Première mission

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La première mission devait être simple. Franchement, lorsque l'on confie un message confidentiel à une équipe aussi fine que la nôtre, il ne devrait subsiter que la perfection, une fois le devoir accompli.

Bon, là, je doute que "perfection" soit un terme si approprié, surtout planté au milieu d'un désastre plus incroyable que moi. Mais comme mon futur n'est pas encore écrit, quoique, je préfère me contenter du présent.

Je sais qu'un jour, nos chemins engageront la marche forcée vers une guerre inévitable et que, quelque part, depuis les astres qui ne renvoient que des lueurs mortes, les Mirilyons nous guettent. Mais je reviendrai sur cette race plus tard.

Le chef du village voisin, à qui nous devions remettre la lettre, était un Humain gras et court sur pattes. Il s'empressa de lire le message qui lui était destiné, puis griffonna quelques mots en bas de la page, avant de la sceller et de la remettre à kernarok. Je compris aisément qu'il était le seul qui trouvait grâce à ses yeux mais choisis de ne pas m'en vexer.

Il est curieux de constater que, dans des moments comme celui-ci, le vent a tendance à se lever brusquement, créant une atmosphère quasi surnaturelle. Il est aussi curieux de voir comme l’environnement sait être inutilement hostile, puisqu'une malencontreuse poussière vint se loger dans mon oeil.

Je demandai alors naïvement où je pourrais aller me rincer. On m’indiqua un petit cours d’eau non loin de là. Je ne pris pas la peine de le remercier, lui-même n’ayant pas pris la peine de me saluer. Je n’eus aucune difficulté à trouver la rivière et me hâtai de tremper mon visage dedans. Je ne m’attarderai pas longtemps sur la froideur de cette eau car la suite fut beaucoup plus intéressante.

Alors que j’allais repartir, j’entendis des murmures tout près d’ici. Naturellement porté par la curiosité, je m’approchai et restai tapi derrière les buissons. Ce fut là que j’entendis quelque chose que je n’aurais jamais dû entendre.

  • Combien de temps crois-tu que ce leurre va durer ?
  • Autant de temps qu’il le faudra pour que les Mirilyons aient le temps d’arriver jusqu’ici.
  • Espérons que personne ne découvrira le subterfuge.
  • Nous n’avons plus que trois jours à tenir, si nous nous en tenons au plan.
  • Le traquenard devrait faire l’affaire.
  • Espérons que la Rébellion ne s’en rende pas compte trop tôt !
  • J’aimerais beaucoup voir leur tête lorsque ça s'produira.

Il y eut quelques rires échangés et je me sauvai sans demander mon reste. Heureusement, je n’avais pas été repéré. Je fis mine de rien, préférant attendre le moment propice pour tout raconter à mes compagnons de route.

Ils tirèrent une mine stupéfaite et eurent du mal à me croire.

  • Tu es sûr que la poussière n’est pas plutôt entrée dans tes oreilles ! me dit Silarns d’un ton désobligeant.
  • C’est un peu gros non ? ajouta Ronn, moins convaincu que jamais.
  • Tu me crois toi au moins, dis-je à l’intention de Kernarok ?
  • Évidemment. Si je ne croyais pas en toi, crois-tu que je perdrais mon temps ici ?

Il dit cela avec tellement de naturel que, sans pour autant provoquer chez moi un torrent de larmes de reconnaissance, cela me toucha. Les autres semblèrent se ranger à son avis.

  • Mais alors, qu’allons-nous faire ? me demanda Silarns.
  • Il faut tout leur dire, c’est évident, dis-je avec assurance.
  • Oui, mais si l’information est fausse ? ajouta Silarns.
  • Mes oreilles ont parfaitement entendu, et ils ne savaient pas que j’étais là !
  • Oui, mais le chef le savait. Peut être est-ce une fausse piste !
  • Aie confiance ! dis-je pour le rassurer.
  • Pourquoi devrais-je te faire confiance ?
  • Parce que je suis un être exceptionnel, totalement fiable. Je suis la transparence réincarnée.

Il se désespéra de mon attitude et j'accueillis son oeillade farouche par un long soupire.

  • Quelqu’un qui cache sa nature profonde comme toi ne peut pas comprendre !

Le visage de Silarns se contracta et sembla momentanément inquiet. Avais-je deviné quelque chose le concernant ? Pourtant, je ne savais rien de lui. Tout ce que j’avais dit était sorti sans raison apparente. Mon a priori des premiers jours s’était évanoui récemment. Je sentais que je pouvais lui faire confiance. Mais ce mystère, enroulé autour de lui, transperçait la curiosité que j’avais tenté vainement de dissimuler.

Une fois de retour au Fort, tout le monde apprit la nouvelle et les opinions furent mitigées. Certains pensaient que je cherchais à me faire remarquer pour éclipser mon grand-père, d’autres virent leurs craintes confirmées par mes dires. Qu’allait-il se passer ? Allait-on me croire ?

Les gradés nous demandèrent d’aller les attendre dehors pendant qu'ils prendaient une décision. Finalement, il fut décidé que nous devions être mis au cachot pendant les trois jours suivants. J'en conclus qu'on ne m’avait pas cru.

Mes compagnons me remercièrent chaleureusement, m’invitant à me taire à l’avenir.

  • C’est ridicule, dis-je, ce que je dis est la vérité !
  • Parce que cela sort de ta grande bouche ?
  • Silarns, quand tu sauras apprécier ma valeur, tu auras droit à la parole !

Il se renfrogna dans son coin et resta silencieux un long moment.

  • Moi, j’ai dit la vérité ! J’ai la conscience tranquille ! Si personne ne m’écoute, tant pis pour eux ! Qu’ils se fassent griller la cervelle par les lasers longue portée des flottes mirilyonnes !

