Seuls face aux cieux
Un silence accablant régnait dans les couloirs et dans la cour. Les gens avaient-ils déserté ?
Je n’en croyais rien mais restai étonné que l’endroit le plus bruyant du monde devienne subitement aussi calme. Et puis, il faisait si sombre dehors que j’eus du mal à croire que c'était le matin.
Kernarok me suggéra de lever la tête, ce que les autres imitèrent. Un vaisseau de huit cent mètres de long semblait glisser dans le vide et répandait une ombre interminable sur la place.
- Les Mirilyons ?! dis-je sans dissimuler le moins du monde mon inquiétude.
Silarns me rappela à l’ordre et me donna une tape sur la tête en me faisant remarquer que le logo de l’alliance alisgaine, d’au moins trente mètres, aurait pu m’éviter de dire quelque chose d’aussi bête.
Quel beau vaisseau ! me dis-je une fois rassuré. Une ligne fluide, un design simple et une couleur sobre, à l’exception du logo rouge. Voilà donc ce qui se préparait.
Petit à petit, la cour se remplit des autres nouvelles recrues qui n’en croyaient pas leurs yeux.
- Ils partent en éclaireur, dit Kernarok à mon intention. Ils restent sceptiques, mais veulent tout de même vérifier ton histoire.
Le vaisseau quasi-silencieux finit par vibrer et disparut dans un vortex sous nos yeux incrédules.
- Sub-Ether ? demandais-je.
- Sub-Ether, me répondit Kernarok imperturbable.
Je sentis mes yeux briller d’une lumière envieuse. Être dans un vaisseau comme celui-là me parut alors un objectif admirable. J’en vins rapidement à m’imaginer à ses commandes et à diriger mon petit monde pendant que Kernarok me servirait des cocktails maison, tout en lisant ses éternels livres sortis de nulle part...
- Ça fait envie, ajouta Kernarok à mon intention.
Il n’eut, pour toute réponse, qu’une bouche ouverte et de grands yeux ronds.
- On fait quoi ? intervint Silarns. On ne peut pas déserter, ce serait contraire aux termes de nos contrats.
- Non seulement on ne peut pas, dis-je l’admiration figée dans mes canaux lacrymaux, mais on ne doit pas !
Silarns et Ronn se penchèrent sur mon cas, avec l’air le plus navré qu’il m’ait été donné de voir. Mais je n’avais jamais été aussi heureux que depuis ce jour où j’avais trouvé un chemin vers une destinée.
- Mes amis, dis-je, nous voici à un tournant décisif de nos vies. À présent, nous ne sommes plus des spectateurs, mais des acteurs. Prenons nos vies en mains et agissons !
Tout en prononçant ces paroles - empruntes d’une grande vivacité d’esprit cela allait sans dire - je me mis en appui sur mon nouveau bâton. Il me prit alors de sillonner des yeux le terrain environnant, comme un conquérant à la recherche d’un nouveau territoire.
- Et on fait quoi, Chef ? grommela Silarns.
- Commençons d’abord par réfléchir.
Réfléchir était plus difficile qu’il y paraissait. Car je ne savais pas trop quoi faire en réalité. Je parlais, je parlais, mais œuvrais dans le vide.
- Premièrement, finis-je par dire, nous sommes libres. De ce constat naît plusieurs options, dont la meilleure me semble la préparation. Un combat terrible nous attend. Il convient donc que nous nous entraînions !
Au même instant, je remarquai la foule grandissante qui se pressait autour de moi. Je ne saurais décrire ce sentiment qui m’envahit alors, mais il resta à jamais gravé dans mon esprit. L’Itan de deux mètres trente m’adressa un regard attentif et prit la parole.
- C’est vrai. C’est tout ce qu’on peut faire.
Des échos approbateurs se firent entendre. Avais-je gagné quelque chose de plus en entrant ici ?
Nous passâmes toute la journée à nous entraîner au maximum de nos capacités.
Je découvris alors que les Itans pouvaient émettre un sonar puissant, pareil au bruit d’un dauphin, qui donnait un vertige immédiat à quiconque se trouvait dans un rayon qu’il me fut impossible de déterminer.
L’Orchias utilisait ses tentacules avec une agilité telle qu’il pouvait manipuler plusieurs armes simultanément. Le Peleros, quant à lui, pouvait déjà voler, ce qui représentait un avantage certain, et envoyait des vagues d’air tranchantes tout en émettant un son aigu strangulé en se servant de ses narines.
Je remarquai alors un Capô qui n’avait pas réellement attiré mon attention jusque-là du fait de sa petite taille. De cinquante centimètres de haut, il avait la capacité de se fondre tel un caméléon dans le décor et de jaillir de nulle part sur ses ennemis. Il ressemblait à un scarabée noirâtre et sa carapace était dure comme du béton.
J’avais foi en mon armée, si je puis me permettre cette petite prétention. Ils étaient vaillants et motivés.
- Hé, me héla Silarns, tu n’es pas là en tant qu’observateur mais en tant que guerrier !
Ces mots retentirent en moi avec force et je me mis à esquisser un sourire.
- Tu as raison. Entraînons-nous tous les deux !
