Partie 11

3 minutes de lecture

La nuit était tombée à présent ; le cerbère sur les talons, Enzo traversa le campement qui commençait à s'endormir, fila dans sa caravane en manquant d'exploser les gonds et claqua la porte au nez du chien.

Perplexe, celui-ci écouta un instant les sanglots qui débordaient de l'intérieur, avant de s'éloigner en trottinant.

Derrière la porte, Enzo venait de s'écrouler sur son lit trop petit. Il se roula en boule, comme lorsqu'il était enfant, essaya de chasser les cinq voix de son esprit. C'était pire que tout. Jamais les gens de l'extérieur n'avaient ri de l'homme-bête. Jamais auparavant on ne s'était moqué de lui. Il retira compulsivement son sweat, essaya de le réduire en charpie avec une rage telle qu'il n'en avait jamais ressentie. Avant de le serrer contre lui, très fort, et d'y enfouir son visage plein de larmes.

Ses vêtements n'y changeaient rien. Il restait désespérément loin de l'humain. Il n'était qu'un singe grotesque, une créature difforme dont on se demandait même si elle pouvait parler. Une mascarade. Enzo le Magnifique était une mascarade.

Pire encore, il avait fui. Lui qui n'avait jamais baissé les yeux devant qui que ce soit, pas même devant la vieille Zabeth, s'était retrouvé plus faible qu'un nouveau-né. Attaqué dans sa chair, dans son esprit, par les phrases qui s'adressaient à lui. Il n'avait rien trouvé à dire. Rien à répliquer. Jamais encore il ne s'était senti à ce point sans défense.

Dans un soubresaut de lucidité, le visage de la fillette inconnue lui revint en mémoire, et il comprit soudain pourquoi elle n'avait pas su se protéger elle-même un an auparavant. Son petit cœur devait être transpercé de piques, hérissé de ce genre de pointes qui la faisaient souffrir à chaque geste. Comment agresser l'autre lorsqu'on n'est qu'une cible sur pattes ?

Enzo se releva doucement, retira aussi son T-shirt ; il plia le tissu délicatement, posa ses habits sur son bureau. Puis il se rassit sur le lit, les yeux dans le vague, et finit d'essuyer ses larmes.

Il savait quoi faire. Tout n'était pas perdu. Il ne baisserait pas les bras.

Mais il lui fallait des informations, de celles qu'on trouvait par milliers sur ce réseau virtuel nommé Internet, et qui lui était totalement inconnu.

Il allait se pencher sur la question lorsque quelqu'un frappa timidement à sa porte. Il essuya une dernière fois sa figure humide, puis se leva pour aller ouvrir, d'ores et déjà convaincu qu'il ne s'agissait pas de Madeleine.

Quelle ne fut pas surprise, en ouvrant doucement le battant, de trouver la jeune fille posée en équilibre instable sur la marche. Il la rattrapa lorsqu'elle vacilla, prête à tomber sur lui ; la prenant sous les bras, comme un gros chat, le colosse alla la poser sur le lit. Il s'attendait aux cris et aux rires habituels, mais la jeune fille resta muette.

– Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi t'es venue me voir ? demanda-t-il, appuyé contre le bureau, ses grands yeux clairs buvant l'expression étrange de l'infirme. Il s'est passé un truc ?

Elle se releva, titubant un peu ; l'homme-bête fit un pas, inquiet, et la jeune fille s'agrippa à ses épaules trop hautes pour elle.

– Je me sens bizarre, ce soir, Enzonounet, susurra-t-elle en enfouissant son nez contre son torse nu.

Une odeur, rare dans le campement de la troupe, se faufila jusqu'aux narines d'Enzo qui fit la grimace.

– Tu m'étonnes, tu sens l'alcool comme pas deux. Me dis pas qu'Anatole t'a fourni les bouteilles ?

Il manquèrent de s'écrouler au sol lorsque Madeleine se suspendit à son cou, de tout son poids.

– Oui, ajouta-t-elle en riant un peu, je me sens vraiment très bizarre ce soir. C'est drôle, non ?

Il referma ses bras autour de sa taille fine et tenta de la décrocher de lui, sans succès.

– Bon écoute la p'tiote, je sais pas ce que tu fabriques là, mais c'est un peu dérangeant, alors si tu pouvais juste…

Elle était trop près, collée à lui ; ça ne lui arrivait jamais d'habitude. Et lui presque nu ! Il tenta de noyer ses propres émotions dans le flot de ses paroles.

– Non parce que si quelqu'un arrive, on va avoir l'air un peu…

– Enzo, chuchota-t-elle au creux de son cou. Enzo…

Il déglutit doucement, incapable de quitter des yeux les iris argentés de la jeune fille. Elle ajouta d'une voix douce :

– J'étais triste, ce soir, mais ça va mieux maintenant.

Ils restèrent enlacés plusieurs minutes, les pieds de Madeleine suspendus au dessus du sol, le menton d'Enzo posé sur ses cheveux.

– Madeleine.

Elle renifla dans son cou sans répondre.

– Pourquoi tu es triste ?

Annotations

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0