Kernarok se tint un instant le menton et parut bien songeur.

  • Détrompes-toi. Les militaires pensent à la sécurité des civils avant toute chose. Cette ville ne pourra pas être évacuée sans qu'il y ait d'inutiles mouvements de paniques. Je pense plutôt qu'ils ont choisi de nous mettre en prison pour qu’on croie à une farce et que rien ne filtre hors de ces murs. Ainsi, ils auront le temps de trouver une solution.
  • Donc, ils me croient mais ils ne peuvent pas le crier sur tous les toits !
  • Exact, mon petit, tu as tout compris.

Ronn finit par s’asseoir à son tour et cessa de faire les cents pas, plus aucune question ne trottant dans sa tête. Tout était dit. Allions-nous attendre ici que les Mirilyons nous bombardent ! C’était impensable ! J’étais ici pour briller au firmament et non pour m’éteindre dans les flammes incandescentes sous les faisceaux des tirs ennemis !

Il fallait faire quelque chose, mais quoi ? Je me mis à me demander, à cet instant précis, ce qu’aurait fait mon grand-père dans cette même situation, mais le seul souvenir qui me vint à l’esprit fut la relation entre la terre et la lune pour faire des plantations dans le jardin. Quel souvenir étrange… Je n’aurais jamais soupçonné qu’un jour il eut été si grand.

Je me redressai subitement et brandis quelques paroles pour me donner du courage.

  • Aussi vrai que mon grand père était l'Étoile d’Argent, un jour, je serai l’Étoile d’Or !
  • Et après, soupira Silarns, toujours aussi pessimiste.
  • Et après ?
  • Oui, après ! fit-il plus hargneux que jamais.
  • Prends exemple sur moi et crois en ta destinée. Tant que tu porteras ce masque qui obscurcit ton jugement et que tu garderas les yeux fermés, tu ne verras pas que la lumière qui brille est le plus grand trésor ! Si tu n’as pas de lumière en toi, tu ne peux pas comprendre ce que des gens comme moi, qui ne sont que lumière, ont dans le cœur.
  • De la vanité !

Ma corde sensible fut attaquée. Il est vrai qu’il marquait un point. Mais quel mal y avait-il à penser un peu à soi, de temps en temps…

Une nouvelle nuit passée au cachot pour moi, une première pour les autres. Tout le monde se plaignit le matin d’avoir très mal dormi à cause de la chaleur et du bruit. Moi, je prétendis le contraire, mais mon regard livide me trahit.

  • Alors, le porteur de lumière, tu as une idée lumineuse aujourd’hui ! me cracha Silarns au visage.

Quel type bien matinal ! Toujours prêt à l’attaque. Je fis mine de prendre un air sage, mais, entrecoupée par d’affreux bâillements, la mayonnaise eut du mal à prendre.

  • Alors, on attend ! Grande lumière !? renchérit-il.

Je fermai les yeux et tendis un bras devant moi pour faire cesser les protestations. Il semblait évident que j’allais ouvrir la bouche d’un moment à l’autre pour prononcer des paroles salvatrices qui auraient bien arrangé mes affaires. Mais une fois la bouche entre-ouverte, mon ventre se mit à grogner. Silarns s’esclaffa, juste avant de m’imiter.

  • Hé les gars, nous souffla Ronn, je n’ai pas le souvenir qu’on nous ait apporté de la nourriture hier soir. Et si, dans la confusion générale, on nous avait oubliés !

Chacun d’entre nous se regarda et tout le monde, sauf Kernarok, se précipita contre la porte d’entrée pour y tambouriner à tout rompre. Des pas se firent entendre et un gardien se mit à râler.

  • Vous allez vous calmer !
  • On a faim !
  • Ah, ce n’est que ça ! Je vais voir ce que je peux faire.

Au bout d’une heure, nous attendions toujours le repas promis. C’en était trop. Je me levai et tentai de fracasser la porte en donnant un grand coup de pied dedans, mais la seule chose que je fracassai, au final, fut ma propre personne. Je m’affalai lourdement, ce qui provoqua l’hilarité générale, à croire que j’avais été bouffon dans une vie antérieure !

Mais en heurtant le sol volcanique, j’eus soudain une idée brillante qui me fit me demander pourquoi je n’y avais pas songé plus tôt.

  • Reculez tous ! Et mettez-vous derrière le Phénox, ça vous protégera !

Kernarok émit un grognement mais acquiesça tout de même. Je me concentrai et plaçai ma main contre le mur qui était dans la même matière. Je prononçai une petite incantation familiale et recréai un bâton de Graveline, proche de celui que j’avais laissé au bercail. Sidérés, mes compagnons admirent que j’avais au moins un don à mon actif. Ils se pressèrent pour le voir de plus près, la bave aux lèvres. Cette admiration à mon égard n’était pas sans flatter mon ego, mais je me retins de leur en faire part, par peur des représailles.

  • Je peux le prendre ? me demanda Silarns.
  • On ne touche pas ! Le bâton de Graveline est ma propriété !
  • Alors c’est donc ce bâton légendaire que tu as pris la peine de ne pas utiliser, lors de l’épisode malencontreux du pacte d’Oryne ? se gaussa-t-il.
  • Pourquoi faut-il toujours que l’on remette ça sur le tapis !
  • Parce que c’était vraiment couard de ta part ! D’ailleurs, ça c’est passé comment, tu as eu peur et tu n’es pas venu ?

Je préférai garder la vérité - encore plus honteuse - pour moi, et leur demandai de s’écarter de ma route. J’expédiai rapidement la porte d’entrée dans les oubliettes et sortis le premier.

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