- Tu veux te battre contre moi ? fit-il tout étonné.
- Bien sûr ! J’en ai très envie.
Quel plaisir de m’imaginer lui montrer qui était le maître ici ! Mais j’eus bien du fil à retordre avec lui. Il était très rapide et pouvait frapper fort.
- Ne me dis pas que tu n’as que de belles paroles à ton service ! Allez ! Montre-moi un peu ce que tu peux faire avec ton bâton !
Je le regardai un instant et me dis que je pourrais bien l'étonner avec mes nombreuses bottes secrètes. Mais ce fut lui qui me surprit en utilisant une technique propre à sa race. Il se servit de ses bras et fit dériver de l’énergie à travers eux qu’il dirigea contre moi.
Chez les Vjirii, on appelait cela la Source Intérieure. Seule l'énergie interne liée à la volonté et à la chimie du sang permettait de rivaliser avec les flux magiques presque éteintes qui ont germé dans l'ancien temps.
J'avoue ne pas trop avoir cherché à comprendre comment il était possible de produire cette réaction biologico-mystique. Par contre, je sais que la plupart des gens confondent généralement les deux puissances car ils sont ignares. N'allez pas croire que je suis odieux... mais merci d'y avoir pensé.
Bref, tout ça pour dire que lorsque je fus frappé au thorax par son coup, je sentis mon souffle se couper et chutai en arrière sans pouvoir me rattraper au vol.
- C’est pas mal, dis-je tout sourire le postérieur bien inséré dans la terre d'arène.
N'allez pas croire que je n'ai pas d'amour propre mais je suis rarement rancunier. Par contre, j'aime bien répondre à la provocation et jugeai le moment opportun pour utiliser une technique.
Je choisis celle du bâton renversé qui consiste à retourner son bâton plusieurs fois de suite plus ou moins vite pour faire circuler l'énergie à l'intérieur de la tige jusqu'à ce qu'elle gagne en puissance. Une fois le bâton chargé, il suffit de le déployer et un champ de force se dégage de l'extrémité pour repousser un ennemi.
Généralement, c'est une technique défensive mais entre mes mains tout peut arriver. Sauf que là, je n'avais pas envie de blesser Silarns et me contentai de le repousser de quelques pas. Il me complimenta sur cette technique, ce qui me semblait bien normal.
A la fin de la journée, tout le monde fut épuisé mais je pouvais sentir la vaillance de leur cœur à travers le mien.
Et puis, vint le troisième jour. Tout le monde resta dehors à attendre la chute du Paradis et la mise en place de l’Enfer sur notre fort. Ils vinrent, à 15 h 00 précises.
Sortis de nulle part, leurs vaisseaux semblaient au moins aussi grands que celui de la Rébellion, sauf qu’ils étaient cinq. Avions-nous une chance réelle de les vaincre ? Nul doute que non. Que pouvions-nous faire lorsqu’ils se mirent à sortir leurs armes et à raser le fort à coup de laser. Rien, si ce n’était fuir ?
Mais c’était impossible. Les gravats étaient en perpétuel mouvement, ainsi, tout le monde se retrouva contraint de se dissimuler le mieux possible pour éviter les projections.
Et nous en arrivons donc à cet instant de crémation où la chaleur accablante et le désordre général règnent en maîtres absolus. Et pour couronner le tout, ils se mirent à nous bombarder !
Étais-je né pour disparaître sous un flot de lave, balayé par une aussi petite flotte mirilyonne ! Je ne pouvais l'accepter ! Puis la nuit surgit et nous plongea dans l'obscurité. Des brasiers ardents découpaient des silhouettes rocheuses amputées tout autour de nous. C’était le chaos dans les ténèbres.
Cette pensée, à elle seule, brisa mon assurance et je me recroquevillai sur moi-même. Au moment où j'étais prêt à me lamenter sur mon sort et à croire que l'univers tout entier n'en voulait qu'à moi, j'entendis Silarns marmonner inlassablement que c'était « la guerre ».
A son regard perdu dans le lointain. A sa tête qui remuait. A ses bras pressés contre ses oreilles. A son souffle court. Je compris que ma peur n'était rien.
Si Kernarok n’était pas intervenu, il aurait probablement disjoncté. Ce Phénox était vraiment surprenant. Le détachement dont il faisait preuve habituellement s’était soudain transformé en attention particulière pour l’un d’entre nous.
Il plaça son front contre celui de Silarns et j’entre-aperçus, l’espace d’un instant, un courant de lumière passer de l’un à l’autre. Silarns fut rapidement apaisé et ses pupilles, dilatées par la terreur, reprirent une forme normale très éloignée du regard assassin qu’il lançait habituellement.
C’est alors que je compris tout. Je compris enfin ce lourd secret qui était en lui. Cela me sauta aux yeux comme une tic sur un chien et me fit me sentir bien bête. En réalité, Silarns était…
Mais avant de lancer une affirmation de la sorte, il me fallait la vérifier par moi-même, enfin, si je survivais... Le Itan à la tête de requin marteau surgit de nulle part, blessé à l’épaule gauche, et vint se joindre à nous en haletant, après avoir sauté par-dessus le rocher de fortune qui nous abritait.
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