulais percer ce mystère qui l’entourait car il devenait impensable que je puisse un jour devenir obsédé par une personne autre que moi-même.

La semaine achevée, l’entraînement qui suivit se déroula en pleine nature. Transpirer sang et eau qu’ils disaient ! Si je sentais bien l’eau, où était le sang ? Enfin, je n’allais pas m’en plaindre.

  • Dis-moi Ker, pourquoi tu me suis, sérieusement ? finis-je par lui demander.
  • N’est-ce pas plutôt toi qui me suis, me répondit-il, coupant court à toutes mes prodigieuses répliques en devenir.

Il sourit encore et continua de faire semblant de s’entraîner.

Je ne sais pas trop pourquoi, mais ce jour, il me prit l’idée saugrenue d’aller adresser la parole à Silarns. Dès qu'il me vit, il tenta de me fuir, puis il se décida à m’écouter, trouvant sans doute le fait que je souhaite converser étrange.

  • Tu ralentis mon entraînement, tu sais. Dis-moi vite ce que tu me veux et repars t’entraîner, tu en as bien besoin crois-moi.
  • En fait, je voulais simplement m’éloigner de ce Phénox qui manigance des choses derrière mon dos et de Ronn qui me raconte sa vie dès qu’il est en mouvement. Et chose curieuse, tu t’es trouvé sur mon chemin.

Je réfléchis un instant et réalisai quelque chose qui sauta à mes yeux telle une évidence.

  • Mince, je n’ai rien à te dire ! Vraiment rien ! Bon, j’me casse !

Il me lança un regard sidéré et semblait anéanti par ma réponse. Puis il finit par retrouver ses esprits et me suivit, furax.

  • Dis-donc, j’ai horreur qu’on se foute de moi ! Comment ça t’as rien à me dire !
  • Ben… c’est vrai, désolé. J’ai beau me creuser la tête, je trouve rien. Je ne vois pas comment je pourrais engager la conversation avec quelqu’un qui porte en permanence un masque sur soi ! Il ne faut pas m'en vouloir. Sur ce...

Voilà qui était dit. Pourquoi se prendre la tête avec des gens qui veulent faire des cachotteries ?

À propos de cachotteries, je trouve mon compagnon de route emplumé de plus en plus étrange. À chaque fois que je le regarde, il sourit ou tourne la tête innocemment. Je le soupçonne de m’espionner. Enfin, ce n’est pas nouveau. Je serais prêt à parier que c’est lui qui a averti ma famille de ma présence ici. Ils doivent bien rire. Surtout Shead ! Rien que de penser à lui, j’en ai la nausée.

Fort heureusement, la formation touchait à sa fin. Tout aurait pu se passer à merveille si je n’avais pas attrapé une vilaine grippe l’avant-dernier jour. Cloué au lit avec plus de trente-neuf de fièvre, il m’était impossible de me lever. C’est dans ces moments-là qu’une jeune et jolie fille est supposée venir à votre chevet, mettre des fleurs à côté de vous pour égayer la pièce, et déposer un tendre baiser sur votre front moite pour vous souhaitez bon rétablissement. Cela aurait pu se passer comme ça. Soupire.

Mais ma première visite se réduisit à un flot de paroles abondantes sortant de la bouche de Ronn qui était particulièrement actif. Je pleurais intérieurement, ne pouvant me lever pour aller lui en coller une et le faire taire, peut-être à jamais.

Enfin, le calvaire s’acheva après une horrible demi-heure. Ma seule consolation était que l’infirmerie était très calme comparé à tout le reste.

Ma deuxième visite fut, comme je le craignais, Kernarok.

  • Alors le malade, comment on se sent ?
  • Je ne te dirai rien. Je refuse que tu le répètes à mes parents.
  • Tu penses encore que je suis un espion qu’ils ont envoyé pour te surveiller ! Tu me déçois beaucoup jeune Urdann.
  • Donne-moi une raison valable à ta présence et je renoncerai à cette idée.
  • Comme il te plaira. C'est le destin qui m'envoie !

Je me mis à éclater de rire entre deux maux de tête.

  • Soit, ta réponse me convainc. Mes parents n’auraient jamais eu l’intelligence d’employer quelqu’un comme toi. Mais encore une fois, tu te défiles.

Il me sourit et me prêta un de ses livres. « Le grand dessein » Je l’ouvris subrepticement et me dis que c’était encore une œuvre philosophique qui n’était pas à ma portée, surtout pas en ce moment. Je le remerciai sans conviction et espérai pouvoir enfin fermer l’œil.

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